Que se passe-t-il avec les jeunes dans la Ligue nationale de hockey ?

Ils en arrachent. Ils sont moins nombreux, moins productifs et moins dominants qu’avant. À Montréal, comme ailleurs. « Les jeunes ont du succès, mais plus autant entre 18 et 22 ans », m’a confié le nouveau patron des opérations hockey du Canadien, Jeff Gorton, lundi, lors d’un entretien téléphonique.

Conséquence : les équipes sont contraintes à prendre « des décisions plus importantes, à un plus jeune âge », à propos de leurs espoirs.

Je reviendrai à ces « décisions importantes » évoquées par Jeff Gorton dans quelques paragraphes. Mais d’abord, les faits.

Parmi les 50 meilleurs marqueurs de la LNH cette saison, seulement deux sont âgés de moins de 23 ans : Jason Robertson (45e) et Lucas Raymond (46e). Un plancher des 50 dernières années.

Historiquement, environ 20 % des joueurs de la LNH ont moins de 23 ans. Cette saison ? Ça tombe à 16 %. Et ce, malgré un gel du plafond salarial qui aurait dû profiter aux espoirs touchant le salaire minimum.

Les jeunes ont aussi moins d’impact sur la feuille de pointage. C’est difficile pour Cole Caufield à Montréal. C’est difficile pour Kirby Dach à Chicago. C’est difficile pour Alexis Lafrenière et Kaapo Kakko à New York. En fait, c’est difficile pour presque tous les jeunes, partout.

Sur les 95 joueurs de la LNH qui ont compté 10 buts ou plus cette saison, combien ont moins de 21 ans ? Un seul. Lucas Raymond.

Du jamais-vu dans l’histoire moderne de la LNH. Comment expliquer que tant d’espoirs connaissent autant d’insuccès en même temps ? J’ai posé la question à Jeff Gorton, qui a émis quelques hypothèses.

« D’abord, la COVID joue un rôle important. Surtout pour la saison en cours. Les gars qui viennent d’être repêchés n’ont presque pas joué la saison dernière. Ils ont moins d’expérience que ceux des années précédentes. Pas pour rien que seulement trois joueurs repêchés au premier tour cet été ont obtenu un poste dans la LNH. C’est hautement inhabituel.

« Ensuite, plus largement, il n’y a plus beaucoup de gars repêchés parmi les 10 premiers qui font le saut et qui connaissent du succès instantanément. Au contraire. Les jeunes qui réussissent le mieux, ce sont ceux qui arrivent dans la LNH quelques années après leur repêchage. Pensez à Cale Makar. À Adam Fox. À Kirill Kaprizov. Avant leur arrivée dans la LNH, ils ont eu du succès à l’Université du Massachusetts, à Harvard et en Russie.

« La ligue est de plus en plus forte. De plus en plus rapide. La période d’ajustement pour les espoirs est plus longue que jamais auparavant. Les jeunes ont du succès, mais plus autant entre 18 et 22 ans. Leur courbe d’apprentissage est rendue très abrupte. »

Il donne en exemple l’attaquant des Devils du New Jersey Jack Hughes. « Un joueur formidable ! » Au sein de l’équipe nationale de développement des États-Unis, Hughes et Cole Caufield faisaient la pluie et le beau temps. Au Championnat du monde des moins de 17 ans, Hughes avait inscrit 20 points en seulement 7 parties. Sans surprise, il fut le premier joueur repêché de son année.

PHOTO TIMOTHY T. LUDWIG, ARCHIVES USA TODAY SPORTS

Jack Hughes, des Devils du New Jersey

Or, lorsque Hughes est arrivé dans la LNH, « il n’a pas inscrit 125 points tout de suite », souligne Jeff Gorton. Loin de là, même. Lors de ses deux premières saisons, le jeune prodige n’a marqué que 18 buts en 117 parties. Il aura fallu attendre sa troisième année – celle-ci – pour que Hughes devienne un joueur d’impact dans la LNH, avec une moyenne d’un point par match.

« Une autre chose qui a beaucoup évolué depuis cinq ans, renchérit Jeff Gorton, c’est le coaching. Les entraîneurs sont tellement plus structurés qu’avant. La couverture en zone défensive, la transition en zone neutre, le déploiement offensif, les mises en jeu, c’est fou à quel point tout est détaillé.

« Or, quand tu as 18 ans, tu ne te soucies pas des détails. Tu veux être un joueur offensif qui fait des jeux et qui compte des buts. C’est comme ça que tu veux être bon. Puis tu arrives dans la LNH. Et plus que jamais, on demande aux jeunes de bien comprendre le jeu en zone défensive. Alors qu’avant, quand le jeu était moins détaillé, on laissait peut-être plus jouer les jeunes en zone offensive. »

Ce qui pourrait expliquer, en effet, la baisse de production offensive des jeunes d’aujourd’hui.

En parallèle, j’ai aussi interrogé l’entraîneur-chef du Canadien, Dominique Ducharme, sur la perte d’influence des jeunes dans la LNH. Il a fourni une autre explication, tout aussi sensée que celle de son nouveau patron.

Ces dernières années, un gros contingent de jeunes hyperdoués a bousculé la LNH. En 2016, Connor McDavid, Nathan MacKinnon, Mathew Barzal, Mikko Rantanen, David Pastrnak, Alex Barkov, Patrik Laine, Leon Draisaitl, Mitchell Marner, Brayden Point, Sebastian Aho et Clayton Keller avaient tous moins de 23 ans, et ils ont tous terminé parmi les 50 meilleurs marqueurs.

« La ligue s’est rajeunie pas mal dans les dernières années, explique Ducharme. Ce que j’ai pu observer, c’est que souvent, ces jeunes-là se différenciaient par leur façon de patiner. Par la vitesse qu’ils apportaient au jeu. Je pense que la ligue, en général, a juste fait un gros pas vers l’avant. »

Un pas tellement gros que c’est difficile pour les jeunes de se démarquer à leur tour, aussi rapidement. « C’est à peu près impossible de le faire. Personne ne va rentrer [dans la LNH] et dominer grâce à sa vitesse. C’est peut-être le fait que plusieurs jeunes soient [arrivés] dans les dernières années qui a un peu changé le niveau de jeu ou la façon de jouer. »

Louis Robitaille connaît très bien les jeunes de la nouvelle génération. Il les dirige avec les Olympiques de Gatineau, dans la LHJMQ, ainsi qu’avec l’équipe canadienne junior. Il émet une autre hypothèse : et si les responsables étaient… les vétérans ?

« On voit de plus en plus de vétérans accepter des diminutions de salaire, explique-t-il. Des gars comme Corey Perry, qui préfèrent jouer pour le même salaire qu’une recrue, à 1 million par année. Ça enlève de la place aux jeunes. Ça, et le fait que ce soit plus difficile de faire les séries qu’avant. À moins d’avoir une force de frappe extraordinaire en attaque, les équipes vont miser sur la profondeur. Pour les troisième et quatrième trios, des clubs vont préférer y aller avec des vétérans qui vont te faire gagner 1-0 ou 2-1. »

Par ailleurs, comme Jeff Gorton, Louis Robitaille estime que la courbe d’apprentissage des jeunes est désormais très raide. « Quand on a enlevé la ligne rouge en zone neutre, c’était pour ouvrir le jeu. Pour faire en sorte que la transition soit plus rapide. Mais là, les entraîneurs se sont adaptés. Ils sont meilleurs pour développer des stratégies pour freiner la vitesse. »

Les jeunes dans le junior, ils ne réalisent pas à quel point c’est difficile de générer de l’attaque au prochain niveau.

Louis Robitaille, entraîneur-chef et directeur général des Olympiques de Gatineau

Toutes ces raisons font en sorte que les espoirs arrivent au terme de leur premier contrat professionnel sans encore avoir démontré leur plein potentiel. Le cas d’école : Jesperi Kotkaniemi, que le Canadien refusait de payer plus de 6 millions par année.

Jeff Gorton a reconnu – sans évoquer le cas de Kotkaniemi – que la tâche des évaluateurs est plus difficile qu’elle ne l’était il y a cinq ou dix ans.

« Nous devons prendre des décisions plus importantes, à un plus jeune âge, à propos de nos espoirs, convient-il. Avant, c’était moins risqué. Il y avait plus de certitudes. Maintenant, parfois, lorsque des joueurs produisent moins, c’est plus dur de faire des projections. C’est plus difficile pour les évaluateurs de s’engager, car ils ne voient pas encore le produit final. Ils doivent faire le grand saut [big leap] et deviner ce que les joueurs deviendront. Tout compte fait, oui, il y a plus de pression qu’avant sur ceux qui prennent les décisions. »

Toutes les statistiques ont été compilées en date du lundi 10 janvier.

PRÉCISION

Dans un article sur les espoirs publié mardi, il était indiqué que Lucas Raymond est le seul joueur de moins de 23 ans avec au moins 10 buts cette saison. Il est plutôt le seul joueur de moins de 21 ans.