(Vancouver) Depuis son arrivée à Montréal, Marc Bergevin a montré deux visages. Le premier a sacrifié des espoirs et des choix au repêchage pour de l’aide immédiate. Tel Wile E. Coyote, il a vu plusieurs de ses plans lui exploser en plein visage.

Le deuxième visage, c’est celui du directeur général patient, qui refuse de sacrifier l’avenir pour s’offrir un meilleur présent.

Lequel de ces visages verrons-nous cette fin de semaine ? La question se pose, car à l’heure actuelle, il affiche le deuxième visage, mais possède les outils pour ressusciter son alter ego impulsif.

Ces outils, ce sont des espoirs et des choix au repêchage à la tonne. Au sein de sa relève, on trouve : 

– le gardien de l’année en NCAA à seulement 19 ans (Cayden Primeau) ; – le joueur par excellence du dernier Championnat du monde junior (Ryan Poehling) ; – le défenseur par excellence à ce même tournoi (Alexander Romanov) ; – le joueur le plus utile à son équipe des séries 2019 de la Ligue junior de l’Ontario (Nick Suzuki) et celui de la Coupe Memorial (Joël Teasdale) ; – un finaliste au titre de meilleur défenseur de la Ligue junior de l’Ouest (Josh Brook).

À ces noms s’ajoute Jesperi Kotkaniemi, centre prometteur qui a connu une première saison fort intéressante pour un joueur qui aura 19 ans en juillet.

Bergevin débarque aussi à Vancouver les mains pleines, avec 10 choix au repêchage. Aucune autre équipe n’en a plus.

Drouin-Sergachev : la cassure

En analysant ses transactions, on constate que la cassure entre l’ancien et le nouveau Bergevin s’est faite quelque part dans le deuxième semestre de 2017, quelques mois après qu’il eut conclu une série de transactions pour obtenir des vétérans au bout du rouleau comme Dwight King et Steve Ott.

Le 15 juin cette année-là, le Tricolore cédait son premier choix en 2016, Mikhail Sergachev, au Lightning de Tampa Bay pour obtenir Jonathan Drouin.

PHOTO AARON DOSTER, ARCHIVES USA TODAY SPORTS

Mikhail Sergachev

Sergachev était alors à 10 jours de son 19anniversaire de naissance, et n’avait pas encore commencé à écouler son contrat de recrue de trois ans, à 1,75 million par saison. Drouin avait 22 ans, et a aussitôt signé un contrat de six ans à 5,5 millions par saison. Deux ans plus tard, le jury délibère toujours, mais pour Montréal, c’est au mieux un match nul, pour le moment. Ça pourrait devenir une victoire pour le Lightning si Sergachev continue à prendre du galon.

Si on s’en tient seulement aux joueurs repêchés dans les trois premiers tours, c’est la dernière fois que Bergevin a vieilli son équipe dans une transaction. Depuis ce temps, il n’a échangé aucun choix des trois premiers tours du repêchage. Et il n’a cédé que deux joueurs qu’il a réclamés dans les trois premiers tours : 

– Alex Galchenyuk (1er tour, 2012), en retour d’un joueur plus jeune, moins cher et ultimement plus productif (Max Domi) ; – William Bitten (3tour, 2016), un espoir au potentiel limité, contre un autre espoir qui plafonnait (Gustav Olofsson).

À l’inverse, Bergevin a obtenu Nick Suzuki (choix de 1er tour des Golden Knights de Vegas en 2017), de même que deux choix de 2tour et un choix de 3tour.

Le résultat est qu’à l’heure actuelle, avec ses 10 choix en banque pour cette année et les 11 choix de 2018, le Canadien sera l’équipe de la LNH qui aura repêché le plus de joueurs en 2018 et en 2019, devant les Red Wings de Detroit (20) et les Rangers de New York (18). Si, bien sûr, aucune transaction n’est conclue d’ici au repêchage.

Ce qui nous mène à un constat paradoxal : à trop vouloir gagner dans l’immédiat, Bergevin a tout perdu. À court terme : le CH, rappelons-le, n’a gagné aucune série éliminatoire depuis 2015 et a été exclu du tournoi trois fois lors des quatre derniers printemps. À long terme : encore la saison dernière, parmi les joueurs régulièrement en uniforme, on ne comptait que trois joueurs repêchés depuis le début de son règne : Kotkaniemi, Victor Mete et Artturi Lehkonen.

Pour un directeur général qui disait, à son arrivée en poste, qu’il souhaitait bâtir son équipe par le repêchage, c’est bien peu.

Et maintenant ?

Avec Poehling, Suzuki et Brook qui arrivent chez les pros, avec Noah Juulsen de nouveau en santé, la part de « produits maison » sera appelée à croître au cours des prochains mois. En prenant le pouls des partisans, on sent que ce renouveau suscite un enthousiasme certain.

Il sera maintenant intéressant d’observer la suite des choses. On croyait les Rangers en reconstruction totale, eux qui ont échangé bon nombre de joueurs établis ces derniers mois. Mais cette semaine, le directeur général Jeff Gorton a sacrifié l’avenir pour le présent en cédant un choix de 1er tour (20au total) et un jeune défenseur en progression (Neal Pionk) pour obtenir un joueur établi (Jacob Trouba).

Trouba n’a toutefois que 25 ans et pourra offrir plusieurs bonnes années aux New-Yorkais. Plusieurs DG auraient sauté sur l’occasion, d’autant que les Rangers possèdent le 2choix au repêchage.

Marc Bergevin peut difficilement se permettre une troisième exclusion de suite des séries. La reconstruction, c’est bien beau, mais aucun propriétaire d’équipe n’aime mettre la clé sous la porte le 7 avril.

Les deux principaux besoins de Bergevin pour éviter un tel scénario : un défenseur gaucher mobile et un ailier capable de « la mettre dedans ». Le Canadien pourrait repêcher un tel joueur au 15rang, mais ce joueur ne sera pas prêt avant un an, sinon deux. Et qui sait quels seront les besoins de l’équipe à ce moment-là ?

Les ailiers Chris Kreider, Nikolaj Ehlers et Jason Zucker et le défenseur T.J. Brodie reviennent dans les rumeurs de transaction, et ils aideraient le Tricolore dès l’automne. Kreider ajouterait également du muscle, une autre carence du CH.

Bref, les tentations seront nombreuses. Verra-t-on un DG prudent ? Wile E. Coyote ? Une version hybride qui obtiendra un juste retour s’il sacrifie l’avenir ? À suivre dans les 48 prochaines heures.