Viagra, poèmes et album disco… De la publicité à la musique, le Démon blond laisse derrière lui une œuvre « pop » discutable… mais attachante.

Sur le joueur de hockey, aucun doute n’est permis. Guy Lafleur fut un grand, un des meilleurs de son temps.

Ses incursions dans le monde de la culture « pop » sont en revanche plus discutables. D’autant plus qu’il ne s’en est pas privé.

Que ce soit à la télé ou sur disque, les « méfaits » du Démon blond ont été nombreux, rarement pour le meilleur, souvent pour le pire. On le dit avec affection, car ils nous ont aussi permis de connaître la superstar sous un autre angle, disons, plus « humain ». Quoique.

Ses nombreuses pubs télé restent particulièrement mémorables. Il suffit de surfer sur YouTube pour en avoir la douloureuse preuve.

Zellers ? Molson ? Chevrolet ? Le pain Weston ? Les saucisses Lafleur ? Quel que soit le produit proposé, Ti-Guy demeure d’une redoutable constance dans l’absence d’expression, débitant son texte le sourire figé, d’une voix monocorde en roulant ses « r ».

C’est encore pire quand le produit annoncé prête le flanc à l’humour.

On pense bien sûr à ses pubs de Viagra. Ou à ses « annonces » pour Revitive, alors que l’ex-joueur, pieds nus dans son salon, vante les vertus d’une machine pour « booster » la circulation sanguine.

Mais dans ce registre, la palme revient sans doute au produit capillaire Hairfax, où Lafleur fait l’apologie d’un nouveau traitement révolutionnaire contre la calvitie. « La perte de vos cheveux vous empêche de réaliser vos rêves ? », demande-t-il, surmonté d’un terrifiant « brushing ».

Certaines de ces publicités ont été tournées à l’époque de sa plus grande gloire. D’autres après sa retraite. Mais chaque fois, ce même petit malaise, non identifiable.

Pas étonnant que le duo Total Crap ait souvent puisé dans l’œuvre « laflorienne » pour alimenter ses compilations de vidéos vintage. Nous sommes ici en plein psychotronisme, matière première du tandem spécialisé en culture trash.

Les joueurs de hockey ne sont pas des acteurs, on s’entend. Mais Guy Lafleur, il en a fait beaucoup comme ça. Il a du charisme quand il est lui-même. Mais quand il lit un texte et qu’il est devant une caméra, ça sort flat...

Simon Lacroix, membre de Total Crap

M. Lacroix se demande pourquoi Guy Lafleur s’est mis les pieds dans le plat aussi souvent. Mauvais choix ? Manque d’argent ? Besoin de rester dans les médias « plus longtemps » ?

Pour Benoît Melançon, professeur de littérature à l’Université de Montréal, et auteur du livre Les yeux de Maurice Richard, la réponse tient probablement plus au fait que Lafleur était un bon gars qui ne savait pas dire non. « C’est tellement tout et n’importe quoi que ça doit se rapporter à une générosité personnelle », suggère-t-il.

Quoi qu’il en soit, la contribution de Lafleur à la culture ne se résume pas à la pub. On l’a aussi vu comme figurant dans la série télé des années 1970 Du tac au tac.

PHOTO TIRÉE D’ICI.RADIO-CANADA.CA

Guy Lafleur et Roger Lebel dans Du tac au tac en 1978

Et il aurait aussi été poète à ses heures. C’est du moins ce que nous apprend Victor-Lévy Beaulieu dans un numéro du magazine Perspectives paru en 1972, citant cet extrait, apparemment signé de la plume laflorienne : « Pardonne à la maison indiscrète/Qui durant ton absence/Est venue feuilleter ce cahier… »

C’est également un poème de Lafleur, intitulé L’ombre et la lumière, qui aurait inspiré le titre de la biographie que George-Hébert Germain lui a consacrée en 1990.

Même La Presse avait publié un de ses poèmes dans ses pages en novembre 1971 !

Sauf erreur, ces textes n’ont jamais été publiés sous forme de recueil et comptent aujourd’hui parmi les grands introuvables de la littérature québécoise.

Danse avec Guy

Avec tout ça, on allait presque oublier l’album disco enregistré en 1979, par un Guy Lafleur au sommet de sa forme.

Non, le Démon blond ne chante pas. Mais on peut l’entendre prodiguer ses conseils de pro du hockey aux jeunes, sur des rythmes disco à la mode. Parfois, une chanteuse prend le relais de la vedette, qui reprend son souffle.

Cette drôle de bibitte, parue à l’époque en anglais et en français, avait apparemment coûté 100 000 $ à produire. C’est du moins ce qu’on apprend dans le reportage de la CBC, qui avait couvert le lancement du disque chez Régine, une discothèque à la mode.

Le vinyle se vend aujourd’hui une vingtaine de dollars sur les sites spécialisés, voire un peu plus si l’exemplaire inclut l’affiche d’origine, où l’on peut voir Lafleur, torse nu dans le vestiaire. Mais si seul le contenu vous intéresse, sachez que l’album se trouve aussi sur YouTube.

S’identifier à lui

Guy Lafleur dans la culture populaire, c’est aussi une image de marque. Ce sont des cartes de hockey. Des timbres à son effigie. C’est le nom d’une boisson énergisante à son nom (Flower Power). C’est un restaurant « orienté hockey » à Rosemère (Bleu Blanc Rouge… qu’il a fini par revendre) ainsi qu’un gin « Guy Lafleur » et un vin « Guy Lafleur », dont la bouteille pouvait se vendre jusqu’à 300 $.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Le vin Guy Lafleur dans son coffret de luxe

C’est, enfin, la représentation qu’en feront d’autres artistes, de la bande dessinée (On a volé la coupe Stanley) à la peinture (Serge Lemoyne) à la chanson (Bob Bissonnette), aspects par ailleurs couverts par notre collègue André Duchesne (voir autre texte).

Comme Maurice Richard et Jean Béliveau avant lui, Lafleur aura ainsi laissé sa marque dans notre environnement médiatique, et peut-être encore plus, du fait de l’importance grandissante de la télé, dans les années 1970, 1980 et 1990.

Ce ne fut peut-être pas toujours très heureux, mais cela aura permis à Lafleur-la-superstar d’entrer dans nos foyers avec l’aura du « gars ordinaire », nous le rendant d’office plus accessible.

« Guy Lafleur a une dimension de proximité sur laquelle on a beaucoup joué, souligne Benoît Melançon. C’était un proche. Il n’y avait pas de distance. C’est quelqu’un qui avait un entregent tel que tout le monde l’appréciait. Tous les médias disaient : “C’est le gars le plus fin du monde.” Et en plus, il a traversé des drames familiaux. Ça a joué sur la perception qu’on a eue de lui. C’est devenu plus facile de s’identifier à lui. »

« Et puis il a été pendant 50 ans dans l’actualité sans arrêt, pour toutes sortes de raisons bonnes ou mauvaises.

« Ça aide à rester dans les mémoires… »