On attend toujours une première surprise dans cette phase éliminatoire de la Coupe du monde. Si j’avais à parier un p’tit deux, ce serait sur le Maroc face à l’Espagne, ce mardi. Lundi, la logique a encore une fois été respectée, grâce aux Croates, qui ont défait les Japonais aux tirs de barrage (1-1, 3 t. a. b. à 1).

Les Japonais, qui s’étaient offert deux des trois derniers champions du monde en matchs de groupe, n’ont pu prendre la mesure des vice-champions de 2018. Ce n’est pas faute d’avoir essayé. À la fin de la première mi-temps, on croyait bien que cette Tokyo Story, comme dirait le maître du septième art Yasujirô Ozu, allait se poursuivre et que les Samouraïs bleus allaient franchir, pour la première fois, la barrière des huitièmes de finale.

Les Japonais ont échoué à la même étape trois fois. J’étais sur place en 2002, à Miyagi, face à la Turquie (0-1). En 2010, le Paraguay fut déclaré vainqueur après la séance de tirs au but, puis en 2018, après avoir mené 2-0, les Japonais se sont inclinés devant la Belgique à la 94minute. Crève-cœur, vous dites ?

De son côté, la Croatie, une nation de seulement quatre millions d’habitants qui se démarque sur la scène du soccer mondial depuis son indépendance, a atteint les demi-finales du Mondial de 1998 et la finale de 2018, battue chaque fois par la France.

Quitte à ressasser des souvenirs de vieux chroniqueur, j’ai vu et les Croates de Davor Šuker et les Japonais d’Hidetoshi Nakata à leurs premières présences respectives en Coupe du monde, en 1998. En phase de groupe, la Croatie l’avait emporté 1-0, sur un but de Šuker, dont le record de buts pour la sélection nationale a été égalé par nul autre qu’Ivan Perišić, lundi.

Au stade Al Janoub, les Croates ont mis du temps à mettre la machine en marche, avec son fameux trio de milieux de terrain Modrić-Brozović-Kovačić peinant à s’imposer et gaspillant bien des ballons. C’est plutôt le meneur japonais Ritsu Doan qui a le plus animé le jeu en première mi-temps.

PHOTO ANNE-CHRISTINE POUJOULAT, AGENCE FRANCE-PRESSE

Ritsu Doan et Luka Modrić

Le Japon est parti en lion. Taniguchi qui a failli recadrer un centre de la tête en début de match. Puis un centre au cordeau, à la 12minute, est passé à une rangée de crampons d’être redirigé dans le but croate. Quatre minutes plus tard, Daizen Maeda aurait marqué s’il avait des cheveux comme Cristiano Ronaldo…

L’attaquant du Celtic de Glasgow, et nouveau coéquipier en club d’Alistair Johnston, a finalement marqué à bout portant, dans la petite surface, juste avant la mi-temps, après un coup de pied court parfaitement exécuté et sans doute soigneusement préparé par le Japon à l’entraînement.

Les Japonais ont d’abord joué avec beaucoup de confiance, se contentant de laisser l’essentiel de la possession aux Croates (59 %) et imposant le tempo, au rythme des chants incessants de leurs supporteurs (un véritable ver d’oreille).

Le Japon avait adopté de nouveau la stratégie du contre, qui lui avait souri en match de poule face à l’Espagne et à l’Allemagne. Mais le manque de tranchant dans le dernier tiers – notamment de Kamada, pourtant prolifique à Francfort cette saison – a fini par lui coûter cher.

Les Croates aussi ont manqué d’opportunisme en première période, leurs salves d’attaques échouant sur la défense nipponne. Jusqu’à ce que Perišić égalise à la 55minute, d’une fabuleuse reprise de tête de quelque 15 mètres. L’homme des grandes occasions, qui a marqué à ses trois participations à la Coupe du monde, notamment en finale et en demi-finale en 2018, disputait son 100match pour la Croatie.

Le Petit Prince Modrić, 37 ans, n’était pas au mieux en première mi-temps. Le joueur du Mondial – et du monde – de 2018 a commencé à dicter le ton du match, en bon chef d’orchestre qui donne le la, puis a cadré une puissante frappe à la 63e minute.

Malheureusement, ce match qui avait offert jusque-là du jeu offensif et séduisant, grâce au dynamisme et à la rapidité d’exécution des Japonais surtout, s’est ensuite complètement refermé. À l’avantage des vieux briscards croates qui, avec le temps, voyaient la prolongation arriver et reprenaient confiance.

Il faut dire que les Croates ont l’habitude des prolongations (sept de leurs huit derniers matchs à élimination directe) et des séances de tirs au but. Depuis sa défaite contre la France (et le doublé de Lilian Thuram) en 1998, la Croatie a joué les prolongations de tous ses matchs de phase éliminatoire en Coupe du monde ou à l’Euro.

Aussi, les Croates ont laissé la prolongation, d’une platitude consommée, éteindre le jeu jusqu’aux tirs de barrage. Dès que Minamino le Monégasque a raté le premier penalty du Japon, on se doutait que les daïkons étaient cuits. Le gardien de but croate, Dominik Livaković, a stoppé trois tirs plutôt mous et la nappe à carreaux était mise pour le quart de finale.

« C’est un sentiment extraordinaire, a déclaré Livaković à la télévision croate. Dieu merci, ça s’est bien terminé. Ils ont pressé haut depuis le début de match, qui a été difficile. C’est le plus grand moment de ma carrière. »

Les vice-champions sortants auront fort à faire pour répéter l’exploit de 2018. Les cadres, pour la plupart des trentenaires ou quasi-trentenaires, auront-ils les jambes assez fraîches, après 120 minutes de jeu, pour vaincre le Brésil, favori, vendredi ? À voir la domination de la Seleçao face à la Corée du Sud, je ne parierais pas un p’tit deux là-dessus.