Tout le monde a lancé son bâton dans le coin. La foule s'est levée d'un trait et a commencé à taper des mains à l'unisson. Puis est apparu sur la glace un panier de basketball. Chaque joueur a pris position. L'instant d'une célébration, après la victoire des Hurricanes de la Caroline 5-1 sur le Wild du Minnesota, la glace est devenue un parquet.

Une petite séquence de jeu, puis Trevor van Riemsdyk servait un dunk au grand plaisir des partisans et de ses coéquipiers. Un hommage évident au March Madness qui secoue un État où le basketball universitaire est roi. Il s'agissait, semble-t-il, de la plus récente création du capitaine Justin Williams, instigateur de ces cérémonies nouveau genre.

« Je voulais faire un jeu à la Roy Williams [légendaire entraîneur des Tar Heels de l'Université de la Caroline du Nord], a expliqué van Riemsdyk. C'est amusant. On aime partager ces moments avec nos partisans. Mais ça veut surtout dire qu'on a gagné quand on le fait. »

Tout ça a commencé plutôt banalement le 5 octobre, après une victoire sur les Rangers de New York. Les joueurs ont tapé des mains, puis Williams a mené ses coéquipiers pour un saut contre la baie vitrée. Rien de bien méchant.

Sauf que quatre jours plus tard, après une victoire sur les Canucks, ils ont récidivé. Cette fois, c'est Micheal Ferland qui a lancé le mouvement. Puis les Hurricanes ont recommencé, encore et encore, chaque fois avec une nouvelle célébration.

Peut-être un peu par naïveté, les Hurricanes ont créé ce qui est devenu leur marque de commerce, le « Hurricane Surge » (l'ouragan qui se lève). Tant et si bien que plus personne ne quitte l'aréna avant l'heure, comme c'était le cas autrefois pour sortir de l'interminable stationnement.

Les mises en scène n'ont fait qu'augmenter en complexité. On a vu l'ancien champion du monde Evander Holyfield passer le K.-O. à Jordan Martinook au centre de la glace. Le pauvre joueur, inerte, a dû être « évacué » par ses coéquipiers qui le tiraient par les patins.

Williams avait expliqué la genèse du mouvement lors du passage des Hurricanes à Montréal plus tôt cette saison.

« Nous voulions créer quelque chose de distinctif dans notre marché. Nous n'avons pas autant de partisans que les équipes ici, c'est un fait. On développe le sport. Quand on a gagné en 2006, on a atteint notre sommet, puis c'est retombé. Si nous avons du succès et que les jeunes nous voient avoir du plaisir, ils vont embarquer. »

Désormais, tout le monde participe à l'effort. Les joueurs tiennent des remue-méninges lors du repas d'avant-match. Parfois, le concept proposé est tellement tiré par les cheveux que Williams doit coordonner la cérémonie avec le service des communications des Hurricanes.

On l'a vu récemment, avec une « reconstitution » du populaire jeu vidéo Duck Hunt. Les gants faisaient office de canards, les bâtons de carabines. Des images du jeu étaient projetées sur l'écran géant, l'éclairage était adapté au scénario.

Tout ça pour dire que pour la première fois depuis des lustres, il se passe « quelque chose » en Caroline.

« Bunch of jerks »

On sentait déjà le vent de changement la saison dernière avec l'arrivée du nouveau propriétaire Tom Dundon. L'homme d'affaires ne fait pas l'unanimité, mais on ne peut pas lui reprocher de rester assis les bras croisés. Entre ses déclarations savoureuses, il a aussi ressuscité l'uniforme des défunts Whalers de Hartford, ancêtres des Hurricanes. C'était un de ses vieux fantasmes.

Parenthèse : les joueurs avaient d'ailleurs créé la célébration de la baleine échouée pour l'occasion.

Évidemment, les célébrations ont attiré des critiques. C'était à prévoir dans un sport réputé plutôt conservateur. Le commentateur Don Cherry, un soir où il portait pourtant un habit bleu électrique orné d'éclairs et de dragons chinois, a traité l'équipe de « bunch of jerks » (bande d'idiots).

Plutôt que de tempérer leurs ardeurs, les Hurricanes en ont fait leur surnom et s'en sont inspirés pour créer une collection de vêtements. Ils ont même offert à leurs partisans hier une bière appelée Surge, aromatisée aux cerises aigres (sour cherries, pour mieux comprendre le jeu de mots).

Sur la glace, l'effet a été instantané. Leur fiche est de 10-4-1 depuis la naissance du quolibet.

« Les gens vont avoir des opinions sur tout, a reconnu van Riemsdyk. Il avait la sienne, il avait le droit. On ne le fait pas pour les observateurs ou les médias, on le fait pour divertir nos partisans. On sent qu'on est un groupe uni. Tout le monde a droit à son opinion, mais on s'en fout un peu. On s'efforce de gagner des matchs, et quand on gagne, on peut s'amuser. »

Ces célébrations n'ont fait que consolider ce qui était à la base une bonne équipe. Les Hurricanes sont remplis de jeunes joueurs prometteurs, Sebastian Aho en tête avec ses 30 buts et 50 aides cette saison. Mais il y a aussi les Teuvo Teravainen (70 points) ou le récent deuxième choix au total Andrei Svechnikov (35 points), exceptionnels contre le Wild hier.

Les Hurricanes ont aussi une brigade défensive qui mérite le respect, avec Dougie Hamilton, Justin Faulk, Jaccob Slavin et Brett Pesce (à + 33, dont + 5 hier seulement). Et leurs gardiens Petr Mrazek et Curtis McElhinney, dont personne ne voulait, ont fait le reste.

Résultat, les Hurricanes pourraient participer aux séries pour la première fois en 10 ans. La foule l'a rappelé en scandant « We want the playoffs » dans les dernières minutes. Et il y a en moyenne 1000 spectateurs de plus par match.

On le voit bien, il se passe « quelque chose » en Caroline.