Jusqu’à lundi, notre chroniqueur se penche sur les meilleures rivalités sportives au Québec. Aujourd’hui : les Foreurs de Val-d’Or contre les Huskies de Rouyn-Noranda.

Si Canadien–Maple Leafs, ça te fait peur
Va jamais voir les Huskies contre les Foreurs
— Mat Cyr, En Abitibi

Zachary Lauzon est né à Val-d’Or. Il a grandi à Val-d’Or. Il a donné ses premiers coups de patin à Val-d’Or. Et comme tous les jeunes hockeyeurs du coin, il rêvait de jouer pour le club local de la LHJMQ, les Foreurs. Jusqu’au jour où il a été repêché par les ennemis jurés des Foreurs. Par leurs archirivaux. Par le club que tous ses amis, tous ses camarades de classe et lui-même se faisaient un devoir de détester.

Les Huskies de Rouyn-Noranda.

« Ç’a été un choc », se souvient-il, sept ans plus tard. « J’étais un grand fan des Foreurs. Je tripais sur Brad Marchand, Kristopher Letang, sur la gang qui venait de gagner la Coupe en 2014. Et là, j’allais retrouver mon frère [Jérémy] chez l’ennemi. »

Il n’était pas au bout de ses surprises. Après la séance de repêchage, le propriétaire des Huskies, Jacques Blais, a rassemblé tous les nouveaux joueurs et leurs parents dans une grande salle pour leur souhaiter la bienvenue — et les mettre en garde.

« Je dis toujours la même chose : parmi vous autres, il y a bien des gens qui n’ont jamais traversé Mont-Laurier. Vous allez voir, à la sortie du parc, il y a une belle ville, avec une belle entrée. C’est Val-d’Or. Faites attention. Prenez la voie de contournement. Sinon, ça se peut que votre enfant ne joue jamais pour nous [rires] ! »

Le ton était donné pour Zachary Lauzon et les autres recrues des Huskies.

Bienvenue dans la guerre de la 117.

La rivalité la plus intense du hockey québécois.

Deux mondes

Val-d’Or et Rouyn-Noranda sont traversés par la route 117, en Abitibi. Sur papier, 105 km séparent les deux villes. Mais dans la réalité, « ce sont deux mondes différents », explique Jacques Blais.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Le centre-ville de Val-d’Or, en décembre 2020

Val-d’Or est une ville de travailleurs. « Historiquement, les gens d’ici travaillent dans le bois, dans les mines ou sur les terres », indique le DG des Foreurs, Pascal Daoust. Rouyn-Noranda est le chef-lieu de la région. On y retrouve donc plus de fonctionnaires et de cols blancs. « À Rouyn, si tu fais partie de la communauté des affaires et que tu n’as pas 2 millions dans ton compte de banque, tu es un pauvre », blague Jacques Blais.

Vérification faite : les revenus d’emploi médians sont semblables dans les deux villes. Sauf que les idées préconçues sont tenaces. « Chacun reste dans son coin. Ça ne se mélange pas ben ben », remarque Jacques Blais.

Un rare point de contact entre les deux populations : les arénas. Car en Abitibi, le hockey est très, très populaire. Plusieurs grandes vedettes sont nées dans la région. Notamment Serge Savard, Pierre Turgeon, Éric Desjardins, Dave Keon et même Tim Horton, qui a grandi à Duparquet. Avec le temps, les matchs entre les Foreurs et les Huskies sont devenus l’incarnation la plus tangible de la rivalité entre les deux villes.

« C’est vraiment intense, raconte Zachary Lauzon. La rivalité dépasse largement le hockey. Quand on venait jouer à Val-d’Or, mon frère et moi, on se faisait crier des noms. On se disait : est-ce que ces gens savent qu’on vient d’ici ? Ça nous servait de source de motivation. […] Les gens de Val-d’Or sont extrêmement fiers. Ceux de Rouyn aussi. Ce n’est pas un joueur qui va les faire changer d’allégeance. »

PHOTO PIERRE-OLIVIER POULIN, COLLABORATION SPÉCIALE

Les joueurs des deux équipes se disputent la rondelle.

Peter Abbandonato a grandi à Laval. Bien loin de l’Abitibi. Comme tout le monde, il avait déjà entendu parler de la guerre de la 117. Mais ce n’est qu’une fois déménagé à Rouyn-Noranda, en 2015, qu’il a saisi l’ampleur de cette rivalité.

« Mon premier match contre les Foreurs, c’était en présaison. L’aréna était plein. Je n’en revenais pas. Chaque fois que les deux clubs s’affrontent, c’est une ambiance des séries. Je me souviens d’un autre match à Val-d’Or. En sortant du tunnel, on s’est fait lancer des verres de bière, pis plein d’autres affaires. C’est là que tu comprends que ces games-là, tu dois les gagner. Tu n’as pas le choix. »

Olivier Latendresse a ressenti la même pression de gagner que Peter Abbandonato, mais 10 ans plus tôt, dans le camp adverse.

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

Olivier Latendresse au camp du Canadien, en 2008

La première chose dont j’ai entendu parler en arrivant en Abitibi, c’est la guerre de la 117. Tout de suite, on te fait comprendre que tu ne peux pas perdre contre les Huskies. En fait, tu ne peux pas perdre les autres parties non plus. Sauf que les matchs contre Rouyn, tu ne peux VRAIMENT pas les échapper. Quand t’en perds un, le lendemain, c’est comme la fin du monde…

Olivier Latendresse

Même chose du côté des Huskies. « Quand on perd contre les Foreurs, raconte Jacques Blais, nos gars sont tous en maudit. Ils bougonnent. Ils ne sont pas contents. » Lui non plus, d’ailleurs. « Après ça, je reçois des textos des gens de Val-d’Or. Il y a toujours deux ou trois singes de corniches qui me le remettent sous le nez. »

Mario Duhamel, ancien entraîneur adjoint des Huskies, a confié à mon collègue Guillaume Lefrançois qu’au lendemain d’une défaite contre les Foreurs, il n’allait jamais faire son épicerie. « [Mais] quand tu gagnes, là, tu y vas ! »

Car si une défaite dans la guerre de la 117 vous plombe, une victoire, elle, vous rend euphorique, indique Olivier Latendresse. « On pouvait perdre trois matchs de suite contre Shawinigan, Bathurst et Québec, si on gagnait la suivante contre Rouyn, tout le monde parlait juste de la victoire. Ça effaçait la mauvaise semaine, et ça nous donnait une swing positive pour repartir. »

« Une fois, on perdait 5-0 contre les Foreurs à Val-d’Or, se souvient Peter Abbandonato. On a ensuite marqué cinq buts de suite. On capotait. Puis Timo Meier a marqué le but gagnant en prolongation pour nous. Notre banc a explosé. Je te le jure, c’était comme si on venait de gagner la Coupe Memorial ! »

Une rivalité qui dépasse les Foreurs et les Huskies

Une particularité de la guerre de la 117, c’est que la plupart des joueurs impliqués n’ont pas de racines dans la région. Ils viennent d’ailleurs au Québec, des Maritimes, de la Suisse, de la Russie ou de la République tchèque. Parfois, ils étaient même des coéquipiers dans le bantam ou le midget. Du jour au lendemain, ils se retrouvent ennemis. Ça peut donner lieu à de beaux malaises.

Peter Abbandonato avait un bon ami chez les Foreurs, Gabriel Bilodeau, avec qui il avait joué une partie de son enfance. « C’était bizarre. Avant les matchs, on se disait : “On est des chums… mais pas ce soir !” [rires] »

Olivier Latendresse connaissait lui aussi plusieurs joueurs parmi ses adversaires. « On ne pouvait pas aller manger au resto avec nos anciens coéquipiers du midget AAA. En fait, quand on se croisait à l’aréna, on ne se parlait même pas.

– Vous faisiez ça en cachette ?

– Hé boy, non. Ça ne se faisait pas. En tout cas, moi, je ne l’ai jamais fait ! »

Le DG des Foreurs, Pascal Daoust, n’est pas originaire de l’Abitibi, lui non plus. Il habite dans la région métropolitaine. L’été, en marge de son travail, il entraîne des joueurs de la Ligue nationale et de la LHJMQ à Montréal et à Val-d’Or. Quelques joueurs de Rouyn ont fait partie de ses clients.

« La rivalité dépasse les Foreurs et les Huskies. C’est vraiment entre les deux villes. Les gars de Rouyn qui venaient s’entraîner avec moi à Val-d’Or, il fallait quasiment qu’ils se cachent. Sinon, ils pouvaient devenir des parias. Il y a même un joueur des Huskies qui descendait de Rouyn pour mes séances à l’Université de Montréal, mais la semaine où j’organisais le camp à Val-d’Or, il ne venait pas ! »

PHOTO TIRÉE DU COMPTE FACEBOOK DE ZACHARY LAUZON

Les frères Lauzon : Zachary à gauche, Jérémy à droite

Les frères Lauzon ont vécu une situation cocasse, en 2016, lorsqu’ils ont rapporté la Coupe du Président qu’ils venaient de gagner avec les Huskies… à Val-d’Or. Heureusement, cette fois-là, ils ne se sont pas fait crier de noms. Ils ont même reçu un bel accueil.

« On a organisé un souper au restaurant L’Entracte, raconte Zachary. Les partisans de Val-d’Or nous niaisaient un peu, mais ils étaient vraiment heureux pour nous autres. Ils étaient contents que la Coupe soit dans la région. Du moins, c’est ce que j’ai perçu. »

Oui, il y a une petite haine entre les deux clubs. Mais il y a du respect aussi.

Zachary Lauzon

« J’ai eu beaucoup de plaisir à faire partie de cette rivalité. Mes parents ont de bons amis parmi les propriétaires des Foreurs. Quand on venait jouer à Val-d’Or, ils s’assoyaient avec ces amis dans une loge des Foreurs. Quand on gagnait, mon frère et moi, on les montrait du doigt pour les taquiner. C’étaient des parties intenses, mais toujours amusantes.

– Et comment prenaient-ils ça, tes parents, d’avoir deux fils qui jouaient à Rouyn ?

– L’avantage, c’est qu’on restait proches. Ils pouvaient venir nous voir souvent. Je te dirais qu’ils l’ont bien pris. Autant que quand mon frère Jérémy a été repêché par les Bruins [rires] ! »

Les Foreurs et les Huskies en chiffres

3 conquêtes de la Coupe du président par les Foreurs

2 conquêtes de la Coupe du président par les Huskies

1 Coupe Memorial remportée par les Huskies

0 Coupe Memorial remportée par les Foreurs