Les kilomètres franchis à pied pour entrer, sortir et arpenter le circuit s'accumulent. Un jour, il faudrait mesurer la distance que parcourt un journaliste pendant une semaine de course. En F1, les circuits font quatre kilomètres. Ici, c'est le triple.

Les kilomètres franchis à pied pour entrer, sortir et arpenter le circuit s'accumulent. Un jour, il faudrait mesurer la distance que parcourt un journaliste pendant une semaine de course. En F1, les circuits font quatre kilomètres. Ici, c'est le triple.

Puis, comme une délivrance, la course arrive. On l'imagine: les 55 moteurs qui franchissent la ligne de départ après un tour lancé produisent un vacarme de guerre mondiale.

Ici, une étrange trame sonore précède la vague. Dans les gradins, des haut-parleurs émettent une musique inconnue, comme un crescendo d'instruments qui s'accordent et montent en puissance. Les voitures approchent de la première ligne droite. Ça sent l'attaque aérienne. Le bruit des moteurs finit par enterrer la musique. À son climax, c'est tellement fort que la terre en tremble. Les voitures passent en un clin d'oeil. Bang! La course est lancée.

La routine s'installe peu à peu lorsque les tours s'accumulent. Le jour se retire et la marche des meneurs se confirme. La voiture de tête trouve son rythme et le maintient avec une fréquence hypnotique: 3min30, 3min33, 3min28, 3min32. C'est la loi de la cadence. Le fameux pace qui dicte la vie et la mort des coureurs longue distance.

Dans la salle de presse, rendue trop petite par l'afflux soudain de 2000 journalistes, le temps ne s'arrête jamais. Les décalages horaires se côtoient: les Européens se crispent en fin de soirée, alors que les Américains attendent le milieu de la nuit pour envoyer un premier texte. Les Japonais, on ne le sait jamais. Ils sont toujours là à discuter entre eux. Peut-être travaillent-ils pendant que tout le monde dort?

Sur toutes les tables, trônent les petites potions qui permettent de franchir la nuit. Red Bull, ginseng. Et surtout, beaucoup de café. La distributrice au milieu de la salle tourne aussi vite que les V12. Vers 22h, une défaillance détectée au niveau du filtre à café jette une ombre de panique dans les regards. Ouf! L'avarie est vite réparée et la machine reprend sa course.

Les textes de la première journée envoyés, c'est l'heure de la sieste. Les journalistes dorment dans toutes positions: affalés sur leur bureau, couchés sous une table. Les plus prévoyants ont apporté leur kit de camping. On sommeille au son des Saleen qui ralentissent devant les puits, assoiffées de carburant après leur galopade. De temps à autre, on ouvre un oeil: le pace tient toujours... 3min29, 3min34, 3min33... Le journaliste dort.

Un autre coup d'oeil et il fait soudain jour. Les gradins sont vides, sauf pour quelques amateurs compulsifs qui y ont passé la nuit, mal assis sur leur petite marche de béton. La machine n'a jamais cessé de tourner.

Les voitures sont toujours en piste. Vont toujours aussi vite. Aussi vite que possible. Le rythme n'a jamais ralenti. Même si on compte maintenant plus de 15 heures de course.

On comprend alors que cette épreuve est d'un autre type. Une course complètement folle, conçue et aimée par des types complètement fous. Pourquoi souffrir pendant tant d'heures, scotché à une voiture de course?

C'est ça le pace. C'est la passion.