Les premières heures d’une révolution sont fascinantes. Ça brasse. Ça bouillonne. Les plaques tectoniques bougent. Jusqu’où ça ira ? Aucune idée.

C’est la situation dans laquelle se trouve la F1. La voici au petit matin d’une révolution tranquille. Celle de l’intelligence artificielle.

L’IA est appelée à jouer un rôle central dans l’évolution de la course automobile. Mettez-vous dans les souliers d’un directeur d’équipe. Vous gérez deux voitures. Chacune produit un million de données par seconde. Multipliez ça par 5400 secondes. Croisez ensuite ces données avec celles sur le vent, la pluie, la température et la qualité de la piste. Ah oui, gardez aussi un œil sur vos 18 concurrents. Aucun être humain, pas même le champion mondial du cube Rubik, ne peut battre l’IA pour traiter autant d’informations instantanément.

Stefano Maltomini peut en témoigner. Il s’occupe des opérations numériques et des données chez Ferrari. Je l’ai rencontré dans les quartiers de l’écurie, vendredi, avant les essais libres. La Scuderia, dit-il, fait déjà une belle place à l’IA.

Comment ?

« Nos voitures de F1 sont équipées de centaines de petits capteurs qui nous relayaient des données. En plus de coûter cher, ces capteurs alourdissaient la voiture. Avec l’aide de notre partenaire AWS, nous avons développé un réseau neuronal qui reproduit les signaux des capteurs. »

Concrètement, Ferrari a laissé tomber une partie des capteurs de vitesse au sol dans ses voitures. Ses ingénieurs se fient maintenant à des algorithmes alimentés par les données qu’AWS recueille tout autour du circuit. « Et notre voiture, elle, est plus légère ! », s’enthousiasme Stefano Maltomini.

Les projets impliquant l’IA se multiplient en F1. Pensez à tout ce qui est prédictible, comme la consommation d’essence et l’usure des pneus. Ou encore, aux modifications qu’on peut apporter au design des voitures pour améliorer l’aérodynamisme.

Neil Ralph, spécialiste principal de l’industrie du sport chez AWS, travaille étroitement avec la F1 pour créer de nouveaux outils. Son équipe a développé 23 paramètres qui peuvent servir aussi bien aux équipes qu’aux télédiffuseurs. Il nous en a montré quelques-uns, vendredi. Le plus spectaculaire, c’est celui qui permet de prédire la probabilité d’un dépassement après un arrêt aux puits.

Pour démontrer la puissance de l’outil, Neil Ralph montre une lutte réelle qui s’est produite entre deux pilotes au Grand Prix du Qatar. Au bas de l’écran, on peut suivre en direct les probabilités que Lewis Hamilton dépasse le pilote qui le précède. En l’espace de seulement quelques secondes, ses chances de réussite passent de 68 % à 82 %. Voilà une information pertinente, tant pour les ingénieurs que pour les amateurs.

PHOTO JACOB NIBLETT, SHUTTERSTOCK STUDIOS

Le centre technique de la F1

La Formule 1 se sert d’ailleurs beaucoup de l’IA pour améliorer l’expérience des téléspectateurs. Plusieurs applications sont techniques – les zooms, les ralentis, la publicité virtuelle. Mais il y a aussi des outils ludiques qui nous permettent de mieux apprécier la course, comme un graphique indiquant le nombre de centimètres entre une voiture et un mur. Du bonbon, pour ceux qui suivent la course à la maison.

AWS et la F1 ont aussi développé un logiciel pour aider les télédiffuseurs à trouver plus rapidement des réponses à leurs questions. L’équivalent d’un ChatGPT entièrement consacré à la F1. Cette innovation emballe le directeur de la télédiffusion des courses, Dean Locke.

« L’année dernière, Max Verstappen battait des records course après course. C’était remarquable. Tellement qu’on en perdait le fil. Était-ce sa neuvième victoire d’affilée ? Sa dixième position de tête consécutive ? » Le logiciel fournissait la réponse instantanément.

« On peut également s’en servir pour des statistiques plus obscures. Par exemple, à quel tour Fernando Alonso deviendra-t-il le pilote comptant le plus de tours en Formule 1. Ou bien, à quand remonte la dernière fois qu’un Japonais a mené une course ? »

Pour vous dire à quel point l’IA emballe la F1, même le trophée qui sera remis à Montréal, dimanche, a été créé avec l’aide d’une intelligence artificielle.

PHOTO GARETH HACKER, FOURNIE PAR AWS

Le trophée qui sera remis dimanche à Montréal

Et maintenant, la grande question : jusqu’où ça ira ? La révolution avalera-t-elle bientôt les ingénieurs, les techniciens et les recherchistes ?

Non, estiment les experts que j’ai consultés.

« Les algorithmes n’émergent pas de nulle part, fait valoir Stefano Maltomini. Ce sont des ingénieurs qui ont utilisé leur savoir pour les programmer […] Le temps que nos ingénieurs consacraient à analyser des données sert maintenant à autre chose. Ça laisse plus de place à leur créativité, à leur intuition et à l’intelligence humaine. »

L’IA, ajoute Dean Locke, « nous a rendus meilleurs. Elle nous permet de faire des choses incroyablement vite. Et ça tombe bien, car en F1, tout se passe incroyablement vite ».