Que le Canadien perde contre les Maple Leafs de Toronto, soit. Contre les Rangers de New York, d’accord. Mais contre les Sabres de Buffalo et les Sharks de San Jose ? La même semaine ?

Avez-vous regardé l’alignement des Sharks ? Ils sont venus ici avec un gardien partant qui a été réserviste toute sa carrière. Avec trois attaquants ayant moins de 20 minutes d’expérience dans la LNH. Et sans leur meilleur marqueur, suspendu pour avoir falsifié son passeport vaccinal. Malgré tout, les Sharks ont massacré, détruit et humilié le Canadien. Chez lui. 5 à 0.

La saison est encore jeune ? C’est vrai. Sauf que je vous rappelle que les défaites d’octobre valent autant que celles d’avril : aucun point, sur une possibilité de deux. Par ailleurs, les déboires du Canadien n’ont pas commencé mardi soir. Ils persistent depuis le début du camp d’entraînement.

Alors non, ces défaites ne sont pas que des accidents de parcours.

Ce sont des signes d’une équipe perdue. Brisée.

L’attaque est décourageante. La défense, désespérante. La mayonnaise entre les anciens joueurs et les nouveaux ne prend pas. Celle qui liait le propriétaire Geoff Molson et le directeur général Marc Bergevin est visiblement restée trop longtemps sur le comptoir. Tout ça à la veille d’un long voyage dans l’Ouest américain, sans son capitaine ni son gardien étoile.

Ça.

Va.

Mal.

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L’année dernière, le propriétaire du Canadien, Geoff Molson, m’avait confié être inspiré par le FC Barcelone. C’est intéressant – surtout dans le contexte actuel.

Les deux clubs se ressemblent. Ce sont deux très grandes organisations, avec des partisans partout dans le monde. Les deux équipes ont aussi connu du succès récemment. Depuis 2015, le FC Barcelone a gagné 12 trophées. Le Canadien, lui, vient tout juste d’atteindre la finale de la Coupe Stanley.

Sauf qu’aujourd’hui, les deux équipes sont en train de s’écrouler. En même temps. Et pour la même raison.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Geoff Molson

Le FC Barcelone misait depuis longtemps sur un noyau de vétérans vieillissants, autour de Lionel Messi et d’autres joueurs formés à son académie, La Masia, au début des années 2000.

En finale de la Coupe Stanley, l’été dernier, le Canadien misait lui aussi sur un groupe fort de vétérans, autour de Shea Weber, Carey Price et d’autres excellentes acquisitions de Marc Bergevin, soit sur le marché des transactions, soit sur le marché des joueurs autonomes.

Mais en parallèle, depuis 10 ans, le FC Barcelone et le Canadien ont commis des erreurs majeures de recrutement.

Bien sûr, dans le lot, il y a eu de bons coups. Comme Cole Caufield chez le Canadien ou Ansu Fati à Barcelone. Mais pas suffisamment pour pallier les blessures et les départs du noyau dur de vétérans.

Concentrons-nous sur le Canadien. Précisément, sur sa partie de mardi soir, contre les Sharks. Savez-vous combien de joueurs repêchés par le club depuis 10 ans étaient dans la formation ? Seulement trois. Cole Caufield, Artturi Lehkonen et Alexander Romanov. Et ce, même si 12 joueurs ayant participé aux dernières séries sont soit blessés, soit partis.

C’est insuffisant.

Tout comme c’est anormal que l’entraîneur-chef Dominique Ducharme doive employer un centre récemment réclamé au ballottage, Adam Brooks, sur son troisième trio. Ou un défenseur vétéran importé de la KHL, Chris Wideman, en supériorité numérique. Ça en dit beaucoup sur l’évaluation faite par la direction de ses choix de premier et deuxième tours de plus de 21 ans, comme Ryan Poehling, Jesse Ylönen et Josh Brook. Sans compter tous les choix de premier et deuxième tours perdus pour trois fois rien.

Au cours des 10 dernières années, le Canadien a profité de deux choix très bien placés. Les troisièmes, en 2012 et en 2018. Des choix autour desquels les franchises espèrent toutes construire leur alignement. Les deux joueurs repêchés, Alex Galchenyuk et Jesperi Kotkaniemi, sont partis. Au moins, Kotkaniemi aura laissé une empreinte et aidé le Canadien à atteindre la finale de la Coupe Stanley – avant d’être retranché de la formation dans les derniers matchs.

Quand on suit les branches de l’arbre des transactions, Marc Bergevin s’en est bien sorti. Le Canadien se retrouve aujourd’hui avec Josh Anderson et Christian Dvorak. Deux bons joueurs, qui sont sous contrat à long terme avec le Canadien. Dvorak connaîtra peut-être même une plus belle carrière que Kotkaniemi. Mais aussi bons soient-ils, Anderson et Dvorak sont pour le moment des joueurs de deuxième trio, et l’équipe n’est pas (encore) construite autour d’eux.

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Revenons au FC Barcelone.

Comment ses dirigeants tentent-ils de sortir de la crise ?

À grands coups de dynamite.

Le nouveau président a d’abord décrété publiquement la « fin d’un cycle ». Il a ensuite laissé partir Lionel Messi pour Paris. Privé de sa star, le FC Barcelone est maintenant septième de la Liga, derrière des clubs qu’il aurait jadis massacrés, comme Osasuna et Rayo Vallecano. La terre brûle – et ça risque de flamber encore longtemps, le temps que le club réorganise sa dette de près de 2 milliards (!) de dollars.

Le Canadien se retrouve lui aussi à la croisée des chemins. Sans les dettes, heureusement. Sauf que les performances désastreuses de l’équipe, cette saison, affectent les finances de l’entreprise.

Mardi soir, contre les Sharks, il y avait des milliers de sièges vides dans les rouges. Sur les sites de revente, les billets dans les hauteurs du Centre Bell s’envolaient pour seulement 25 $. Ceux dans les rouges ? Pour 60 $. Les cotes d’écoute des premiers matchs – signe de l’intérêt des amateurs – sont bien en deçà des attentes. Et ce, malgré la récente présence en finale de la Coupe Stanley. C’est inquiétant.

Que fera Geoff Molson ? Brûlera-t-il la terre pour générer de nouvelles pousses, comme l’ont fait les dirigeants du FC Barcelone ? J’en doute fortement. Ce n’est pas le style de la maison. Les partisans du club et les médias locaux ne sont d’ailleurs pas précisément reconnus pour leur patience.

Par contre, je m’attends à ce que Geoff Molson décrète prochainement, lui aussi, la « fin d’un cycle ». Celui ayant culminé avec une participation en finale de la Coupe Stanley. Et qu’il nous annonce, du même coup, quelque chose qui ressemble au début d’un nouveau plan quinquennal.