Je n’ai pas beaucoup trippé sur le joueur, j’haïssais la flanelle tricolore de son uniforme. Et puis au hockey j’aime les toréadors, les chromés de la palette, qui font dans la fioriture et l’enjolivure, j’aime des Bobby Orr et des Mario Lemieux. Le sobre génie de Lafleur (comme celui de Gretzky) m’émeut peu.

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Page 6 du cahier des sports de La Presse du 31 mars 1991.

Quant à la fascination qu’il exerce sur les gens et l’énorme place qu’il tient dans notre folklore affectif, ce n’est là que l’ordinaire de notre mythologie, l’habituelle notoriété que notre société réserve aux joueurs de hockey, à quelques artistes et politiciens, à quelques imbéciles et à plusieurs débiles légers...

Tout cela pour vous dire que si je n’avais jamais rencontré Guy Lafleur je n’aurais pas une larme à ajouter à son départ. Pas une amabilité obligée. Salut l’idole. Suivant !...

Mais j’ai rencontré Guy Lafleur, il n’y a pas très longtemps, et je peux témoigner ici de quelques particularités fort rares chez les gens de sa race, les surdoués du lancer frappé.

D’abord, quand on se promène avec Guy Lafleur, sa statue de héros national ne nous suit pas, pas à pas. L’homme est sans majuscules, ni auréole, ni génie particulier. Un citoyen modeste, comme vous et moi... Je me souviens d’un matin d’entrevue, dans sa Jeep, il allait s’entraîner, il m’a dit : « Tu ne peux pas savoir comme je suis content d’aller pratiquer... » C’était après son retour. Il lui avait fallu toutes ces années pour réaliser la chance qu’il avait de faire un métier qu’il aimait. Ce qui me fait dire qu’il n’a pas plus de génie que vous et moi : il a appris très lentement les choses importantes de la vie.

On l’a adulé longtemps pour des futilités, son lancer frappé, ses débordements hors l’aile (franchement !), aujourd’hui qu’il s’en va, je voudrais féliciter Guy Lafleur d’être devenu, malgré son lancer frappé, malgré ses débordements hors l’aile, d’être devenu, disais-je, son propre chef-d’œuvre.

De loin son plus bel exploit.