Même s'il n'a jamais gagné la Coupe Grey comme joueur, Sam Etcheverry a été le plus grand quart de l'histoire des Alouettes. De l'amère défaite lors de la finale de 1954, à la Coupe Grey qu'il a remportée comme entraîneur-chef en 1970, le numéro 92 a marqué l'histoire des Oiseaux et du football canadien.

En Sam Etcheverry, mort samedi dans sa 80e année, les Alouettes et le football montréalais perdent leur plus glorieux fleuron. Comme joueur, entraîneur ou administrateur, Sam Etcheverry a été associé à trois équipes de Montréal sur une période couvrant plus de 30 ans. Plus que quiconque, il a contribué à populariser le football au Canada français.

L'ancienne star de l'université de Denver est arrivée ici en 1952, quand Montréal, brillant de mille feux, était encore la virevoltante métropole du Canada. Dans la Canadian Rugby Union, le touché ne vaut encore que cinq points et les joueurs - qui ne portent pas encore de protecteur facial - jouent en attaque et en défense où le jeune Etcheverry s'aligne comme secondeur.

Il est meilleur comme quart-arrière... Le nouveau coach des Alouettes, «Peahead» Walker, avait invité Etcheverry au camp après avoir vu sa photo dans un magazine: il aimait la position du jeune homme au moment de décocher sa passe... Samuel Etcheverry, fils d'immigrants européens - son père était français et sa mère basque - avait gagné le championnat du Nouveau-Mexique avec le high school de Carlsbad, sa ville natale, ce qui lui avait valu une bourse à Denver. Le trouvant trop frêle, aucune équipe de la NFL ne l'avait repêché après sa carrière universitaire: il sera un des huit Américains des Alouettes qui cherchent toujours «le Maurice Richard du football».

Etcheverry mène les Alouettes au championnat du Big Four à sa troisième saison. Il est nommé meilleur joueur au Canada la veille de ce match de la Coupe Grey de 1954, de triste mémoire. Les Alouettes mènent 25-20 en fin de match et Etcheverry fait une remise de routine à Hunsinger qui, vite rattrapé, tente une passe... ou échappe le ballon. Jackie Parker le ramasse, court les 90 verges jusqu'aux buts des Alouettes: touché, converti, 26-25 Edmonton, qui gagne la Coupe. Jusqu'à la fin de sa vie, Sam Etcheverry dira que l'arbitre aurait dû siffler après cette passe incomplète.

Janvier 1955. Le nom de Sam Etcheverry est sur toutes les lèvres. Le jeune quart-arrière - dont les Américains avaient suivi les exploits canadiens au réseau NBC - a signé deux contrats: un premier avec les Cards de Chicago et un autre, le lendemain, avec les Alouettes. L'affaire pousse la guerre NFL-Canada à son paroxysme et finira devant les tribunaux. Entretemps, celui que l'on appelle déjà le Rifle, à cause de son bras puissant, reste à Montréal. À la tête de l'une des meilleures attaques de l'histoire du football: les vieux fans des Alouettes se souviennent des Pat Abbruzzi, Red O'Quinn et du grand Hal Patterson, dit le Prince.

Pas aussi forts en défense toutefois, les Alouettes perdront encore la finale de la Coupe Grey aux mains des Eskimos en 1955 - le Rifle complète 30 passes pour 508 verges! - et en 1956, après qu'Etcheverry et son équipe eurent empilé les records, dont 22 dans la seule victoire de 82-14 contre Hamilton en octobre.

Dans les années qui suivent, les Alouettes battent de l'aile et le 9 novembre 1960, une nouvelle secoue la ville: Sam Etcheverry et Hal Patterson ont été échangés à Hamilton. Patterson y va, mais Etcheverry, se disant joueur autonome, se joint aux tristes Cards, rendus à St. Louis. Son séjour dans la NFL sera sans éclat: le Rifle n'a plus de bras.

Sam Etcheverry reviendra à Montréal, mais comme coach. En 1964, il devient entraîneur-chef des Rifles du Québec de la ligue United, nommés en son honneur par J.I. Albrecht. Quand, en 1965, les Rifles déménagent à Toronto, Sam reste à Montréal et revient avec les Alouettes comme adjoint de Jim Trimble... en tant que responsable de la défense! L'année suivante, Etcheverry entreprend une fructueuse carrière de courtier en valeurs mobilières. Il ne quittera plus le Québec.

En 1970, il revient avec les Alouettes pour un troisième séjour, comme entraîneur-chef, cette fois. Après une saison ordinaire, les Alouettes remportent leur deuxième Coupe Grey. Justice immanente: Sam Etcheverry a réussi comme coach ce qui lui avait échappé comme joueur. La parade sur la rue Sainte-Catherine qui marque la fin officieuse de la Crise d'octobre: le Rifle est dans la première décapotable avec le quart Sonny Wade, l'autre star de l'équipe. En 1972, le coach redevient courtier.

Quand, dix ans plus tard, les Alouettes font faillite, les Concordes leur succèdent et Sam Etcheverry est nommé président de la nouvelle équipe par Charles Bronfman. Ce sera son dernier poste officiel dans le football.

Mais il a toujours été meilleur au quart. Il portait le numéro 92 et dégainait comme pas un: on l'appelait le Rifle.

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Daniel Lemay est l'auteur de Montréal Football - Un siècle et des poussières, publié aux Éditions La Presse en 2006

 

Photo: Paul-Henri Talbot, archives La Presse

Le 29 novembre 1970, les Alouettes, champions de la Coupe Grey, défilent sur la rue Sainte-Catherine. L'entraîneur, Sam Etcheverry (à droite) aux côtés du quart Sonny Wade est dans la première décapotable de la parade.