(Copenhague) La COVID-19 revient hanter le peloton cycliste. Au point qu’il faut se passer l’écouvillon dans le nez pour obtenir une autorisation spéciale d’interroger Antoine Duchesne en personne à Copenhague. Même à l’extérieur, à bonne distance et avec chacun un masque au visage.

Consigne du médecin de l’équipe Groupama-FDJ. Après tout, Thibaut Pinot et Stefan Küng, deux des principales vedettes de la formation, ont été infectés à la sortie du Tour de Suisse, il y a une dizaine de jours.

Mercredi, il a donc fallu faire un détour par une pharmacie avant de s’asseoir avec le Québécois de 30 ans, qui revient au Tour de France après une absence de six ans.

Quelques minutes avant le départ de la première étape, en 2016, il se souvient d’un conseil que lui avait donné son coéquipier Thomas Voeckler, qui en était à son 17e et dernier : « Hé, gamin, si tu n’as pas de frissons là, arrête le vélo tout de suite. »

« Oui, j’ai fait un long chemin pour revenir, mais ce n’est même pas par rapport au chemin. C’est d’être là. C’est le Tour de France, c’est fou ! »

N’empêche, Duchesne avait une tout autre approche à son premier essai.

« C’était un peu comme pour le montrer à tout le monde : “Oui, j’ai fait le Tour de France, je suis un cycliste professionnel.” Cette fois, le défi a été un peu plus personnel. Revenir après la mono [en 2020], les opérations [en 2019]. Durant ma carrière, j’ai eu beaucoup d’imprévus. Tout le monde en a, mais j’ai eu plus que ma part de dos d’âne sur ma route… »

PHOTO SIMON DROUIN, LA PRESSE

Antoine Duchesne revient au Tour de France après une absence de six ans.

Il a douté, n’a cessé d’entendre que la vitesse dans le peloton avait accéléré, s’est demandé s’il était à jour, lui, le coureur « à l’ancienne » qui ne calcule pas tout à l’entraînement.

« Tu te dis : “Est-ce que je suis capable de rouler à ce niveau-là ? Est-ce que je l’ai toujours ? Est-ce que j’étais juste bon dans le temps, quand on faisait un peu n’importe quoi ?” Ç’a été un gros défi à surmonter. Ça a rendu cette sélection encore plus belle. »

Puis Jules, son premier enfant, est né il y a deux mois. C’était une décision calculée avec sa femme, Chloé. La séparation n’a pas été plus facile quand il est allé les conduire à l’aéroport, dimanche. Jules rentrait au Québec pour rencontrer ses grands-pères pour la première fois.

« Habituellement, je la dépose et je m’en vais. Là, j’étais celui qui fait des bye-bye jusqu’à ce qu’ils passent la porte… Tu ne sais jamais comment ça va se dérouler, un premier voyage à 2 mois. Va-t-il pleurer pendant huit heures ? »

Il anticipe déjà la réunion avec la famille élargie, le 24 juillet, sur les Champs-Élysées. « Je rate quand même un tiers du début de sa vie. J’ai très hâte de le revoir, mais j’ai comme ce petit stress de ne plus le reconnaître… »

« De la tension chaque jour »

Galvanisé par son rôle d’équipier, le natif de Saguenay se sent prêt comme jamais pour épauler David Gaudu, qui sera pour la première fois leader unique de Groupama-FDJ.

J’ai vraiment eu une préparation idéale. C’est rare. Je pense que je n’ai jamais abordé un grand tour avec une aussi bonne préparation.

Antoine Duchesne

Duchesne jouera un rôle primordial lors des six premiers jours, où il devra éviter les pièges du Danemark et du nord de la France.

« Ce ne sera pas nécessairement dur physiquement. Mais c’est juste de la tension chaque jour. Il y a le fameux pont [de 18 km] samedi. De quel côté sera le vent ? Il faudra être placé pendant les 50 bornes avant d’y arriver. Il y a toujours beaucoup de chutes en première semaine. Tu ne gagnes rien, mais tu peux tout perdre [au général]. Dans chaque équipe, il y a trois gars comme moi qui se disent la même chose. »

En montagne, il tentera de filer un coup de main à Pinot, son partenaire de chambre pendant le Tour. Au fil des années, ils sont devenus de « vrais amis ».

PHOTO MARCO BERTORELLO, AGENCE FRANCE-PRESSE

À l’avant-plan : Antoine Duchesne (à gauche) et Thibaut Pinot

« On se parle beaucoup, il connaît ma famille, on a la même passion pour l’agriculture. Il a fait son premier jardin cette année. On parle de ça et des autres choses de la vie. Ça rend les semaines à l’extérieur beaucoup plus agréables. On est capables de déconner. Lui, il a toujours eu beaucoup de pression. Il a eu les culottes du capitaine dès sa première année. C’est un gars un peu sérieux. Moi, je sais ce que j’ai à faire, mais je suis incapable d’être vraiment très sérieux. »

Une sélection qui fait jaser

La sélection de Duchesne dans l’effectif de Groupama-FDJ a fait débat dans les réseaux sociaux en France. Des commentateurs auraient penché pour Bruno Armirail, récent champion français du contre-la-montre, qui ne s’est pas gêné pour exprimer son mécontentement après avoir été ignoré.

Duchesne a entendu parler des « bruits de couloir », mais a préféré s’en tenir loin. Il admet néanmoins qu’il est presque impossible de demeurer indifférent.

« Mes patrons m’ont sélectionné, ils m’ont dit pourquoi j’étais là, ce sont eux qui comptent. Le reste, Joe Bine dans son salon qui dit qu’untel aurait dû y être ou que je n’ai pas d’affaire là, ben regarde-le pas, le Tour, et sacre-moi patience ! »

Marc Madiot, directeur sportif principal de Groupama, a précisé que Duchesne avait été choisi pour ses qualités dans le vent et sur les pavés.

« Il est probable que sur un autre parcours, on n’aurait pas la même équipe au départ, a-t-il précisé à une question de La Presse en visioconférence. On s’adapte au parcours. C’est la raison pour laquelle il y a parfois des sélections de coureurs qui peuvent surprendre quand on regarde cela de l’extérieur. Mais quand on essaie de s’organiser de l’intérieur, on sait pourquoi c’est logique. »

Pinot a pour sa part souligné que Duchesne faisait partie des « tout meilleurs » de l’équipe « pour frotter et passer des pavés ».

« Il sera également très important pour la vie de groupe, a ajouté le troisième du Tour en 2014. On a vraiment besoin de lui pour faire un bon résultat à Paris. »