En l’espace d’un week-end, en 1973, Jocelyne Bourassa est devenue un modèle pour plusieurs générations de sportives au Québec. Son cadet à l’époque, le journaliste Mario Brisebois, raconte cette victoire mémorable sur le circuit de la LPGA, à Montréal.

La vie, c’est un grand hasard.

Jamais je n’aurais cru être un témoin aussi intime d’une des plus belles pages d’histoire du sport dans notre province.

Je connaissais Jocelyne depuis un bon bout de temps, nous avions même gagné un tournoi mixte en Mauricie. Gilles, son frère, a été mon mentor.

Quand elle s’est fait opérer au genou quelques mois avant le tournoi, je l’ai appelée simplement pour prendre des nouvelles. C’est alors qu’elle m’a offert de devenir son cadet. Tout de suite, l’idée m’a plu. Je travaillais à l’époque pour Hydro-Québec, j’avais essayé de réaménager mon horaire. Sans succès.

Tant pis : j’ai quitté mon emploi étudiant d’été. Passer l’été sur les terrains de golf avec une amie aussi talentueuse, je ne pouvais dire non ! Une décision que je n’ai jamais regrettée…

À l’époque, Jocelyne était sur une lancée. En 1972, elle avait été nommée recrue de l’année sur le circuit de la LPGA. Pas de victoire, mais quelques top 10, des résultats très prometteurs.

Son mécène Jean-Louis Lévesque décide donc de tenir un tournoi à Montréal en 1973. Il le nomme La Canadienne, et il l’installe au club Ville-de-Montréal.

Le hic, c’est que le début de la nouvelle saison de Jocelyne n’est pas facile. Ses genoux lui donnent du fil à retordre. Jusqu’à la veille du tournoi, on ignore si elle sera en mesure d’y participer. Marcel Perron, un chiropraticien ami de la famille, fait la navette entre la Mauricie et Montréal chaque jour pour la traiter. C’est un héros obscur. Sans lui, pas sûr du tout qu’elle aurait été en mesure de prendre part à l’évènement, et donc de réussir un des plus formidables exploits sociaux et sportifs de notre histoire.

Quel départ !

Quand le tournoi est lancé, par contre, ses genoux lui donnent un peu de répit. Elle amorce le tournoi avec un oiselet. Quel départ ! Elle finit la première journée avec quatre autres oiselets sur les quatre derniers trous, ce qui lui donne une carte de 68 !

Ce départ excite la foule, bien entendu les gens étaient fiers d’elle, c’est devenu comme une boule de neige qui n’en finissait plus de grossir. Jocelyne s’est laissé volontiers porter par cette vague d’amour. Sa famille, ses amis étaient tous là. Mais l’ambiance faisait en sorte qu’on avait l’impression qu’elle jouait devant 10 000 parents et amis. Tu pouvais ressentir cette fierté nationale sur le terrain.

Jocelyne fut un peu moins spectaculaire au cours de la deuxième ronde, avec un cumulatif de 73. Puis, coup de théâtre, la troisième ronde est déplacée du dimanche au lundi en raison de la pluie. Ce délai aurait pu l’avantager comme la désavantager. Ça lui donnait une journée de plus pour reposer ses genoux. En revanche, avec toute la pression qui l’enveloppait, le délai aurait pu lui donner la chair de poule.

Ce n’est pas arrivé. En ronde finale, elle a été très solide. Elle a de nouveau inscrit un 73. Mais surtout, elle a fini avec un oiselet, qui lui permettait de rejoindre Judy Rankin et Sandra Haynie en tête, ce qui a forcé la prolongation. Rankin et Haynie étaient des golfeuses exceptionnelles, parmi les trois ou quatre meilleures au monde à ce moment-là.

Mais Jocelyne était en mission. Il y avait plus de 10 000 personnes autour d’elle, qui poussaient avec elle. Imaginez, plus de 40 000 amateurs de golf ont assisté au tournoi.

Au premier trou de prolongation, Rankin s’est sortie de l’équation. Au troisième trou, Haynie a expédié sa balle à l’eau. Jocelyne, elle, s’est placée sur le vert, à environ 25 pieds de la coupe. Ce n’est pas moi qui jouais, bien entendu. Mais ça reste le roulé de 25 pieds le plus long de ma vie ! Elle s’est approchée à deux pieds, deux pieds et demi. Encore une fois, ça paraissait 1 kilomètre de mon point de vue ! Dans ces moments-là, contrairement à ce que plusieurs pensent, il n’y a rien d’acquis. Ton dernier coup, tu dois le réussir. Il y a la fatigue, la pression. L’excitation est là… Non, c’est moins évident en réel que ça en a l’air.

Jocelyne n’a pas bronché. Elle a fini le travail, devenant la première Canadienne à remporter un tournoi de la LPGA.

Une pionnière

Elle est devenue une grande vedette. Avant elle, il y avait eu bien peu de modèles féminins dans le sport chez nous. Peut-être un peu Linda Crutchfield, mais l’impact était plus petit. À l’école, les filles fréquentaient peu les gymnases, elles avaient plutôt droit à des cours culinaires.

L’ascension de Jocelyne a marqué un tournant. La petite fille qui avait commencé à jouer au golf avec ses frères, sans moyens aux Vieilles Forges, était au sommet du monde. Il y avait eu bien des sacrifices pour se rendre là, mais chacun d’eux a tracé la voie jusqu’à ce triomphe historique.

S’il y a eu des Jacqueline Gareau, Sylvie Daigle, Sylvie Fréchette, Mélanie Turgeon, Eugenie Bouchard, c’est parce qu’il y avait eu Jocelyne pour ouvrir la porte.

Malheureusement, sa carrière a été écourtée par ses problèmes aux genoux. Les genoux les plus célèbres de son époque, après ceux de Bobby Orr ! Qui sait ce qu’elle aurait pu accomplir si son corps avait pu la suivre.

Son impact a toutefois été bien plus grand que seulement son rendement sportif. Elle a joué le rôle de secrétaire de la LPGA, à l’époque où le circuit a réellement pris son envol. Pour sa victoire en 1973, elle n’avait empoché que 10 000 $, sur une bourse totale de 60 000 $. Même pour l’époque, ce n’était pas de grosses sommes. Regardez les bourses maintenant, le chemin parcouru a été fantastique et elle a eu son mot à dire dans cette expansion.

Elle a aussi dirigé la série Du Maurier, où une douzaine de filles ont pu suivre ses traces. Brooke Henderson a imité Jocelyne l’an dernier en gagnant devant les siens et, à son jeune âge, elle ajoutera probablement beaucoup de titres à son palmarès. Elle, comme les autres, bénéficie du travail colossal réalisé par une petite fille de la Mauricie.

Si jamais il y a un film sur la vie de Jocelyne Bourassa, les scénaristes n’auront pas besoin d’ajouter de la moutarde. La réalité pure sera suffisante et personne ne se lèvera de son siège pour aller s’acheter du pop-corn avant la fin de la projection !

— Propos recueillis par Steve Turcotte, Le Nouvelliste