Je ressens une curieuse impression à propos du possible retour du baseball majeur à Montréal.

Pas en raison de l’objectif final. J’appuie l’idée si le coût à payer pour les contribuables – n’en doutez pas, il y en aura un ! – est acceptable. J’ai toujours pensé qu’une équipe professionnelle renforce le dynamisme d’une ville et unit ses citoyens.

En revanche, je n’aime pas l’opacité qui entoure le projet. Le silence de Stephen Bronfman devient chaque jour plus problématique. À l’évidence, les négociations entre les groupes de Montréal et de Tampa Bay progressent, mais les Montréalais, et l’ensemble des Québécois, sont tenus dans l’ignorance.

Si cette éventuelle association était une affaire strictement privée, cela serait acceptable. Mais ce n’est pas le cas. La construction d’un stade de baseball au bassin Peel aura une incidence sur le tissu urbain.

Comment cet édifice s’intégrera-t-il au développement du quartier ? Que répondre aux inquiétudes des citoyens qui préféreraient l’implantation de logements sociaux ? Quelle sera l’ampleur de l’aide gouvernementale que réclamera sans doute Bronfman ? Comment s’assurer que l’édifice ne devienne pas un éléphant blanc dans 10 ans si la passion des Montréalais pour le baseball n’est pas aussi forte qu’espéré ?

Le gouvernement du Québec est tout aussi avare de détails, et la transparence ne caractérise pas le processus.

Il ne faudrait tout de même pas que les citoyens soient placés devant le fait accompli, une fois les décisions prises derrière des portes closes. Ce serait la pire façon de procéder.

Dans notre numéro de mardi, les deux principaux candidats à la mairie, Valérie Plante et Denis Coderre, ont commenté les derniers développements à propos d’une éventuelle « garde partagée » entre Montréal et Tampa Bay. Leur prudence a renforcé mon malaise.

Plante affirme que l’idée doit être étudiée en priorisant la « consultation de la population » du quartier où le stade serait construit ; Coderre, lui, affirme que le projet est « correct » s’il est réalisé dans « un contexte de développement ».

Je n’ai rien contre les « consultations » ou les « contextes de développement ». Mais Plante et Coderre pourraient-ils être plus précis ? Évoquer des notions vagues comme celles-ci était compréhensible au cours des derniers mois. Mais les choses ont changé.

D’abord, le souhait des Rays de Tampa Bay d’afficher une réclame pour promouvoir le concept de « garde partagée » avec Montréal durant leurs matchs éliminatoires à domicile illustre le sérieux de la démarche.

L’organisation a finalement écarté cette idée mardi afin de ne pas créer de distraction inutile en séries, mais elle n’aurait pas exprimé ce désir sans une réelle volonté d’aller de l’avant.

Ensuite, la course à la mairie amorce sa phase critique. Si Plante et Coderre ne décortiquent pas cet enjeu durant la campagne électorale, quand le feront-ils ? Après tout, ce dossier risque de causer des vagues dès les premiers mois du prochain mandat.

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Voici quatre questions qui méritent des réponses plus concrètes de Plante et Coderre.

1- En cas de victoire le 7 novembre, le retour du baseball majeur sera-t-il une priorité pour votre administration ?

Cet enjeu est crucial puisqu’il permet de mesurer leur véritable intérêt. On connaît tous la passion de Coderre pour le baseball. Mais Plante s’est aussi habilement positionnée lors de sa rencontre avec Bronfman en avril 2018.

Jusqu’à quel point la mairesse et son principal rival sont-ils prêts à mettre leur poids politique dans l’aventure après l’élection ? Sont-ils convaincus que le retour du baseball majeur suscite une vaste adhésion aux quatre coins de la ville ? Voient-ils cette perspective comme un atout extraordinaire pour Montréal ou un ajout bienvenu mais loin d’être prioritaire ?

2- La construction d’un nouveau stade au bassin Peel s’inscrit-elle dans votre vision du développement du quartier ?

Un nouveau stade est-il nécessairement la meilleure façon de dynamiser ce quartier ? D’autres pistes devraient-elles plutôt être envisagées, comme la construction de logements abordables et d’infrastructures communautaires ? Et si ce stade est construit, sera-t-il possible de l’intégrer au quartier sans dénaturer sa cohésion ?

3- Accompagnerez-vous Stephen Bronfman dans ses démarches pour obtenir l’appui financier du gouvernement du Québec ?

Je ne parle pas ici d’un appui de façade, d’abord destiné à l’opinion publique, mais plutôt d’une démarche engagée et vigoureuse. Car sans le soutien entier de sa mairesse ou de son maire, une entreprise pareille peut difficilement réussir. L’exemple de la ville de Québec est révélateur.

En 1995, le maire Jean-Paul L’Allier s’opposait à la construction d’un nouveau Colisée pour les Nordiques. Résultat, l’équipe a été transférée au Colorado. Quinze ans plus tard, le maire Régis Labeaume s’est battu pour que le gouvernement du Québec finance en bonne partie la construction d’un nouvel amphithéâtre. Il a remporté son pari. Son leadership a fait la différence.

Cela dit, rien n’oblige les deux candidats à s’investir de cette façon s’ils éprouvent des réserves face au retour du baseball. Ce choix serait compréhensible. Mais ce serait bien qu’ils nous le disent.

4- Votre administration investira-t-elle des fonds publics dans le projet ?

La mairesse a affirmé mardi que son administration n’investirait pas dans la construction du stade. Son rival est-il aussi tranchant ? Par ailleurs, si le groupe de Bronfman demande des allègements de taxe foncière ou des sommes pour brancher le stade aux équipements municipaux (aqueduc, voirie, etc.), que répondront-ils ?

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Partout en Amérique du Nord, l’arrivée potentielle d’une équipe de sport professionnel est une grosse affaire. Montréal ne fait pas exception à cette règle. Qu’on le veuille ou non, cette histoire suscitera un immense intérêt sur le plan médiatique.

Voilà pourquoi la transparence de toutes les parties prenantes est essentielle. Cela vaut aussi pour le gouvernement du Québec. La Fédération canadienne des contribuables l’a rappelé sans détour au ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon. C’est encore plus vrai quand une industrie milliardaire comme celle du baseball majeur demande l’aide des gouvernements.