Le Rouge et Or de l’Université Laval visite dimanche les Carabins de l’Université de Montréal pour un match de football décisif pour le championnat de la saison régulière. Les gradins seront remplis, l’ambiance sera survoltée et on devrait avoir droit à un beau match entre les deux grands rivaux du sport universitaire québécois.

Un retour « à la normale » en quelque sorte, même si la pandémie n’est pas terminée et que de nombreuses règles sanitaires continuent de s’appliquer. Et pour les responsables des deux programmes, Manon Simard à Montréal et Julie Dionne à Laval, cette reprise des activités sportives universitaires est le couronnement de formidables efforts de la part de tous les intervenants impliqués.

« C’est une pression énorme qui retombe », a avoué Mme Simard, directrice générale du CEPSUM et du sport d’excellence à l’Université de Montréal, cette semaine en entrevue. « Depuis 19 mois, on était devenus des experts en santé sans en avoir les compétences ; là, on peut commencer à nous concentrer un peu plus sur le sport, sur ce que nous aimons faire. »

Julie Dionne est aussi soulagée. « Ce n’est pas facile d’annoncer à des étudiants athlètes qu’ils vont devoir prendre une pause du sport, explique la directrice du service des activités sportives à l’Université Laval. Les gens de l’extérieur ne réalisent pas combien le sport et les études sont imbriqués dans la vie de ces jeunes. »

En tant qu’ancienne étudiante-athlète, j’avais beaucoup d’empathie pour eux, comme tous les membres de notre personnel, et nous avons vraiment fait tout ce qui était en notre pouvoir afin de limiter les effets de la pandémie.

Julie Dionne, directrice du service des activités sportives à l’Université Laval

Personne ne se doutait que la suspension des activités sportives universitaires serait aussi longue.

« Le 12 mars [2020], notre équipe de hockey féminin jouait son premier match des championnats canadiens dans les Maritimes, rappelle Manon Simard. Je me souviens avoir appelé Danièle Sauvageau [la directrice générale de l’équipe], au milieu de la première période, pour lui dire de se rendre à l’aéroport pour acheter des billets afin de ramener tout le monde tout de suite après le match. Elle m’a répondu : “Es-tu malade ?”, mais elle a vite compris que je ne blaguais pas.

« On a aussi ramené deux équipes de volleyball, notre équipe de natation, et le lendemain matin, tout le monde était à Montréal. Sur place, ils ne comprenaient pas la situation, ne voyaient pas la vague qui s’apprêtait à déferler, mais j’ai vite réalisé ce qui se passait et il n’était pas question de prendre des risques avec la santé de nos jeunes. »

Rester en contact

Mmes Dionne et Simard racontent n’avoir jamais eu à participer à autant de réunions qu’au cours des derniers mois.

« Curieusement, je n’ai probablement jamais été aussi souvent avec Glen [Constantin, l’entraîneur-chef de l’équipe de football] et tous nos entraîneurs, même si c’était virtuellement, souligne Julie Dionne. Nous avions des réunions presque tous les jours afin de faire le point sur la situation et de relayer les informations que nous recevions du RSEQ ou des autorités. C’était important de rester en contact, nous avec le personnel et eux avec tous les jeunes. »

À Montréal, Manon Simard ajoute : « L’Université a fait le choix de prioriser les entraîneurs, de garder tout le monde en poste, parce que ce sont eux qui sont en première ligne. Avec les préparateurs physiques et les physiothérapeutes, ils formaient le triangle qui assurait le contact avec nos étudiants athlètes. Grâce à eux, nous avons pu garder nos jeunes actifs et motivés dans leurs études. Nous sommes aussi chanceux d’avoir les ressources d’une communauté universitaire qui nous ont permis d’accompagner les jeunes dans tous les domaines, sur le plan psychologique notamment. »

À Québec, Julie Dionne a aussi mobilisé toutes les ressources de l’Université Laval. « L’automne dernier, quand on a dû annuler toutes les activités, ç’a vraiment été dur pour tout le monde. C’était lourd avec toutes les mauvaises nouvelles qui tombaient l’une après l’autre. Même dans la direction, on avait hâte d’avoir de bonnes choses à annoncer.

Nous avons un service d’aide psychologique et les demandes ont vraiment explosé à ce moment-là. Des fois, juste pour une consultation, pour parler, évacuer les pensées négatives ; d’autres fois, pour des situations plus graves, quand les jeunes vivaient des difficultés dans leur environnement proche.

Julie Dionne

Heureusement, avec l’assouplissement graduel, l’espoir est revenu.

« J’ai été impressionnée par la créativité de nos entraîneurs, explique Julie Dionne. Ils ont trouvé toutes sortes de façons d’aider leurs joueurs à rester actifs, tout en respectant les règles. Certains ont sorti tout leur équipement dehors, avec toutes les ressources que ça implique, d’autres ont fait déneiger nos terrains synthétiques un mois plus tôt que d’habitude, afin de profiter de toutes les petites ouvertures que les autorités nous accordaient. »

Et la reprise

Dans une perspective plus large, la pandémie a obligé tout le monde à travailler ensemble, même si c’était à distance. Une période d’adaptation a été nécessaire.

« Nous avons fait face à des visions différentes, à des réalités régionales différentes aussi, souligne Manon Simard. Nous ne vivions pas la même chose à Montréal qu’à Québec ou en région. Nous n’avions pas la même définition du problème, pas la même approche. Certains pesaient sur le gaz, alors que d’autres avaient les deux pieds sur les freins. »

Ç’a été long avant qu’on trouve une manière de travailler ensemble, alors que nos réalités étaient si différentes.

Manon Simard, directrice générale du CEPSUM et du sport d’excellence à l’Université de Montréal

« Au niveau canadien, on s’est vite repliés dans nos conférences, et ç’a été intéressant de voir comment chacune abordait le problème différemment. Ailleurs, ils ont multiplié les plans, en étant constamment obligés de les mettre à la poubelle. Ici, au Québec, on a préféré attendre les développements afin de garder une marge de manœuvre, si jamais il y avait une possibilité de relancer la machine.

« Je pense que ç’a été positif, même si on a peut-être poussé ça un peu trop loin, comme l’automne dernier, quand on a annulé la saison à la toute dernière minute. On voulait tellement et tous les directeurs étaient d’accord, mais c’est dommage que les jeunes en aient souffert quand la décision est tombée. »

« On y a cru jusqu’à la dernière minute, ajoute Julie Dionne. Je suis de nature optimiste, j’ai toujours pensé qu’on finirait par trouver une solution et j’ai travaillé jusqu’au bout pour que la saison puisse avoir lieu. Mais il faut savoir se rallier quand la situation est de toute évidence plus grande que le sport. »

Un an et demi plus tard, le sport universitaire est de retour et la saison d’automne bat son plein. Pour les Carabins, elle a pourtant bien failli ne pas commencer.

Manon Simard raconte : « Le mercredi de notre premier match de football à Sherbrooke, nous avons eu un cas positif, un seul joueur, mais de nouvelles consignes venaient d’être publiées, et ce n’était pas clair comment elles devaient s’appliquer. Le vendredi, on ne jouait plus le lendemain, et nous avons passé la soirée et une bonne partie de la nuit en conférence virtuelle avec les gens de Sherbrooke, du RSEQ, de la Santé publique…

« On a repris ça le samedi matin, pendant que toute notre équipe était réunie sur le terrain du CEPSUM dans l’attente d’une décision. De mon bureau, je les voyais faire les cent pas. Quand nous avons finalement eu l’autorisation, j’ai texté Marco [Iadeluca, l’entraîneur-chef] et je lui ai simplement souhaité : “Bon match, coach.” Je ne sais pas ce qu’il a dit aux gars, mais ils se sont tous levés en même temps en criant pour courir vers l’autobus. Le sentiment de relâchement qu’on a ressenti à ce moment-là était magique. »

À Québec, Julie Dionne souligne aussi combien la reprise des activités a été positive. « On était beaucoup dans la compétition, dans les résultats, mais la pandémie nous a fait retrouver le simple et grand plaisir de jouer, de s’entraîner, de pouvoir pratiquer notre sport.

Glen [Constantin] le répète souvent en conférence de presse et c’est un sentiment partagé par tout le monde dans le réseau universitaire. Ça va revenir, la compétition, sans doute dès dimanche avec le match de football, parce qu’on reste des gens compétitifs, mais on n’oubliera plus quelle chance nous avons.

Julie Dionne

Et les deux directrices sont déjà tournées vers l’après-pandémie et sur ses conséquences à long terme. « Il va y avoir des impacts pendant longtemps, ne serait-ce qu’en raison de l’arrêt du sport pour plusieurs et des effets que cela aura sur leur santé à long terme », explique Julie Dionne.

« On commence à peine à le réaliser, ajoute Manon Simard. Au cours des derniers mois, on était dans l’action, on trouvait des recettes pour s’ajuster, pour répondre aux besoins. Là, on commence à voir le backlash. Ça nous arrive d’un peu partout, souvent du “champ gauche”, et on réalise qu’on n’est pas formés pour ça, que ça exige d’autres ressources.

« La pandémie, on l’avait en pleine face, avec de grosses équipes médicales et l’engagement de tous les ordres de gouvernement. Il faudra aussi être prêt pour l’après-pandémie. »

Rencontre au sommet

Après un début de saison surprenant, des défaites étonnantes des deux équipes contre des rivaux inhabituels, les Carabins (5-1) et le Rouge et Or (5-2) ont retrouvé leurs marques et ils s’affronteront dimanche dans un match qui déterminera le champion de la saison régulière de la conférence québécoise de football universitaire. Vainqueurs à Québec le 18 septembre, 18-17, les Carabins tenteront de conserver leur ascendant devant leurs partisans. « Nous avons eu la même préparation que d’habitude, mais on sent les gars plus excités, c’est évident, a reconnu l’entraîneur-chef Marco Iadeluca en visioconférence. C’est un match spécial et il y a beaucoup d’intensité. » À Québec, l’entraîneur-chef Glen Constantin a aussi constaté : « C’est la plus grosse rivalité du sport étudiant au Québec et c’est vraiment excitant de vivre une telle semaine, aussi bien pour les joueurs que pour les entraîneurs. »