Peter Sagan ne pouvait choisir meilleur timing. Au moment où le Tour d’Italie est ébranlé par le retrait de deux équipes majeures en raison de cas positifs à la COVID-19, le Slovaque a décroché sa première victoire en plus de 15 mois à l’issue d’une chevauchée remarquable, mardi.

Le 13 septembre 2019, Sagan avait terminé deuxième au Grand Prix cycliste de Québec, derrière l’Australien Michael Matthews. À l’époque, ça ressemblait presque à un accident de parcours pour celui qui avait signé sa 100e victoire professionnelle au même endroit deux ans plus tôt.

Deux semaines plus tard, Sagan s’était classé cinquième aux Championnats du monde en Grande-Bretagne, où le triple lauréat avait raté la bonne échappée. Tiens donc.

La malchance s’est poursuivie cette année, avant et après la pandémie : deuxième d’étape au Tour de San Juan, en Argentine, et à Paris-Nice. À la reprise, il est encore passé proche à Milan-San Remo (4e), monument qui lui échappe toujours.

Au Tour de France, Sagan avait presque l’air éteint, incapable de faire la différence, même sur les étapes ondulées. Il a perdu le maillot vert sur un sprint échevelé qui lui a valu une relégation. Malgré de multiples tentatives, il n’a jamais réussi à reprendre une tunique qu’il avait ramenée à Paris un record de sept fois depuis 2012.

Avec l’émergence d’une nouvelle vague (Pogačar, Van Aert, Hirschi et cie), Sagan paraissait sur la pente descendante. À 30 ans, déjà.

Le début du Giro, qu’il gratifiait de sa présence pour la première fois, semblait confirmer cette baisse de régime pour le flamboyant sprinteur.

« Je pourrais aussi être heureux avec une deuxième place », lâchait-il en haussant les épaules après un autre essai raté à la deuxième étape. De fait, il s’est ensuite fait battre deux fois par Arnaud Démare, en état de grâce la semaine dernière.

461 jours

Tout ça pour dire que personne ne donnait cher de sa peau quand il s’est lancé dans un nouveau raid lors de la 10e étape, mardi. Encore moins quand l’équipe Groupama-FDJ s’est lancée à sa poursuite pour défendre le maillot cyclamen de Démare, l’équivalent du vert au Tour de France, à l’approche du sprint intermédiaire.

Sagan a refusé de s’écraser. Sous son impulsion et celle du rouleur italien Filipo Ganna (Ineos), déjà double gagnant d’étape, l’échappée de neuf a tenu la dragée haute aux Groupama, forcés d’abdiquer après une trentaine de kilomètres malgré la contribution de Démare lui-même.

Avec 85 kilomètres à faire et plusieurs murs à escalader, ce n’était qu’un début pour cette étape traversant les Abruzzes. Avec la présence de deux Ineos (Ganna et le champion britannique Ben Swift), deux Movistar (Cataldo et Villela), le Colombien Restrepo (Androni) et le vétéran australien Simon Clarke (EF), la partie était loin d’être gagnée pour Sagan.

Le peloton, mené par les UAE de Diego Ulissi et les NTT de Domenico Pozzovivo, n’avait pas dit son dernier mot non plus.

Mais Sagan était déterminé à mettre un terme à sa disette, qui remontait à la cinquième étape du Tour de France de 2019, 461 jours plus tôt.

Sur son terrain de prédilection et sous la pluie, le Slovaque de la Bora a répondu à toutes les attaques. À 12 km de la ligne à Tortoreto, il a largué Swift (4e), son dernier compagnon d’échappée, au moment où l’Espagnol Pello Bilbao, troisième du général, s’apprêtait à les rejoindre depuis un groupe des favoris déjà épuré, qui pointait à 30 secondes.

Dans le dernier kilomètre, tandis qu’un arc-en-ciel se formait au-dessus de la mer Adriatique, l’ex-triple champion mondial a pu savourer ce triomphe attendu. Il ne s’est pas retenu pour réclamer davantage d’applaudissements du public épars qui longeait la ligne d’arrivée.

Au diffuseur international, Sagan a dit qu’il n’avait pas planifié cette échappée, se disant résigné après cette enfilade de places d’honneur. « Finalement, la victoire arrive, a-t-il constaté dans son anglais approximatif. J’en suis très heureux. »

J’ai gagné à ma façon. Je fais la course, je donne un peu le show, je prends la victoire. C’est quelque chose de spécial.

Peter Sagan

Auteur d’une attaque à 4 km du fil, le jeune Américain Brandon McNulty (UAE) s’est classé deuxième à 19 secondes, quatre secondes devant le maillot rose portugais Joao Almeida (Deceuninck), révélation de ce Giro.

Victime d’une crevaison à 10 km, Jakob Fuglsang est le grand perdant du jour. Le Danois d’Astana a cédé 1 min 15 s et recule du sixième au 11e rang du général. Toujours quatrième, Pozzovivo a su éviter le pire après un ennui mécanique.

Huit tests positifs

Ce triomphe de Sagan, dont la présence en Italie était espérée depuis des années, est tombé à point pour le Giro. Au lendemain de la première journée de repos, les organisateurs ont annoncé huit tests positifs à la COVID-19 chez les cyclistes et les membres du personnel.

Parmi eux, deux coureurs de renom : Matthews et le Néerlandais Steven Kruijswijk, 11e au général et candidat à la victoire finale. Tout le reste de son équipe Jumbo-Visma a plié bagage avant le départ. La veille, Jos Van Emden, un ancien vainqueur d’étape, avait mis en cause la sécurité déficiente à l’hôtel dans une entrevue au Cycling Podcast.

PHOTO DARIO BELINGHERI, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Steven Kruijswijk

Déjà privée de Simon Yates, autre favori infecté par la COVID-19 samedi, Mitchelton-Scott a appris que quatre employés étaient aussi touchés. La formation australienne a décidé de se retirer, en accord avec la direction de la course.

Avec 144 coureurs sur 174 toujours en lice, le Giro doit franchir la mi-parcours lors de la 11e étape, mercredi, 182 km de plat entre Porto Sant’Elpidio et Rimini, où Démare visera un quatrième succès. Avec le nuage noir de la COVID-19 qui plane, il faudra plus qu’un arc-en-ciel pour se rendre jusqu’à Milan.