À première vue, Novak Djokovic amorce la saison 2022 sur un succès retentissant.

Après un séjour de quatre nuits dans un hôtel réservé aux demandeurs d’asile en Australie, où le confort est à des années-lumière des établissements de luxe auxquels il est habitué, un juge lui a permis de demeurer au pays et de participer au premier tournoi majeur de la saison.

Un athlète moins pugnace aurait rendu les armes plus tôt et serait reparti sur le premier vol. Djokovic, et cela explique son immense palmarès, est plutôt fait d’acier trempé. Il est habité par le désir de se surpasser. D’où son extraordinaire parcours.

À moins que le ministre australien de l’Immigration utilise son pouvoir discrétionnaire pour l’expulser du pays, Djokovic défendra donc son titre dans le tournoi qui commence dimanche soir prochain, heure de Montréal. Il obtiendra ainsi la chance de devancer Roger Federer et Rafael Nadal pour le plus grand nombre de titres du Grand Chelem.

La controverse ne s’éteindra cependant pas de sitôt. Elle s’inscrit déjà dans l’héritage de Djokovic, héritage aujourd’hui assombri par l’égoïsme, le refus de la science, l’incapacité à comprendre des réalités simples sur la transmission d’un virus et un dogmatisme troublant.

Djokovic montre aussi un profond mépris envers l’immense majorité des amateurs de tennis, ceux-là mêmes qui respectent les consignes sanitaires, ceux-là mêmes qui font rouler le moteur économique de l’industrie sportive, ceux-là mêmes qui lui ont permis d’acquérir une fortune.

Tout cela est d’une tristesse inouïe. Mais ce n’est pas surprenant.

Pour comprendre l’attitude de Djokovic face à la pandémie, il faut retourner en juin 2020, dans la foulée de la longue mise sur « pause » survenue dans plusieurs pays en raison de la COVID-19.

Pour compenser le report de nombreux tournois, Djokovic a eu la splendide (!) idée d’organiser sa propre compétition amicale, l’Adria Tour, une série de matchs présentés dans les Balkans. L’idée était de donner une chance aux joueurs de pratiquer leur sport tout en récoltant des fonds pour des causes charitables. Mais, comme on l’a appris plus tard, le goût de faire le party malgré les dangers liés à la pandémie était aussi à l’ordre du jour.

Des matchs ont été présentés devant des gradins bondés, le port du masque et la distanciation physique n’ont guère été respectés. Des images de virées en boîte de nuit ont été diffusées sur les réseaux sociaux.

Surprise, surprise, l’initiative a tourné au désastre. Plusieurs joueurs, dont Djokovic, ont contracté la COVID-19 et le tournoi a été annulé bien avant la date prévue de sa conclusion. Une pitoyable affaire, de bout en bout.

Dans les jours suivants, Djokovic a tenté de justifier la tenue de l’Adria Tour. « Tout ce que nous avons fait dans le dernier mois, nous l’avons fait avec un cœur pur et des intentions sincères », a-t-il dit, évitant commodément de parler de manque de jugement.

Djokovic a ajouté : « Nous avons organisé le tournoi à un moment où le virus faiblissait, croyant que les conditions requises pour tenir l’évènement étaient réunies. »

La réalité, c’est qu’aucun expert sérieux ne croyait en l’affaiblissement permanent du virus à l’été 2020. Voilà le danger quand des superstars mondiales se croient soudainement des experts, même sur des sujets qu’ils ne maîtrisent pas.

Non, Novak, la gloire sur le court de tennis n’apporte pas la science infuse.

Ces évènements sont précurseurs de la situation actuelle. Djokovic dit avoir reçu, à Belgrade, un résultat positif à un test de dépistage de la COVID-19 le 16 décembre dernier. Or, selon une recension de la BBC, il a participé à une remise de trophées le lendemain. Sur les photos publiées de l’évènement, il ne porte pas de masque, pas plus que sur d’autres photos prises le lendemain pour un quotidien français. Il n’aurait pas davantage respecté l’isolement de 14 jours requis par le gouvernement serbe en cas de test positif.

Les règles ? À l’évidence, Djokovic ne croit pas qu’elles s’appliquent à lui.

J’ai toujours aimé Djokovic. En raison non seulement de sa force de caractère incomparable, mais aussi de sa générosité dans les multiples entrevues qu’il accorde aux quatre coins du monde. Il ne connaît pas la langue de bois.

Multilingue, on l’a entendu s’exprimer dans un français remarquable lors de ses passages à Montréal. Il possède aussi un don d’imitateur qui a parfois irrité ses rivaux. Ce côté facétieux en a fait un personnage attachant.

Mais cette fois, l’heure n’est pas à la blague. En refusant d’être vacciné – selon l’agence Reuters, qui cite une transcription officielle, il l’a finalement admis à son arrivée en Australie –, Djokovic envoie aussi un mauvais message. J’ignore comment les amateurs de tennis « Down Under » (expression employée pour désigner l’Australie) réagiront lorsqu’il foulera le terrain.

Sera-t-il applaudi ou hué ? La foule sera-t-elle divisée entre les gens qui l’appuient et les autres ? Comment ses rivaux l’accueilleront-ils ? Estiment-ils qu’il a reçu un privilège parce qu’il est le meilleur joueur au monde ?

On aura bientôt la réponse à ces questions, sauf si le gouvernement australien annule son visa. Si une décision pareille est dans les cartes, mieux vaut l’annoncer au plus vite. Car chaque jour qui passe conforte Djokovic dans son bon droit.

À moins que ce dernier scénario se concrétise, Djokovic aura donc remporté une importante bataille judiciaire, notamment en raison des erreurs commises par les responsables de l’immigration à son arrivée en Australie.

Cette victoire est cependant une fausse victoire. Car pour des milliers d’amateurs dans le monde, et j’en suis, le triomphe de Djokovic est celui d’un non-vacciné qui refuse toujours de participer à notre colossal effort collectif pour lutter contre la pandémie. Ce sera impossible à oublier.