Depuis son ouverture, en septembre 2015, le Centre Vidéotron a suscité beaucoup de sarcasme : quelle erreur d’investir 370 millions d’argent public dans un amphithéâtre sans l’assurance d’obtenir une équipe de la LNH ! Un édifice dernier cri de 18 000 sièges pour un club junior, c’est le comble du ridicule.

Permettez-moi, au moment où Régis Labeaume s’apprête à quitter la mairie de Québec, de m’opposer à ce jugement lapidaire. Et de rendre hommage à son dynamisme, sa force de conviction et sa carapace d’acier. Un maire qui fonce, qui imagine des projets structurants pour sa ville, je n’ai pas connu ça en grandissant à Québec. Et j’enviais Montréal, une ville où les jeunes de mon âge pouvaient rêver : Expo 67, construction du métro, obtention d’un club du baseball majeur, Jeux olympiques…

Pour le garçon que j’étais alors, c’était désespérant de voir le peu d’envergure avec laquelle ma ville était menée, notamment sur le plan sportif. À force de répéter qu’on était nés pour un petit pain, on se comportait comme tel. Tout semblait toujours trop audacieux. Comme si le mot « investissement » n’existait pas. Il n’y avait que des « dépenses » et celles-ci devaient être contrôlées avec une poigne de fer.

Pendant des générations, le potentiel de Québec comme ville sportive d’hiver a été sous-exploité. Le dernier maire à avoir eu de la vision à ce propos était Lucien Borne. En mars 1949, après l’incendie du vieux Colisée de Québec, il a saisi l’occasion. Qu’à cela ne tienne, on en profitera pour en construire un plus beau, plus gros, plus moderne.

Quelques semaines plus tard, le chantier du nouveau Colisée s’est mis en branle et l’ouverture a eu lieu en décembre de la même année ! À cette époque, il s’agissait d’un amphithéâtre à l’architecture révolutionnaire, sans colonnes à l’intérieur obstruant la vue de certains spectateurs.

Grâce à Jean Béliveau, le succès a été instantané. Durant ses quatre saisons à Québec (deux avec les Citadelles chez les juniors et deux avec les As chez les seniors), le Colisée a fait salle comble des dizaines de fois. Un match entre les Citadelles et les Flyers de Barrie a même attiré 16 000 spectateurs, bien au-delà de ses 10 000 sièges.

Vingt-cinq ans plus tard, quand les Nordiques ont été admis dans la LNH, le cran de Lucien Borne n’était qu’un lointain souvenir. Après de longs palabres, on a convenu d’un agrandissement de 5000 sièges. La mairie de Québec contribua à l’effort, mais l’entente fut d’abord le résultat des liens de confiance entre le premier ministre René Lévesque et l’un de ses prédécesseurs, Jean Lesage, alors président du conseil d’administration des Nordiques et membre de celui de Carling-O’Keefe, propriétaire de l’équipe.

PHOTO ROBERT NADON, ARCHIVES LA PRESSE

Le Colisée de Québec en 1981

Au printemps 1995, faute d’un nouveau Colisée, les Nordiques ont quitté Québec. Pour le maire Jean-Paul L’Allier, sa ville n’avait plus les moyens de s’offrir un club de la LNH. Je me souviens d’une entrevue à son bureau peu avant le transfert de l’équipe au Colorado : il parlait du « petit marché » de Québec et ne voyait pas comment la vente des loges d’entreprise serait possible dans un nouvel amphithéâtre.

Quelques jours plus tard, autre coup dur au moral de Québec : sa candidature pour l’organisation des Jeux olympiques d’hiver de 2002 a été battue à plate couture. Plus tard, on a appris la tricherie organisée par des promoteurs de la ville gagnante, Salt Lake City. Leurs manigances ont terni l’image du mouvement olympique.

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En 2007, Régis Labeaume a été élu maire de Québec. On ne le savait pas encore, mais l’attitude de la Ville allait changer. La capitale verrait désormais plus grand et se battrait pour obtenir sa juste part d’investissements.

Cette attitude fonceuse a mené à la construction du Centre Vidéotron, initiative portée à bout de bras par M. Labeaume. On dit souvent qu’un gros projet d’investissement a besoin d’un « porteur de ballon » pour convaincre le public et les partenaires publics. Si cet art s’enseignait à l’université, M. Labeaume serait le prof idéal. Résultat, le gouvernement Charest a assumé la moitié de la facture. L’amphithéâtre, soulignons-le, a été achevé dans les délais et les coûts prévus grâce au suivi rigoureux de l’hôtel de ville.

Non, la LNH n’est pas de retour à Québec. Mais la ville avait besoin de cet amphithéâtre pour remplacer le Colisée devenu désuet.

Je me souviens de ma dernière visite dans le vieil édifice, où j’ai passé tant de soirées à applaudir les Remparts et les Nordiques de l’AMH, et où j’ai fait mes débuts à la radio avec des reportages en direct du Tournoi international de hockey pee-wee. L’endroit était vétuste et ne pouvait plus accueillir les tournées des artistes internationaux. Notre capitale méritait mieux.

Le Centre Vidéotron hébergera-t-il un jour une équipe de la LNH ? C’est peu probable à court ou moyen terme, avouons-le. Mais si jamais l’occasion se présente, Québec bougera vite grâce à ce magnifique amphithéâtre.

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Avec des courses de ski de fond sur les plaines d’Abraham et des épreuves de toutes sortes en plein air, Québec affiche aujourd’hui un dynamisme que j’aurais beaucoup apprécié dans ma jeunesse.

En août dernier, le Centre de glaces a été inauguré. Ce complexe de premier plan permet à l’élite de patinage de vitesse sur longue piste de s’entraîner dans un environnement idéal. Les résidants profitent aussi des installations, qui comprennent deux patinoires construites à l’intérieur de l’anneau principal. Ce vieux rêve du maire Labeaume, concrétisé au coût de 67,8 millions, a été financé en parts égales par le gouvernement du Canada, celui du Québec et la Ville de Québec.

Quant au vieux Colisée, il évitera le pic des démolisseurs, une excellente nouvelle. On le convertira en centre de sports émergents : escalade sportive, planche à roulettes, BMX, patin à roues alignées…

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Bien sûr, comme toute personnalité politique, le maire Labeaume a ses défauts. Mais à quelques jours de son départ de l’hôtel de ville, je lui dis ceci : j’aurais aimé que vous soyez le maire de la ville quand je grandissais. La vie collective aurait sûrement été plus stimulante. Aujourd’hui, après 14 ans aux commandes, vous laissez un solide héritage sportif.