Puis il y a eu Zolder. Le 8 mai 1982. Le jour où la mort a fait irruption dans ma vie. Le jour où Gilles Villeneuve s'est tué.

Puis il y a eu Zolder. Le 8 mai 1982. Le jour où la mort a fait irruption dans ma vie. Le jour où Gilles Villeneuve s'est tué.

Les images de Villeneuve, éjecté de sa Ferrari numéro 27 et projeté dans les airs, son corps survolant la piste pour aller s'écraser lourdement contre des grillages de sécurité, ces images ne me quitteront jamais. Un quart de siècle plus tard, elles me terrorisent encore.

Dans les heures qui ont suivi l'accident, pendant que Villeneuve était branché à un respirateur dans un hôpital de Louvain, j'ai appris une expression dont j'ignorais l'existence : «cliniquement mort». Et j'ai dû me faire à l'idée que Gilles Villeneuve ne reviendrait plus.

La perte de l'innocence est un thème maintes fois rabâché dans la littérature et au cinéma. Un cliché. N'empêche. C'est ce que représente pour moi la mort de Gilles Villeneuve : une première prise de conscience de la fragilité de l'existence, un premier aperçu de la cruauté du sort.

Gilles Villeneuve était mon héros. Il y a quelques semaines, La Presse a sondé ses lecteurs pour choisir le plus grand athlète des 30 dernières années. J'ai écrit un papier pour nommer mes trois grands à moi : Gaétan Boucher, Mario Lemieux et Pierre Harvey. Mais si on m'avait demandé de nommer l'athlète qui m'a le plus marqué, celui qui m'a fait le plus fait rêver, un seul choix aurait été possible : Gilles Villeneuve.

J'ai grandi avec Gilles Villeneuve. J'avais tout juste 5 ans quand il a pris le départ de son premier Grand Prix, son seul chez McLaren. J'étais à un mois de mon 10e anniversaire quand sa Ferrari s'est envolée en heurtant la March de Jochen Mass. Cinq trop courtes années pour un homme pressé, mais une éternité dans la vie d'un enfant.

Gilles Villeneuve était mon héros. Parce que Villeneuve était héroïque. Comme lors de sa bagarre épique avec René Arnoux, à Dijon, en 1979. Comme sous le déluge, à Montréal, en 1981, lorsqu'il a fini troisième, la vision obstruée par le museau tordu de sa Ferrari, qu'il a finalement arraché en allant le frotter sur les vibreurs.

Des flashes me reviennent, repêchés au tréfonds de ma mémoire. Une pub d'American Express où Gilles arrivait dans sa Ferrari «de ville». Des titres dans les journaux soulignant ses victoires consécutives à Monaco et à Jarama, en 1981. Le pilote Patrick Tambay qui dit «c'est de la merde» en apprenant la mort de son ami.

J'étais trop jeune pour situer Villeneuve par rapport aux autres grands de la F1. Trop jeune, sans doute, pour apprécier pleinement les subtilités de son pilotage. Trop jeune, surtout, pour comprendre que Ferrari lui fournissait des charrettes indignes de son talent.

Mais j'étais assez vieux pour comprendre que ce petit homme au sourire triste était un brave, un pur coureur, un virtuose qui ne connaissait pas le mot «limites», sauf quand venait le temps de les dépasser. J'étais assez vieux pour comprendre que Villeneuve était un passionné qui vivait pour son sport.

Et le 8 mai 1982, j'ai compris que ce qui nous fait vivre peut aussi nous tuer.