Si Chris Froome n’était pas pour gagner à l’Alpe Huez, aussi bien que ce soit son compatriote Thomas Pidcock qui gâche le conte de fées pour écrire le sien.

Champion olympique de vélo de montagne, champion mondial de cyclo-cross, Pidcock a confirmé toute l’étendue de son potentiel sur la route en remportant la 12étape du Tour de France, jeudi, au sommet de la mythique montée aux 21 virages.

À 22 ans, le coureur d’Ineos-Grenadier en est à son baptême de la Grande Boucle. « Pas mal, n’est-ce pas ? s’est amusé le vainqueur, pince-sans-rire. Ça fait mon Tour de France jusqu’à maintenant. Même si quelque chose arrive et que je suis lâché tous les jours, je m’en fous. Une victoire d’étape à mon premier Tour, ce n’est pas mal. »

Après avoir perdu du temps la veille, Pidcock a pu rejoindre une échappée de sept coureurs en attaquant le peloton dans la descente du Galibier, exploitant ses formidables qualités de pilote développées sur le gravier et dans la boue. Au passage, il a goupillé Froome (Israel-Premier Tech), parti un peu plus tôt dans la montée.

Au pied de l’interminable col de la Croix de Fer (29 km), le groupe de sept fuyards s’était donné une avance d’un peu plus de sept minutes sur le peloton. Celui-ci était conduit avec autorité par les Jumbo-Visma du nouveau maillot jaune Jonas Vingegaard.

À cinq kilomètres du sommet, Pidcock a attaqué pour se débarrasser du bois mort. Louis Meintjes (Intermarché), Froome, Giulio Ciccone (Trek) et Neilson Powless (EF) se sont accrochés.

La bataille finale aurait lieu sur l’Alpe Huez au milieu de dizaines de milliers de partisans. Pidcock a accéléré tôt pour se donner quelques secondes de priorité sur Meintjes et Froome. L’élastique a fini par lâcher tant pour le Sud-Africain que le Britannique.

PHOTO MARCO BERTORELLO, AGENCE FRANCE-PRESSE

Thomas Pidcock

Pidcock a traversé la ligne les bras dans les airs, 48 s avant Mentjies (2e) et 2 min 6 s avant Froome (3e).

« C’est certainement l’une de mes meilleures expériences dans le cyclisme, c’était irréel », s’est extasié Pidcock, qui passe du 11e au 8rang au général. « Lorsque vous slalomez littéralement à travers les drapeaux, les poings et Dieu sait quoi d’autre, vous ne pouvez vivre cela nulle part ailleurs que sur l’Alpe d’Huez au Tour de France. »

La présence de Froome, de 15 ans son aîné, a rendu le moment encore plus mémorable.

C’est une légende et je viens de le battre à l’Alpe Huez. Il n’est peut-être pas aussi rapide qu’avant, mais il est toujours Chris Froome, n’est-ce pas ?

Tom Pidcock

Le quadruple vainqueur du Tour ne s’est pas montré à ce niveau depuis sa chute dramatique durant un échauffement pour le contre-la-montre au Critérium du Dauphiné en 2019. Selon ses proches, il aurait pu y laisser sa vie.

« Une petite victoire »

Ce ne fut pas le succès espéré, mais Froome ne cachait pas son soulagement à l’arrivée. « Cela ressemble à une petite victoire pour moi. C’était incroyable d’être à nouveau là-haut en plein milieu de l’action. Je crois que je peux m’endormir avec le sourire ce soir. »

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Chris Froome

Peu après, le Britannique a appelé son entraîneur Paulo Saldanha, de retour au Québec après avoir accompagné son célèbre protégé la semaine dernière.

« Il m’a dit : “Merci de toujours avoir cru en moi”, a relaté Saldanha au téléphone. Il pleurait presque et il était très émotif. »

Presque tout le monde a dit qu’il était fini, qu’il ne retrouverait plus jamais la forme. C’est sûr qu’il n’y est pas encore, mais au moins, c’est un peu d’énergie positive et d’espoir.

Paulo Saldanha, entraîneur de Chris Froome

En « bonne progression depuis deux mois », Froome a été ralenti par une « congestion » depuis le début du Tour au Danemark, le même ennui qui l’a forcé à abandonner le Dauphiné, a révélé l’entraîneur.

« On a eu peur. On lui a dit de prendre quelques jours de repos dans le peloton et de perdre du temps. C’était la bonne décision parce qu’il avait beaucoup d’énergie aujourd’hui. Il a quand même bien fait pour un gars qui était dans le gruppetto l’an dernier. Pidcock était simplement trop fort. »

Après le renversement dramatique de la veille dans le col du Granon, la course a retrouvé un scénario plus classique. Tractée par l’inépuisable Wout van Aert, la formation Jumbo-Visma de Vingegaard a découragé toute attaque jusqu’à l’Alpe, où le grimpeur américain Sepp Kuss a été impérial.

Le maillot blanc Tadej Pogačar (UAE) a placé deux mines avant l’arrivée, mais le Danois l’a neutralisé sur-le-champ. Ils sont rentrés ensemble sur la ligne, accompagnés de Geraint Thomas (Ineos). Victime d’un coup de chaleur, Romain Bardet (11e) a sauvé les meubles en ne perdant qu’une vingtaine de secondes sur ses rivaux directs. Le Français de DSM dégringole néanmoins à la 4position du général, au profit de Pogačar (2e) et de Thomas (3e). Ils sont désormais les trois seuls à moins de 3 minutes du maillot jaune.

« Impressionnant »

Décroché à 1 km du sommet de la Croix de Fer, Hugo Houle a retrouvé le peloton maillot jaune dans la descente. Pour économiser de l’énergie, le membre d’Israel-Premier Tech l’a accompagné jusqu’au pied de l’Alpe d’Huez, qu’il a escaladée à son rythme sous les encouragements des nombreux Canadiens et Québécois sur place. « Il y avait beaucoup de monde, beaucoup de bruit, c’est impressionnant », a dit celui qui a fini 50e à 19 min 40 s de Pidcock. Le Québécois a salué la prestation de son coéquipier Chris Froome : « Ça va le soulager et le remettre en confiance pour la suite. Il a eu une période pas trop facile, je suis donc content de le voir revenir à son niveau. » Antoine Duchesne et Guillaume Boivin ont terminé respectivement 62e et 119e. David Gaudu, coéquipier de Duchesne chez Groupama, a laissé quelques plumes au général, mais réussi à maintenir sa 7position (+ 4 min 17 s). Avec les Alpes dans le rétroviseur, quelques étapes de transition se profilent, où Houle pourrait tenter de partir en échappée. « Vendredi, il y a peut-être une chance d’arrivée au sprint, selon quelle équipe voudra contrôler ou pas. Les prochaines étapes s’annoncent très, très intéressantes. »