Dix ans avant que la Québécoise Catherine Raîche devienne la femme la plus haut placée dans la hiérarchie d’une équipe de la NFL, elle était dépisteuse pour la Ligue canadienne de football.

À l’époque, peu de femmes étaient payées pour évaluer des joueurs de football, un emploi qui a fait parcourir le continent à Mme Raîche, à la recherche de talents. Dans quelques cas, dit-elle, lorsqu’elle arrivait dans un collège ou un camp d’entraînement, les membres de l’équipe lui demandaient sa carte de visite pour confirmer son identité.

« Quand on me demandait : “Où est le dépisteur ?”, je répondais : “Eh bien, c’est moi” », a raconté Mme Raîche, 34 ans.

Raîche, aujourd’hui directrice générale adjointe et vice-présidente des opérations football des Browns de Cleveland, fait partie d’une vague de femmes récemment arrivées dans le football professionnel, assumant des rôles auparavant réservés aux hommes. À mesure que leur nombre augmente, les femmes utilisent leurs propres réseaux pour naviguer dans un univers masculin qui commence tout juste à s’ouvrir à elles.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Avant de faire le saut dans la NFL, Catherine Raîche a été directrice générale adjointe des opérations football des Alouettes de Montréal, en 2017.

Après que Jen Welter est devenue la première femme entraîneure adjointe de la NFL en 2015, Katie Sowers a été la première à jouer ce rôle lors d’un Super Bowl en 2020. En 2021, l’arbitre Sarah Thomas a été la première femme à officier durant le Super Bowl.

Selon la NFL, la ligue compte 10 entraîneures adjointes et près de 70 femmes occupent des postes techniques – dépistage, sélection et développement des joueurs.

« C’est formidable qu’il y ait tant d’intérêt aujourd’hui », dit Connie Carberg, 72 ans, que les Jets de New York ont engagée en 1974 comme secrétaire et qui a ensuite été promue dépisteuse, une première dans la NFL.

À l’époque, j’étais la seule femme. Aujourd’hui, elles apprécient vraiment ce travail et elles apprennent.

Connie Carberg, première dépisteuse dans la NFL

Pour qui rêve d’être directeur général ou entraîneur-chef, les postes d’entrée sont le plus souvent dépisteur ou entraîneur adjoint. Près de 75 % des DG actuels de la NFL – ceux qui supervisent les contrats des joueurs, le repêchage, les échanges et autres décisions importantes – ont débuté comme dépisteurs, évaluant des joueurs universitaires et professionnels en étudiant des vidéos, en assistant à des matchs et à des entraînements et en interrogeant des entraîneurs sur le caractère d’un athlète.

Selon Scott Pioli, ancien directeur général des Chiefs de Kansas City et ancien responsable du personnel des Patriots de la Nouvelle-Angleterre et des Falcons d’Atlanta, l’embauche à ces postes de débutant a été marquée par la discrimination raciale et sexuelle, ainsi que par le népotisme. Les entraîneurs et les administrateurs confiaient souvent ces postes à leurs fils, aux fils de leurs amis ou à d’ex-joueurs de la NFL.

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L’adjointe au directeur général et vice-présidente des opérations football des Browns de Cleveland, Catherine Raîche, à gauche, portant un gilet orange, discute avec un entraîneur adjoint durant le camp d’entraînement à Berea, en Ohio, le 4 septembre 2023.

« L’une des choses fascinantes que j’ai souvent entendues au fil des ans est : “Est-ce que ça va m’affecter, moi ou mon fils ?” », raconte Pioli, aujourd’hui analyste pour le NFL Network. « “Je veux que mon fils soit stagiaire durant un stage au camp d’entraînement, je veux que mon fils soit préposé aux ballons.” OK, mais ta fille, elle ? »

Deshaun Watson

La NFL s’ouvre de plus en plus aux femmes occupant des postes dans le personnel du football, mais on l’accuse aussi de discrimination envers certaines employées. Les procureurs généraux de New York et de la Californie ont annoncé en mai une enquête commune à ce sujet.

Raîche a été embauchée en mai 2022, deux mois après que les Browns eurent acquis des Texans de Houston le quart-arrière Deshaun Watson, que plus de 20 femmes accusaient de coercition et d’inconduite sexuelle lors de rendez-vous pour des massages.

Selon Mme Raîche, le directeur général Andrew Berry l’avait informée des recherches effectuées par l’équipe et un avocat indépendant avant d’offrir un contrat à Watson. Berry avait été le patron de Raîche lorsqu’ils travaillaient pour les Eagles de Philadelphie, où Raîche a commencé comme coordonnatrice des opérations football en 2019, avant d’être promue vice-présidente des opérations football.

« Je faisais pleinement confiance aux propriétaires et au plan d’Andrew et la diligence raisonnable et tout le travail qu’ils avaient fait avec leurs équipes respectives pour faire cette acquisition, a déclaré Raîche. Je n’avais vraiment aucune inquiétude en arrivant, compte tenu de tout le travail qui avait été fait pour s’assurer que nous ne négligions aucune piste. »

Le texto de groupe des professionnelles

La NFL a tenté d’établir des filières pour les femmes. En 2022, la NFL a inclus les femmes dans un règlement qui oblige les équipes à interviewer des candidats issus de minorités pour les postes de direction. Et depuis 2017, la NFL organise le Women’s Careers in Football Forum, où des femmes travaillant dans des équipes universitaires et professionnelles sont mises en contact avec des responsables de l’embauche.

Mais les femmes ont aussi développé leurs propres réseaux de soutien. Il y a trois ans, Mme Raîche et Ameena Soliman, directrice du personnel des Eagles, ont créé un groupe de discussion sur la messagerie WhatsApp destiné aux femmes faisant carrière dans la NFL. Elles utilisent un texto de groupe pour publier des offres d’emploi, célébrer des promotions et poser des questions sur le code vestimentaire de certains évènements. Au mois d’août, le groupe comptait 129 membres, dont des femmes occupant des fonctions diverses non liées aux postes d’entraîneurs.

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Catherine Raîche a été coordonnatrice des opérations football des Eagles avant d’être engagée par les Browns.

C’est agréable de se sentir connectée et de savoir que l’on a une communauté d’autres femmes.

Hannah Burnett, 28 ans, dépisteuse pour les Giants de New York

Burnett a été engagée en 2020 après deux saisons avec les Falcons d’Atlanta pour évaluer les joueurs de 13 États du Midwest et du Nord-Ouest. Elle vit à Denver et, en période de pointe, elle passe en moyenne 20 jours par mois sur la route. La vie itinérante des dépisteurs l’éloigne de ses collègues du stade des Giants, où elle se rend environ cinq fois par an pour le camp d’entraînement et les réunions prérepêchage.

Au fil du temps, Mme Raîche a noté que la plupart des participantes occupaient des postes d’entrée. Soliman (qui n’a pas souhaité collaborer à cet article) et elle ont réfléchi à des moyens d’offrir des occasions de développement de carrière. Elles organisent tous les trois mois des appels vidéo, durant lesquels on aborde des sujets généraux comme leur parcours professionnel en tant que femmes, le vocabulaire du dépistage ou même quels shorts porter au camp d’entraînement dans la chaleur de l’été.

Mme Soliman a lancé un programme de mentorat appariant des débutantes à des collègues expérimentées.

« Je trouvais qu’il manquait un moyen de communiquer entre femmes dans toute la ligue. En plus, on avait l’impression de ne pas savoir qui nous étions toutes, dit Mme Raîche. On voulait s’assurer qu’une fois dans la ligue, on pouvait encourager la progression dans la hiérarchie. »

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Quand Catherine Raîche était dépisteuse pour la LCF, il y a dix ans, il y avait peu de femmes dans ce métier et on lui demandait parfois sa carte de visite avant de la laisser entrer dans certains stades. On la voit ci-dessus en janvier 2017.

Mme Burnett n’a pas été associée à une mentore dans le cadre du groupe de discussion. D’abord, il y avait très peu de dépisteuses à l’époque, dit-elle. Et puis, elle avait comme confidente Kelly Kleine Van Calligan, directrice des opérations football des Broncos de Denver, qui avait elle-même été dépisteuse pour les Vikings du Minnesota. Elles habitent toutes deux près de Denver.

Mme Burnett est aujourd’hui mentore de Kasia Omilian, dépisteuse des Colts d’Indianapolis depuis 2021. Elles essaient de se parler au téléphone toutes les deux semaines. Les premières années sur la route peuvent être stressantes, dit Mme Burnett, alors elle lui offre son appui.

« Souvent, dans ce job, on internalise, on s’arrange avec ce qui arrive et on continue. Alors j’essaie d’être une oreille bienveillante, de lui donner mon avis, bref, de faire tout ce que je peux pour lui rendre la vie un peu plus facile. »

Cet article a été publié dans le New York Times.

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