En premier, un peu de contexte: le repêchage de 2005 est survenu après la pire saison de l'histoire de la Ligue nationale de hockey.

La pire... parce qu'il n'y a pas eu de saison cette année-là. Gary Bettman et les propriétaires avaient choisi d'imposer un lock-out en septembre, et c'est le calendrier en entier qui a été mis dans la poubelle de la honte. À la télé, ils nous repassaient des vieux matchs des années 70 et des matchs de semi-pro. Ce fut aussi long que ça en a l'air.

Quand les joueurs et les patrons ont enfin pu enterrer la hache de guerre en juillet, il fut convenu qu'une loterie allait décider de l'ordre du prochain repêchage. C'était assez gros, parce que tout le monde savait que Sidney Crosby allait être le premier choix et que l'équipe qui allait gagner la loterie allait donc se retrouver avec Crosby.

Alors, le petit monde du hockey s'est retrouvé dans un hôtel de Manhattan par une très chaude journée de juillet à regarder Bettman ouvrir des enveloppes. Les journalistes, nous étions un peu en retrait dans une salle fermée, et quand Bettman a dévoilé le logo des Maple Leafs au 21e rang, un confrère de Toronto a crié «Merci, Gary!» parce que Crosby dans le marché torontois, ç'aurait été un cirque.

Ç'aurait été un cirque à Montréal aussi, et plus ça allait, plus les membres des médias montréalais qui étaient là commençaient à imaginer un quotidien à Brossard avec Crosby. Bettman ouvrait les enveloppes au 10e rang, au 9e, au 8e, au 7e et au 6e... on ne voyait toujours pas le logo du CH.

On a fini par le voir au cinquième rang. Pas de Crosby, mais la plupart des experts s'entendaient pour dire la même chose: le Canadien, enfin, allait pouvoir repêcher ce gros joueur de centre qui lui échappait depuis trop longtemps.

Le repêchage allait avoir lieu la semaine suivante à Ottawa, le 30 juillet. La veille, le vendredi soir, le Canadien et ses dirigeants avaient organisé un genre de 5 à 7 dans un casino de la région, et j'avais discuté pendant de longues minutes avec Trevor Timmins, le grand manitou du repêchage.

Timmins n'allait évidemment pas dévoiler ses grands secrets, mais j'ai senti un élan d'enthousiasme quand je me suis mis à lui parler d'Anze Kopitar, le grand Slovène que j'avais pu voir jouer ce printemps-là en Autriche, lors des Championnats du monde.

«Il est bon», s'était contenté de dire Timmins en souriant, et à mes yeux, c'était un signe. Bien sûr que le cerveau du repêchage montréalais n'allait pas déclarer à La Presse «NOUS ALLONS CHOISIR KOPITAR!» parce que cela aurait éveillé trop de soupçons (c'était avant les sites de rumeurs et de repêchages simulés). Mais juste par ce «Il est bon», je croyais que Kopitar était probablement l'homme du CH. Un centre, gros en plus, avec des mains de velours? Ça allait être lui, c'est sûr.

Le lendemain, c'était jour de repêchage. Crosby s'est levé en premier, à la surprise de personne, encore moins de Mario Lemieux, qui se promenait devant les journalistes en se frottant les mains et en murmurant «Jackpot!». On aurait fait pareil à sa place.

Les Ducks d'Anaheim ont parlé ensuite, puis les Hurricanes de la Caroline, puis le Wild du Minnesota, qui a choisi l'attaquant Benoît Pouliot, qui était aussi dans la ligne de mire du CH. C'était donc au tour du Canadien. Bob Gainey a pris le micro en premier, remerciant les partisans pour leur patience. Puis, Trevor Timmins a prononcé ces mots: «Le club de hockey Canadien est fier de sélectionner... de la WHL, des Americans de Tri-City, le gardien Carey Price.»

Vous savez ces scènes de film où tout se passe au ralenti, où les personnages se regardent avec stupéfaction parce qu'ils n'en reviennent pas de ce qui vient d'arriver? C'est comme ça que ça s'est passé dans la salle d'hôtel à Ottawa. Il y eut comme un petit silence, suivi de murmures aux quatre coins de la salle.

J'ai pris mon guide du repêchage pour tourner les pages en vitesse et en être bien sûr... Carey Price? Le gardien? Ça n'avait aucun sens. José Théodore, sacré joueur le plus utile de la ligue à peine deux saisons plus tôt, était bien en poste devant le filet montréalais, à 28 ans. Dans l'organisation, quelque part, il y avait Jaroslav Halak, dont on disait du bien dans les coulisses. Ça servait à quoi de choisir un gardien avec un choix aussi précieux?

Quand Carey Price a été présenté aux membres des médias quelques minutes plus tard, on a vu en lui un jeune homme dépassé, hésitant, presque gêné d'être là. Nous en sommes tous venus à la même conclusion en regagnant nos sièges: ce jeune-là n'est pas fait pour Montréal. Trop fragile. La pression va l'écraser, c'est certain.

Bref, quel mauvais choix.

C'est le bout qui est le plus étonnant dans l'histoire de Carey Price: il est encore là. Étonnant parce qu'il a été hué par ses propres partisans, critiqué par les médias, a fait partie d'équipes trop souvent mauvaises. Il aurait pu partir et aller voir ailleurs sur le marché de l'autonomie. Il a choisi de ne pas le faire.

Est-ce que le Canadien aurait été meilleur avec Kopitar? Ça se peut. Il s'est très bien tiré d'affaires chez les Kings de Los Angeles, au point de mettre la main sur la Coupe Stanley à deux reprises avec eux.

Mais Carey Price a maintenant 314 victoires. Je n'aurais pas parié sur une telle éventualité à Ottawa il y a 14 ans. Et je ne suis pas le seul.