C'est en racontant ses souvenirs de jeunesse à ses enfants que Philippe Cantin, originaire de Québec et chroniqueur à la section des sports de La Presse, a eu l'idée d'écrire un livre sur la rivalité Canadien-Nordiques. Jamais il n'aurait cru remonter un si long fil d'Ariane. Rencontre.

Quarante ans avant le match du Vendredi saint 1984 entre le Canadien de Montréal et les Nordiques de Québec, il y a eu celui de l'Immaculée-Conception. C'était le vendredi 8 décembre 1944, au vieux Colisée de Québec.

Ce jour-là, le CH joue un match hors concours contre l'équipe du NCSM Montcalm, navire d'une unité francophone de la marine canadienne cantonnée à Québec. Frustré à cause d'une punition infligée par l'arbitre Jock Sterling, un gars de Québec, Maurice Richard, l'attrape par le cordon du sifflet et le brasse. La foule hue le Rocket. Les journaux de la Vieille Capitale dénoncent son geste.

Ainsi naît une brouille entre Maurice Richard et les gens de Québec. Marquée de plusieurs épisodes, elle durera jusqu'à sa nomination comme premier entraîneur des Nordiques en 1972. Et ainsi prend une tout autre trajectoire la rédaction d'un ouvrage que le journaliste Phlippe Cantin de La Presse voulait consacrer à la rivalité Canadien-Nordiques.

D'un projet d'abord circonscrit à une quinzaine d'années, l'auteur a débordé sur un demi-siècle d'une histoire riche en rebondissements, autant sportifs que politiques et sociaux, et dans laquelle la capitale et la métropole québécoise se toisent, s'affrontent et se défient.

Premier volet de cette recherche, Le Colisée contre le Forum - Mon histoire du hockey, Tome 1, sort cette semaine en librairie.

Dans les coins

Pour reprendre une métaphore sportive, l'auteur n'a pas eu peur d'aller chercher l'information dans les coins. De l'histoire, s'entend.

Après un avant-propos portant sur le déménagement des Nordiques à Denver, l'ouvrage se penche sur les années 1944-1979. La rivalité Montréal-Québec y est relatée à travers un nombre impressionnant d'anecdotes. Le match de l'Immaculée-Conception, le bras de fer entre le Canadien et les As de Québec pour amener Jean Béliveau à Montréal, le refus de Frank Selke de voir une équipe de Québec entrer dans la Ligue américaine en 1959, le passage de Guy Lafleur des Remparts de Québec au Canadien en sont quelques jalons.

Par des chemins de traverse, l'auteur nous fait aussi découvrir des volets méconnus ou oubliés de l'histoire politique du Québec.

«Au départ, dit-il, l'idée d'écrire ce livre est née d'histoires de jeunesse que je racontais à mes trois enfants. Je leur parlais des Remparts et beaucoup des Nordiques. Je savais par exemple que les relations entre Maurice Richard et les gens de Québec étaient brouillées, mais je ne savais pas pourquoi. Lorsque j'ai découvert cet épisode de décembre 1944, ça m'a donné envie de fouiller. C'est là que le livre est complètement différent du projet initial. J'ai découvert des personnages dont j'avais eu vent, comme Gérald Martineau, éminence grise de l'Union nationale, ou Paul de Saint-Georges, l'homme derrière les chroniques que signait Maurice Richard dans le journal Samedi-Dimanche.»

Jamais l'auteur n'aurait cru au départ que la rivalité Montréal-Québec avait eu autant d'ampleur. «Comme bien des gens, je la situais davantage dans les années 70, à partir du moment où les Nordiques arrivent dans l'AMH. Mais pour le reste, toutes ces chicanes, comme cette bataille pour faire entrer les As dans la Ligue américaine en 1959, je n'en avais jamais entendu parler.»

Une histoire au «je»

Le sous-titre du livre est Mon histoire du hockey. Et pour cause! Philippe Cantin écrit au «je», prend un ton personnel lorsqu'il évoque Guy Lafleur et émet des opinions sur certains incidents et décisions dont il fait la recension.

«Je ne prétends pas faire l'histoire du hockey, argue-t-il. J'offre une lecture personnelle. Ce premier tome est le reflet du parcours de quelqu'un qui est né et a vécu à Québec. Dans les cinq dernières années des Nordiques dans l'AMH, je ne crois pas avoir raté trois matchs.»

Quand au second tome, qui portera sur la période 1979-1993, entre l'arrivée des Nordiques dans la LNH et la dernière conquête de la Coupe Stanley du Canadien, il sera vu par un Philippe Cantin établi à Montréal depuis 25 ans.

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Le parcours de Philippe Cantin

Originaire de Québec, Philippe Cantin y a vécu jusqu'à l'âge de 25 ans. Il a amorcé sa carrière en presse écrite au quotidien Le Soleil. Depuis 1988, il travaille pour La Presse, où il a couvert le sport et la politique avant de diriger la salle de rédaction durant sept ans. En janvier 2011, il est retourné à l'écriture à titre de chroniqueur à la section des sports.

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EXTRAITS

En septembre 1951, la Ligue nationale de hockey, le Forum et les autorités du hockey amateur veulent implanter le règlement 734 qui, dans les faits, obligerait Jean Béliveau à signer un contrat avec le Canadien même s'il souhaite demeurer avec les As de Québec, de la Ligue senior. Cette tentative sera torpillée par Gérald Martineau. Conseiller législatif, trésorier de l'Union nationale et homme fort du régime Duplessis, Martineau était le roi du hockey à Québec.

Le jugement de Martineau à l'endroit des patrons de la LNH est sans appel. Dans son communiqué, il répond d'avance aux critiques que l'establishment du hockey ne manquera pas de lui formuler, c'est-à-dire que tout joueur est libre de consentir ou non à ces règles.

«À ceux qui seraient tentés de me poser cette objection, je leur dirai que la sanction qu'opposent les «mogols» du hockey est à mon sens une sanction brutale, antidémocratique et qui lèse les droits les plus sacrés de l'individu. Soit qu'il se soumette aux dictées de ces gens et signe le contrat professionnel qu'on lui impose; ou bien qu'il abandonne à tout jamais de participer au sport qu'il a choisi et pour lequel il a des aptitudes professionnelles. [...]

«Je réalise fort bien la portée de ma protestation, mais je considère qu'il y a assez longtemps dans la province que nous tâchons d'obtenir pour nos jeunes, dans le domaine du hockey, la reconnaissance de leurs droits et l'application quant à eux de la plus élémentaire justice.»

La charge de Martineau ne pouvait venir que d'un citoyen de la Vieille Capitale. Elle s'inscrit au coeur de la confrontation historique entre Québec et Montréal. Depuis 1944, Martineau est au centre de cette rivalité, comme l'a démontré sa sortie contre Tommy Gorman lors de l'annulation d'un match d'exhibition entre le Canadien et les As, à Québec. Dénoncer le Forum fait désormais partie de ses habitudes. Puisque Montréal, dans un geste inadmissible, veut s'approprier Béliveau contre sa volonté, Québec le défendra!

Réagissant aux accusations de Martineau, Clarence Campbell, président de la Ligue nationale, tente avec maladresse de conserver sa superbe. Peut-être lui a-t-on parlé de la section sportive du Devoir qui, d'un titre sans appel en pleine largeur de page, donne un retentissement considérable aux propos du conseiller législatif: «Contre la dictature de la NHL». Le journal résume ainsi les propos du dénonciateur: «Nous ne sommes pas en Russie, a dit l'honorable Martineau. La dictature brutale et antidémocratique de la NHL ne peut être tolérée.»

Sentant l'eau chaude, Campbell accuse Martineau de vouloir simplement défendre les intérêts des As de Québec, seule des sept équipes de la Ligue senior à s'être opposée aux nouvelles règles. [...]

La fronde de Martineau bouleverse néanmoins les dirigeants de la Ligue senior et de l'Association canadienne de hockey amateur. Les mots du conseiller législatif les font réfléchir, mais pas autant que sa menace, qui les affole complètement! Martineau laisse en effet planer une intervention législative du gouvernement du Québec, une conséquence qu'ils veulent à tout prix éviter. [...]

Au moment où la controverse atteint son paroxysme, Maurice Duplessis sonne le glas de la réforme envisagée. Interrogé par les journalistes, le premier ministre affirme que les protestations de Martineau sont justifiées: «La décision prise par certaines organisations sportives me paraît pour le moins extraordinaire, pour ne pas dire arbitraire et injuste. J'espère qu'après avoir étudié tous les aspects du problème qui découle de ces décisions, ces organisations sportives verront d'elles-mêmes à remédier à la situation malheureuse qui en serait la conséquence. Il faut que notre jeunesse sportive soit protégée et reçoive justice. Et c'est dans l'intérêt de tous d'agir en conséquence.»

Duplessis confirme ensuite que la menace évoquée par le conseiller législatif est bien réelle. «Si l'intervention du gouvernement est nécessaire, nous n'hésiterons pas à agir. Le contrôle de soi-même, je l'ai toujours dit, est encore et toujours le meilleur. Si ce contrôle n'existe pas, il nous faudra prendre les moyens appropriés afin d'empêcher une injustice.»

EXTRAITS

Au printemps 1995, l'avenir des Nordiques à Québec monopolise l'actualité. Les négociations avec le gouvernement du Québec dans l'espoir d'assurer la survie de l'équipe ne débloquent pas et l'ambiance est lourde entre Jacques Parizeau, premier ministre du Québec, et Marcel Aubut, président des Nordiques.

Cet ultime face-à-face entre Parizeau et Aubut n'aura jamais lieu. Ce qui fera dire au porte-parole des Nordiques: «Difficile de comprendre pourquoi le premier ministre est incapable de prendre 30 minutes de son temps pour tenter de sauver une entreprise générant 50 millions par an en retombées économiques.»

Le lendemain de la réception de la lettre d'Aubut, Jacques Parizeau ferme le dossier pour de bon. Il choisit la solennité de l'Assemblée nationale pour effectuer sa déclaration... et servir une dernière salve au président des Nordiques. «Nous avions le devoir d'essayer. Nous avons maintenant le devoir de conclure. Il ne faut pas se laisser prendre par une sorte d'ambition qui, chez certains, fait que les yeux deviennent un peu plus grands que la panse. Je le déplore, mais ça clôt l'épisode.»

Cet «épisode», le premier ministre a terriblement hâte de le mettre derrière lui. Dans son esprit, les discussions entourant l'avenir des Nordiques gomment tous les autres messages de son gouvernement. Ce dossier, qui l'intéressait suffisamment pour qu'il assiste à un match au Colisée cinq semaines plus tôt, lui fait désormais perdre sa maîtrise de soi. La veille, lors d'un point de presse après une allocution devant un groupe culturel à Montréal, le premier ministre avait explosé, se déclarant «tanné» de l'intérêt suscité par l'affaire.

«De toute façon, ce qui intéresse le monde, c'est de dire: «Est-ce que vous pouvez nous donner un scoop quant aux négociations avec les Nordiques?» Je viens de faire une conférence et cette conférence va être flushée comme mes deux dernières sont disparues dans la brume à cause de l'état des discussions avec les Nordiques!»

Le soir même, les Nordiques affrontent les Rangers de New York dans le sixième match de leur série de première ronde. Une victoire des New-Yorkais et les Fleurdelisés seront éliminés. Avant le match, le réseau MSG, diffuseur des matchs des Rangers, présente un reportage sur le transfert attendu des Nordiques à Denver, avec des images séduisantes d'un centre-ville en pleine expansion, bordé par les montagnes Rocheuses avoisinantes. Plusieurs joueurs des Nordiques ont déjà la tête au Colorado et l'équipe s'incline 4-2. Ce sera le dernier match de l'histoire des Bleus.f

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Le Colisée contre le Forum - Mon histoire du hockey, Tome 1, Éditions La Presse En librairie jeudi prochain