Les athlètes disent souvent qu'ils espèrent représenter un exemple à suivre pour les jeunes. Grand timide, Martin Bédard n'a pas cette prétention. Or, c'est précisément ce qu'il est: une inspiration non seulement pour la jeunesse, mais pour chacun d'entre nous.

L'une des beautés de couvrir la Ligue canadienne, c'est qu'on ne côtoie pas des joueurs dans leur petite bulle ou qui ont la tête grosse comme le Stade olympique. Le salaire de la grande majorité d'entre-eux est dans les cinq chiffres, pas dans les sept, et ça paraît.

Autre particularité de la LCF, la plupart des joueurs américains sont issus de milieux très défavorisés. Pour eux, les quartiers durs de Montréal se rapprochent davantage de Beverly Hills que de ceux dans lesquels ils ont grandi. Alors des vies difficiles, on pourrait vous en raconter jusqu'à ce que Gary Bettman et Donald Fehr règlent leur petit différend.

Mais aujourd'hui, c'est l'histoire d'un joueur québécois qu'on vous raconte. Celle du spécialiste des longues remises chez les Alouettes depuis 2009, Martin Bédard, alias «le bon gars». Ce sont deux mots qui reviennent constamment lorsqu'il est question du joueur de 28 ans, en français, comme en anglais (good guy).

Même si son travail passe presque inaperçu chez les Alouettes, Martin le fait très bien. C'est toutefois avant et après les entraînements ou les matchs du club qu'il brille le plus. À l'abri du regard des autres, lorsqu'il s'occupe de son frère Mathieu, qui ne peut plus marcher après avoir été victime d'un cancer, alors qu'il était âgé de 23 ans, en 2006. Les médecins ont découvert une tumeur dans son sacrum, un os de la partie inférieure de la colonne vertébrale.

«Le cancer était déjà trop avancé, alors on ne pouvait pas se limiter à la chimiothérapie. Il a donc fallu qu'on lui enlève l'os en entier. Le nerf sciatique a été sectionné et on lui a retiré les muscles fessiers. C'est une intervention très invasive, et tellement difficile et traumatique que les médecins estimaient qu'il avait de 15 à 20% de chances de survivre», raconte Bédard.

«Les médecins disent qu'il est un paraplégique de luxe, en quelque sorte. Il se déplace en fauteuil roulant, mais il a encore environ 10% de sensation dans ses jambes, ce qui lui permet de se lever debout pour de petits déplacements. Mais il est incapable de marcher car ses jambes sont atrophiées.»

Même s'ils n'habitent pas ensemble, il ne se passe presque pas un jour sans que Bédard se rende chez son frère. «On a réussi à lui trouver un logement adapté pour les personnes en fauteuil-roulant dans un HLM. Il habite près de chez moi, alors je vais faire l'épicerie avec lui, et je le conduis à ses rendez-vous dans les hôpitaux», explique Martin.

«Il ressentira toujours des douleurs intenses puisque plusieurs nerfs ont été touchés. On lui a donc inséré une pompe intrathécale à l'intérieur du corps qu'il doit faire remplir d'un cocktail de médicaments, dont de la morphine, chaque mois. Ce serait trop souffrant sinon. C'était illégal il n'y a pas si longtemps, mais c'était la seule solution dans son cas.»

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Bédard n'a pas toujours été seul à s'occuper de son frère. Mais malheureusement, la famille n'était pas au bout de ses malheurs, loin de là.

«C'est surtout ma mère qui s'occupait de mon frère au départ, mais elle est décédée quelques mois plus tard. Je l'ai appris la veille de mon premier match universitaire au Connecticut. En me couchant, j'étais super excité à l'idée de commencer ma carrière universitaire, puis l'entraîneur-chef est venu me réveiller à minuit et demi. C'est ma tante qui m'a annoncé la nouvelle au téléphone.»

Sylvie Desbiens est morte des suites de la leucémie. Elle était également atteinte de la maladie de Crohn et avait des problèmes cardiaques. «Le seul bon côté, c'est qu'elle n'a pas trop souffert. Son coeur a simplement cédé», dit Bédard.

Si l'état de santé de sa mère l'avait préparé au pire, Martin n'a jamais vu venir la prochaine tuile à lui tomber dessus. Son père Jocelyn lui a appris en janvier dernier que les médecins avaient trouvé une masse près de son côlon.

«Il m'a dit qu'il ne fallait pas s'en faire et que tout irait bien. À mes yeux, mon père était invincible, alors c'est ce que j'ai fais. Mais les choses ont dégénéré très vite. La masse a grossi, et le cancer s'est propagé aux poumons et au foie. Il a été opéré en février, et il est mort en mars, le jour de la fête de ma blonde et deux jours avant la mienne. On croyait qu'il s'en sortirait parce qu'il était en excellente forme physique, mais le cancer a été foudroyant.»

Martin se souvient des derniers jours de son père avec un mélange de joie et de tristesse. «Je lui avais promis que je resterais avec lui pour ses derniers jours. J'étais avec lui la dernière fois qu'il est allé dehors, c'était très émouvant. Il savait qu'il ne mettrait plus jamais les pieds à l'extérieur.»

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Après autant d'épreuves, on comprendrait Martin de baisser les bras. Ce serait toutefois mal le connaître.

«Martin a un coeur immense, et il n'a que de l'amour et de belles choses à offrir. Il est toujours prêt à aider les autres et il tient toujours parole. C'est mon meilleur ami, et c'est merveilleux de pouvoir compter sur quelqu'un comme lwui. C'est tellement un bon gars», résume le botteur Sean Whyte.

«Je suis devenu la figure paternelle de ma famille par la force des choses, même si je suis plus jeune que mon frère. Ce n'est pas toujours facile, mais tout le monde doit traverser des épreuves à un moment ou un autre. Si j'étais incapable d'accepter la situation, mon frère réagirait comment?» demande Martin.

«Il faut être un battant de nos jours. Il y a tellement de choses qui se déroulent dans le monde qu'on n'a pas le choix de regarder vers l'avant et de laisser le mauvais en arrière. Je fais ce que j'adore, et j'ai la chance de jouer pour l'équipe que je suivais en grandissant. Je ne suis pas un martyr.»

Martin n'a pas encore décidé ce qu'il fera au terme de sa carrière de joueur. Il a étudié en psychologie, et ne met pas une croix sur la possibilité de travailler dans ce domaine. Il aimerait également obtenir la chance de pouvoir raconter son histoire à des enfants et à des adolescents.

«Malgré ma gêne, j'aime travailler avec les gens. Je ne serai jamais à l'aise de donner une conférence devant 300 personnes, mais je trouve ça important de redonner à la société, surtout aux jeunes.»

Le Lavallois n'est toutefois pas encore à l'étape de sa deuxième carrière. Pour l'instant, il se concentre sur son travail avec les Alouettes, avec lesquels il a gagné la Coupe Grey à ses deux premières saisons professionnelles. Le spécialiste des longues remises a par contre un souhait.

«Je ne lui ai jamais dit parce que c'est un coéquipier, mais Anthony Calvillo est l'une des mes idoles. Il a été obligé de traverser plusieurs épreuves, lui aussi. L'un de mes grands rêves serait d'attraper l'une de ses passes au cours d'un match. Même si ce n'est qu'une passe de deux verges. Mais j'accepte mon rôle.» Voilà. Le message est passé.