Pour un Québécois, il fallait une certaine dose de courage pour tenter l’aventure du hockey universitaire aux États-Unis en 1990.

Il y avait, pour certains, la barrière de la langue. Le réseau américain n’avait pas fait ses preuves comme aujourd’hui, d’autant plus que tous les grands joueurs québécois venaient de la LHJMQ. Joé Juneau avait certes été repêché en 1988, mais il s’amènera dans la LNH seulement en 1992.

Cette semaine, on fêtait le 30anniversaire du repêchage de 1990, le pire de l’histoire de la LHJMQ. Seulement 14 joueurs du circuit Courteau avaient été réclamés.

Le Québec était bien représenté, mais plusieurs joueurs d’ici avaient opté pour la NCAA. Quatre d’entre eux ont même été repêchés au deuxième tour : Ryan Hughes (Québec, 22e), Nicolas Perreault (Calgary, 26e), Alexandre Legault (Edmonton, 38e) et Étienne Belzile (Calgary, 41e).

Il y avait de la profondeur au deuxième tour de cet encan ; 7 des 21 choix ont disputé plus de 500 matchs dans la LNH. Mais aucun de nos quatre joueurs n’y a fait carrière. Seul Hughes s’y est rendu, et ça n’a duré que trois matchs.

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Ryan Hughes avec les Bruins de Boston

Ce qui ne veut pas dire pour autant qu’ils ont fait le mauvais choix en allant sur les bancs d’école. Tout dépend du point de vue.

Les études avant le hockey

Pour Étienne Belzile, la décision de s’engager à l’Université Cornell allait de soi.

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Étienne Belzile dans l’uniforme du Cornell Big Red

« Les recruteurs nous rencontraient, notre famille, et disaient : ‟Dans la LHJMQ, on croit aux études”, raconte-t-il au bout du fil. On leur répondait : ‟Combien de vos joueurs vont au cégep ?” C’était environ 30 %. ‟Avez-vous la preuve qu’un joueur junior majeur peut devenir médecin ?” »

« Je me demandais combien de gars vont dans la LHJMQ et jouent ensuite 15 ans dans la LNH, ajoute Ryan Hughes, qui a lui aussi joué à Cornell. Si ça ne fonctionne pas, tu te retrouves dans la Ligue américaine, dans l’ECHL, tu te réveilles à 30 ans, et le seul emploi que t’as eu, c’est joueur de hockey. Je ne dis pas que ça arrivait à tous les joueurs de la LHJMQ. Mais c’était un risque. »

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Ryan Hughes a préféré lui aussi prendre le chemin de l’Université Cornell

« Je voulais apprendre l’anglais, je ne voulais pas négliger mon éducation et dans ce temps-là, l’éducation dans le junior majeur, c’était pas ‟yâble” », lance Nicolas Perreault, qui allait disputer quatre saisons à Michigan State après son repêchage.

Moins de succès en NCAA

Des 14 joueurs de la LHJMQ qui ont été repêchés en 1990, 5 ont disputé plus de 300 matchs dans la LNH (Martin Brodeur, Karl Dykhuis, Félix Potvin, Gino Odjick et Enrico Ciccone). Un taux de succès intéressant (35,7 %).

De son côté, la NCAA n’était pas encore la pépinière de joueurs qu’elle est aujourd’hui. Dans ce repêchage de 1990, 102 joueurs réclamés sont passés par les collèges américains. Seulement 14 d’entre eux ont joué 300 matchs dans la LNH (13,7 %).

  • Les portraits de Ryan Hughes et de Nicolas Perreault publiés dans l’édition spéciale du repêchage de 1990 du magazine The Hockey News

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    Les portraits de Ryan Hughes et de Nicolas Perreault publiés dans l’édition spéciale du repêchage de 1990 du magazine The Hockey News

  • Le portrait de joueur d’Alexandre Legault publié dans l’édition spéciale du repêchage de 1990 du magazine The Hockey News

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    Le portrait de joueur d’Alexandre Legault publié dans l’édition spéciale du repêchage de 1990 du magazine The Hockey News

  • Le portrait de joueur d’Étienne Belzile publié dans l’édition spéciale du repêchage de 1990 du magazine The Hockey News

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    Le portrait de joueur d’Étienne Belzile publié dans l’édition spéciale du repêchage de 1990 du magazine The Hockey News

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« À l’époque, c’était clair que t’avais plus de chances de jouer pro en passant par le junior que par le collège », affirme Alexandre Legault. Par contre, il ne se défile pas pour autant de sa responsabilité personnelle. « Quand j’ai été repêché, je me suis mis à travailler moins fort », reconnaît-il.

Hughes croit que la LHJMQ était « la voie rapide » vers la LNH.

« Je comprenais qu’en allant au collège, je me retirais un peu des projecteurs, mais je n’allais pas être oublié non plus. » Il estime avoir été coulé par sa décision d’attendre avant de signer un contrat professionnel. Entre-temps, les Nordiques ont fait le plein de joueurs, notamment grâce à la transaction d’Eric Lindros en 1992. « Quand je suis arrivé à mon premier camp, les autres attaquants étaient Joe Sakic, Mike Ricci, Owen Nolan et Peter Forsberg. Le timing n’était pas idéal ! »

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Ryan Hughes avec les Aces de Cornwall, le club-école des Nordiques de Québec de 1993 à 1995

Perreault va droit au but quand on lui demande pourquoi il n’a pas atteint la LNH. « Je n’étais pas assez bon ! », répond le défenseur. Sa courte carrière de 36 matchs dans la Ligue américaine laisse croire qu’il voit juste. Mais il ne croit pas avoir sacrifié la qualité du hockey en allant à Michigan State. « Nos installations étaient comparables à celles de la LNH. Mais aujourd’hui, si t’as beaucoup de talent, le junior majeur est peut-être une meilleure voie. »

De belles carrières

C’est par courriel qu’on a d’abord contacté Étienne Belzile pour cet article. La signature au bas de son message faisait… 11 lignes ! Résumons : il est chef du service de chirurgie orthopédique de l’hôpital de l’Enfant-Jésus à Québec.

Depuis la grande banlieue de New York, Ryan Hughes dirige une firme de chasseurs de têtes, Bardown Executive Search, qu’il a reprise de son père. Auparavant, il a notamment travaillé aux médias numériques de la LNH.

Diplômé en communications comme son frère Charles Perreault, vice-président information à RDS, Nicolas Perreault travaille pour Bauer en service aux athlètes d’élite depuis 25 ans, dans la région de Detroit.

Alexandre Legault, lui, est vice-président chez Allard, Allard & Associés, une firme de gestion de portefeuille.

Son fils, Charles-Alexis, sera admissible au repêchage de la LNH l’an prochain, et il suivra les traces de son père à Boston University en 2021. Une blessure lui a fait rater la quasi-totalité de sa première saison midget, si bien que l’option universitaire va de soi pour lui.

« L’option de la LHJMQ est bonne, les entraîneurs connaissent leur affaire et sont professionnels. Il y a beaucoup de matchs et c’est ça, le gros avantage », estime Alexandre Legault.

Mais le principal désavantage, c’est qu’après ton année de 19 ans, tu dois être prêt à jouer pro. Si t’es plus loin de ta maturité physique, tu risques de manquer de temps, surtout pour les gardiens et les défenseurs. L’avantage de la NCAA, c’est que tu peux te rendre jusqu’à 22 ans.

Alexandre Legault

Le fils de Ryan Hughes a 14 ans. Si son talent le lui permet, il jouera lui aussi au collège. « Mais la décision n’est pas simple. Ça dépend de la famille et du jeune. Si t’es Alexis Lafrenière, je ne te conseillerais pas d’aller au collège ! Mais pour Martin St-Louis, aller dans le junior n’aurait pas été la bonne décision. »

Le fils de Nicolas Perreault a quant à lui 15 ans… et il mesure 6 pi 7 po ! « Je suis pas mal sûr que s’il en a la chance, il va jouer universitaire. Ça va lui prendre du temps pour se développer », prévient-il.

Les enfants d’Étienne Belzile ne jouent pas à un haut niveau de hockey. Mais le médecin envie les jeunes d’aujourd’hui quand il voit le développement du hockey scolaire québécois.

« Tu t’entraînes avec tes camarades de classe, c’est formidable. J’aurais tripé là-dedans ! assure-t-il. Pour la société, c’est mieux. Les joueurs vont finir avec une meilleure éducation. Dans mon temps, pas tout le monde finissait son secondaire 5 ! »

Aujourd’hui, le hockey scolaire québécois se développe d’année en année, tandis que la LHJMQ a augmenté ses efforts au fil des ans pour encourager la réussite scolaire. L’école est officiellement obligatoire pour tous depuis 2011. La LHJMQ a annoncé avoir accordé 1,246 million de dollars en bourses au cours de l’année scolaire 2019-2020, des sommes qui ont permis à 214 anciens joueurs d’aller à l’université. Ces dernières années chez le Canadien, Jérémy Grégoire, Alexandre Alain et Rafaël Harvey-Pinard ont démontré que la réussite scolaire et le hockey junior pouvaient s’arrimer.

Quoi qu’il en soit, la situation est encourageante pour la future génération. Les options s’améliorent et évitent maintenant aux joueurs de faire de trop grands compromis sur la qualité de leur hockey ou de leur éducation.