Jeudi matin, Pierre Houde s’est présenté sur le circuit Gilles-Villeneuve pour son énième Grand Prix du Canada. Une fois son véhicule garé, il a longé le bassin à pied. En regardant le paddock au loin, il a pensé : « Mon Dieu, je suis tellement heureux ! »

Voix de la Formule 1 au Québec depuis plus de 30 ans, Pierre Houde aurait tous les droits d’accrocher son micro s’il le souhaitait – même si une telle décision chagrinerait bon nombre de téléspectateurs.

Chaque année, avant le Grand Prix du Canada, le descripteur chevronné du Réseau des Sports (RDS) fait une petite introspection. « Est-ce que j’ai encore le goût ? », s’interroge-t-il.

Le verdict est toujours le même. Le sentiment qui l’habite chaque année à la mi-juin, quand il met les pieds sur le circuit Gilles-Villeneuve, lui fait réaliser combien la flamme brûle toujours aussi fort.

« Ce n’est pas plus scientifique que ça. Tant que ça, c’est là, tu te dis : pourquoi arrêter ? », lance-t-il dans un sourire, attablé avec La Presse, vendredi matin.

Pour tout dire, M. Houde n’aurait même pas eu besoin de nous dire qu’il est passionné. On l’avait compris la veille, lors d’une longue conversation entre collègues dans les corridors du centre média. « Quand j’entre ici, c’est la passion qui ressort ! », nous avait-il lancé avant que chacun ne retourne à sa tâche.

La « piqûre »

Pierre Houde peut vous dire la journée exacte où cette passion pour la Formule 1 s’est éveillée. C’était en 1982, « le vendredi » du Grand Prix du Canada. Vérification faite, c’était le 11 juin.

À l’époque, le jeune Pierre de 23 ans était nouvellement directeur des émissions pour la station de radio CKVL, qui venait d’obtenir les droits de diffusion et de promotion exclusifs pour la Formule 1.

En arrivant sur le circuit montréalais cette journée-là, M. Houde n’avait encore jamais vu une monoplace en vrai.

« On installe nos trucs et je vois une F1 pour la première fois sur le circuit. Et là, tiens ! », s’exclame-t-il en mimant une piqûre sur son bras gauche. « La piqûre totale, tout de suite. »

Au fil des années, M. Houde a occupé différents postes au sein de l’organisation de l’évènement montréalais. Il en a même été le directeur en 1985 et 1986, alors qu’il n’avait que 27 ans.

Puis il a travaillé un an en publicité pour l’agence Cossette, avant de faire de la pige pour Radio-Canada, alors diffuseur de la F1. C’est en 1993 que son aventure comme descripteur de la F1 chez RDS s’est amorcée, lorsque le réseau en a acquis les droits de diffusion.

La célèbre signature

« Les rouges s’éteignent et on roule ! »

Tout amateur de Formule 1 québécois qui se respecte connaît cette phrase. Beaucoup ont sans doute souri en la lisant. Mais d’où vient donc cet énoncé qui est devenu, au fil des années, la signature de Pierre Houde ?

« C’est en deux volets, explique le principal intéressé. Les rouges s’éteignent, ça n’a pas toujours été ça, parce qu’avant, c’était un vert. Au début, je disais : on passe au vert et on roule ! »

Quant au deuxième volet, ce « on roule » qui sonne comme de la musique aux oreilles des téléspectateurs, il ne vient pas de la F1. M. Houde l’a utilisé pour la première fois en 1990, lors d’un évènement de sport prototype organisé à Montréal par la compagnie de tabac Player’s.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Au circuit Gilles-Villeneuve, en 2012, avec son collègue Bertrand Houle

« J’étais avec Christian Tortora sur le bord de la piste – non pas dans une structure fermée comme ici – et avec le délégué technique de la FIA, Yvon Léon. Après quatre ou cinq tours, j’étais émerveillé par ce que je voyais. […] C’est sorti de ma bouche, j’ai dit : “Mon Dieu, ma parole, Christian, on roule sur le circuit Gilles-Villeneuve !” Christian me faisait signe, ils ont eu la chair de poule. »

Trente-trois ans plus tard, Pierre Houde se fait souvent interpeller dans la rue ou à l’épicerie par des téléspectateurs qui lui parlent de cette signature – ou de son célèbre « et le but ! ». L’homme de 65 ans a su se tailler une douillette place non seulement dans le salon des amateurs de sports, mais aussi dans leur cœur.

« C’est très touchant. Je le dis avec beaucoup d’humilité et je suis sûr que Bertrand [Houle, son acolyte à la description] dirait la même chose. Nous, on n’a pas les moyens de Sky Sports. On est bien conscients que TSN, notre station mère, diffuse les reportages de Sky Sports qui sont faits avec des moyens plus que colossaux. »

« On essaie de trouver nos ingrédients qu’on croit être les meilleurs, c’est-à-dire notre passion, notre connaissance. On travaille tous les deux extrêmement fort. »

Des larmes et des joies

À travers les années, Pierre Houde a eu à mettre des mots sur de nombreux évènements, certains tragiques, d’autres heureux. À savoir quel est son pire souvenir, il n’hésite pas : la mort de Greg Moore, en IndyCar, en 1999.

À l’époque, M. Houde enseignait l’élocution et les façons de se comporter en entrevue aux pilotes de la Player’s, dont Moore.

« On avait fait une séance, quelques semaines avant. Il était gentil comme tout, lui. C’était un talent exceptionnel. Moi, je pense qu’il s’en venait en F1. Décrire sa course fatale en direct, ç’a été terrible. »

« Rarement, on annonce le décès d’un pilote sur le site, mais là, l’IndyCar a annoncé son décès. Je n’ai pas été capable de continuer », raconte-t-il avant de marquer une pause, le regard fixe et embué par l’émotion. « Et tu le sais, reprend-il. Dans son cas, il n’y avait pas de doute. »

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

Jacques Villeneuve, champion du monde de Formule 1 en 1997

Et son meilleur souvenir ? La réponse est tout aussi instinctive. « Il n’y a rien qui va battre le championnat de Jacques [Villeneuve] en 1997. »

Avant de laisser aller M. Houde à sa préparation pour les essais libres, on ne peut pas s’empêcher de lui poser la question qui tue : combien de temps pense-t-il encore être descripteur ?

« C’est drôle parce que j’ai rencontré un jeune tantôt dans la ligne des puits. Il était tellement content de me rencontrer, il me dit : “C’est ça que je veux faire dans la vie !” Je lui ai fait une blague et j’ai dit : “Sois patient, dans 50 ans je devrais me retirer !” », s’exclame-t-il dans un éclat de rire.