Où potine-t-on plus que dans un salon de coiffure déconfiné ?

Au repêchage de la LHJMQ !

Chaque année, c’est la même ritournelle. Tout le monde conjecture sur les « récalcitrants ». Un terme que je déteste. Un récalcitrant, c’est « une personne qui résiste avec entêtement ». Pas un ado de 15 ans qui hésite entre jouer ici ou dans une université américaine.

Appelons-les plutôt les indécis.

L’année dernière, ils étaient environ 30. Dont 10 pressentis pour être sélectionnés au premier tour. Du jamais vu. Assez pour ébranler la ligue. L’entraîneur-chef des Remparts de Québec, Patrick Roy, avait même monté le ton.

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L’an dernier, lors du repêchage de la LHJMQ, l’entraîneur-chef des Remparts de Québec, Patrick Roy (à droite), avait demandé à la ligue – et son président, Gilles Courteau – d’être plus dure avec les joueurs québécois qui veulent aller dans les collèges américains.

« J’aimerais qu’on ait une ligne plus dure avec les joueurs qui veulent aller dans les collèges américains, comme la NCAA, et qu’ils ne puissent pas revenir dans notre ligue », avait-il déclaré en marge du repêchage.

Un sentiment partagé par plusieurs de ses collègues. C’est que dans le passé, des joueurs ont menacé de partir aux États-Unis s’ils n’étaient pas sélectionnés par le club de leur choix. Une situation qui a favorisé les équipes des Maritimes et nui aux petits marchés du Québec.

Nous voici un an plus tard. Jour de repêchage dans la LHJMQ. L’état de la situation ? Eh bien, la LHJMQ a aplati la courbe. Non. Elle l’a écrasée.

Des chiffres ? Des dépisteurs m’ont communiqué la liste des indécis de leur équipe*. Seulement quatre Québécois sont considérés comme « intouchables ». Trois d’entre eux jouent déjà aux États-Unis. L’autre vient d’obtenir une généreuse bourse d’études là-bas.

Quatre autres sont classés parmi les « incertains ». Pas parce qu’ils veulent choisir leur équipe. Parce qu’en ce moment, les options aux États-Unis sont limitées. J’y reviendrai dans quelques lignes.

Et Tristan Luneau, pressenti pour être le premier choix ? Il est déchiré entre les Badgers de l’Université du Wisconsin – auprès desquels il a un engagement verbal – et la LHJMQ. Tous les dépisteurs auxquels j’ai parlé croient qu’il restera ici.

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Tristan Luneau

« C’est très, très, très minime, le nombre de joueurs qui pensent aller aux États-Unis, m’a confirmé le commissaire Gilles Courteau. Les années précédentes, j’avais une indication. Mes collègues au bureau me disaient : “Il va y en avoir une douzaine, ou une quinzaine.” Cette année ? Je n’entends presque rien. »

Encore mieux : « Des joueurs rentrent au bercail », se félicite M. Courteau. Il cite les attaquants Peter Reynolds et Robert Orr, deux indécis sélectionnés l’année dernière, qui ont choisi cette semaine de poursuivre leur parcours dans la LHJMQ.

C’est tout un revirement de situation.

Comment l’expliquer ?

« Il y a clairement un effet du virus », me confie un dépisteur affecté au recrutement des joueurs québécois.

Les frontières avec les États-Unis sont fermées depuis deux mois. Les hockeyeurs québécois sont confinés ici. Jusqu’à quand ? Tout le monde l’ignore. Dans les circonstances, difficile d’aller vendre sa salade aux entraîneurs américains. Personne n’a la certitude non plus que les ligues aux États-Unis reprendront leurs activités avant celles du Canada, ou en même temps.

Dans l’incertitude, plusieurs parents préfèrent que leur fils reste au pays. Quitte à jouer une deuxième saison dans le Midget AAA, pour garder leur statut amateur. Le temps de voir comment la pandémie évoluera.

Les options aux États-Unis sont aussi plus restreintes. Avant d’atteindre la NCAA, les joueurs doivent trouver des circuits amateurs. Plusieurs se tournent vers des écoles secondaires préparatoires. Ce sont des établissements privés qui peuvent coûter plus de 60 000 $US par année. Ce n’est pas à la portée de tous. Les hockeyeurs québécois qui y étudient profitent habituellement d’une bourse d’études, qui permet de réduire substantiellement les frais d’études.

Or, en raison du virus, ces écoles reçoivent moins de demandes d’inscription. Notamment des élèves étrangers. Cette perte de revenus les incite à revoir à la baisse les bourses versées aux athlètes, m’ont souligné un entraîneur et un dépisteur.

Il n’y a pas beaucoup de parents prêts à payer 50 000 $US pour envoyer leur enfant dans une école secondaire où la saison de hockey risque d’être annulée…

Autre facteur : un resserrement des règles de recrutement dans la NCAA. Avant, c’était le far west. Les meilleurs joueurs d’ici recevaient des offres tout juste avant le repêchage de la LHJMQ et menaçaient de les accepter s’ils n’étaient pas sélectionnés par leur équipe préférée.

Désormais, les universités doivent attendre le 1er août de la 11e année scolaire d’un joueur pour lui faire une offre verbale. Seul Tristan Luneau a reçu une proposition avant l’adoption de la nouvelle règle.

Par ailleurs, la LHJMQ met de plus en plus l’accent sur ses vedettes qui poursuivent leur carrière de hockeyeur dans les universités canadiennes. Au Québec. Au Nouveau-Brunswick. En Ontario. Grâce aux bourses d’études offertes par la ligue. C’est un argument qui plaît tant aux joueurs qu’aux parents. Et ça ne nuit pas que deux lauréats du titre de joueur-étudiant de l’année, Alexandre Alain et Rafaël Harvey-Pinard, soient maintenant dans l’organisation du Canadien.

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James Malatesta a choisi l'an dernier d’abandonner la voie du hockey universitaire aux États-Unis pour s’engager avec les Remparts de Québec.

***

L’autre sujet de l’heure dans la LHJMQ, c’est la petite bombe lâchée par Gilles Courteau cette semaine.

Un possible retour au jeu le 1er octobre. Devant spectateurs. Une annonce stratégique, à quelques jours du repêchage, pour convaincre les partenaires, les commanditaires et les indécis que « ça va bien aller ».

Parlons franchement.

C’est un souhait.

Rien de plus.

J’ai demandé à Gilles Courteau des précisions sur les démarches entreprises par la ligue auprès des gouvernements. Deux lobbyistes font des démarches. Au Québec, ils ont rencontré des représentants des ministères des Finances, du Tourisme et de l’Éducation. Mais pas de la Santé publique. C’est prévu dans une phase ultérieure.

« Ça a été encourageant quand on a parlé avec les instances gouvernementales de notre plan du 1er octobre, m’a indiqué Gilles Courteau. Personne ne nous a dit : “Oublie ça, ça ne fonctionnera pas.” Personne n’a dit ça. On n’a pas parlé de combien de spectateurs ni de comment ça va fonctionner. Aussi, on ne fera rien qui ira à l’encontre de la santé publique. Nous sommes en train de travailler sur un plan de relance, que nous allons leur soumettre [cet été]. »

Personne n’a dit que ça ne fonctionnerait pas. Ce qui n’équivaut pas à un feu vert, comme l’ont cru plusieurs partisans. Les Cataractes de Shawinigan ont d’ailleurs dû préciser sur Twitter qu’il « exist[ait] de nombreux facteurs à déterminer et à considérer avant de commencer la vente des abonnements de saison. La distanciation sociale sera une priorité pour aller de l’avant ».

Chaque chose en son temps.

La LHJMQ a réussi à aplatir la courbe des indécis.

Pour celle du virus, elle est condamnée à l’espoir.

* Les dépisteurs ont accepté de parler, mais sous le couvert de l’anonymat, car leur contrat les empêche de transmettre de l’information à propos du repêchage.