Lorsque Dominique Ducharme a amorcé sa carrière d’entraîneur, il y a 20 ans, Twitter n’existait pas. Facebook non plus. Les statistiques avancées se résumaient aux +/–, et les joueurs contestaient rarement les décisions des coachs.

Aujourd’hui ?

C’est différent.

Les joueurs sont moins dociles. Les partisans, plus exigeants. La pression est immense. La critique ? Constante. Les exutoires ? Pratiquement inexistants. L’entraîneur-chef du Canadien n’a d’ailleurs eu droit qu’à 10 jours de vacances, cet été. Il a choisi de traverser le Canada, d’Halifax à Vancouver.

Une vie à 1200 km/h.

Comment fait-il ?

C’est ce que mon collègue Guillaume Lefrançois et moi voulions découvrir, mercredi, lors d’une rencontre éditoriale avec lui au centre d’entraînement du Canadien, à Brossard. Le décor est informel. Trois fauteuils. Autant de bouteilles d’eau. Dominique Ducharme porte un survêtement de sport, des shorts et des espadrilles, qu’il s’amuse à écraser avec ses pieds. Il est décontracté. Beaucoup plus que dans ses points de presse virtuels enregistrés dans la même salle. Il pointe la caméra du doigt. « J’haïs ça, Zoom. »

Il a le goût de parler. De discuter. De prendre le temps d’expliquer ses méthodes de gestion, qu’on connaît somme toute très peu.

Comment gère-t-il les vétérans ? Les milléniaux ? Les critiques des partisans ?

Et pourquoi, bon sang, consulte-t-il encore Twitter ?

* * *

En 2018, l’ancien entraîneur-chef du Canadien Claude Julien avait noté que les nouveaux joueurs n’interagissaient pas de la même façon que leurs coéquipiers plus âgés. « Aujourd’hui, confiait-il à La Presse, ils viennent cogner à ta porte. Pourquoi je ne joue pas ? Tu es obligé de leur expliquer. Dans le temps, on était capables de figurer nos choses. Aujourd’hui, on le sait, mais on veut l’entendre. »

Pour plusieurs entraîneurs d’expérience (pas nécessairement Julien), cette façon de procéder a été un choc.

Pour Dominique Ducharme ? Pas du tout.

« Quand je jouais, si le coach disait quelque chose, tu l’écoutais. Tu ne posais pas de questions. Mais comme joueur, j’aimais savoir pourquoi on faisait les choses. Alors quand je suis devenu entraîneur, j’ai voulu que les joueurs sachent ce qu’on allait faire. Et pourquoi. »

[Mes instructions], ce n’est pas une option. Ce n’est pas négociable. Sauf que je vais te dire pourquoi on fait ça. Tu vas constater les effets de chaque détail. Tu vas comprendre jusqu’où ça va nous amener.

Dominique Ducharme

« J’ai toujours eu cette approche-là. Ça n’a donc pas été une grosse adaptation. D’ailleurs, même quand je gère des gars plus vieux, comme Shea Weber et Corey Perry, je leur parle comme ça. Je veux qu’ils comprennent la même chose. »

Il reste qu’au cours des deux dernières années, le Canadien a connu des difficultés à gérer et développer plusieurs espoirs. Ryan Poehling a très mal pris son renvoi à Laval. Victor Mete a fait pression pour être inséré dans la formation. Jesperi Kotkaniemi n’était pas le plus patient – ni le plus mature – non plus. À son arrivée en Caroline, il a d’ailleurs écorché la direction du Canadien pour son développement.

Les jeunes joueurs sont-ils plus impatients ?

Dominique Ducharme ne nomme personne. Mais il insiste fortement sur l’importance de l’adversité.

« Des fois, ceux qui arrivent sans en avoir vécu, ça leur prend plus de temps [pour se développer].

« Ça fait partie de notre rôle de les faire grandir. Il ne faut pas avoir peur. Pour qu’un joueur progresse, peu importe le niveau, même s’il est le meilleur de l’équipe, il faut que tu le coaches. S’il fait quelque chose de pas correct, tu dois le prendre [à l’écart] et l’asseoir un peu pour qu’il comprenne. Moi, j’ai des enfants. Ils font du sport. Je veux qu’ils vivent des expériences. Qu’ils traversent de l’adversité. Je ne veux pas que ce soit tout le temps facile, même si des fois, ce n’est pas le fun. »

C’est vrai qu’au moment de faire le saut chez les professionnels, les meilleurs espoirs ont vécu peu d’adversité. La plupart sont des « premiers de classe ». C’est-à-dire qu’ils dominaient dans le pee-wee. Dans le bantam. Dans le midget. Dans le junior majeur ou à l’université. Tout au long de leur parcours, ils ont eu un statut privilégié.

Ces premiers de classe sont-ils plus difficiles à gérer ?

« L’important, répond Ducharme, c’est qu’ils sentent qu’ils ont un impact dans le résultat de l’équipe. Astheure…

— … faut que tu le veuilles ?

— Oui, c’est ça. Je ne peux pas juste donner, puis il ne se passe rien. On a un deal ensemble. Je vais te mettre dans une situation. Après, c’est à toi d’agir. »

Dominique Ducharme se penche vers nous, pour être certain qu’on saisisse bien la métaphore qui s’en vient.

« Je dis souvent aux gars : quand le match commence, moi, je joue aux cartes. C’est une image qu’ils comprennent, car ce sont des joueurs de cartes. Je leur dis : je ne veux pas avoir un 10 qui devient un roi ni un 10 qui devient un 5. Si tu es un 10, sois un 10. Quand je t’envoie sur la glace, je n’espère pas que tu fasses la job. Tu VAS faire la job. Ça s’apprend. C’est sûr que quand tu as un jeune joueur en progression […], il doit d’abord devenir un 7. Puis un 8. Puis un 10. »

Il reste prudent, ne nomme personne.

Mais je présume que ni Mete ni Kotkaniemi n’était devenu un roi.

* * *

En séries éliminatoires, le printemps dernier, beaucoup de partisans et de commentateurs ont trouvé Dominique Ducharme impatient avec ses jeunes joueurs.

Notamment avec Jesperi Kotkaniemi et Cole Caufield, qui ont amorcé le tournoi sur le banc. C’est d’ailleurs une critique récurrente envers l’organisation : les vétérans peuvent commettre des erreurs, mais pas les jeunes. Une remarque que je trouvais justifiée pour Caufield, mais pas pour Kotkaniemi, qui venait de connaître une fin de saison atroce, et dont le jeu défensif était erratique.

« Es-tu un coach qui tolère l’erreur ? », ai-je demandé à Dominique Ducharme.

« Je tolère l’erreur, mais pas le désengagement – ou tout ce qui touche à ce que tu contrôles et qui pourrait affecter l’équipe. J’ai zéro patience pour ça.

« Si tu t’accroches l’orteil et que tu rates une passe, je n’ai aucun problème avec ça. Par contre, si tu dois prendre une décision, que tu sais que ce n’est pas la bonne, mais que tu te dis : je vais l’essayer pareil parce que si ça fonctionne, ça va être beau, ça, c’est quelque chose que tu contrôles. »

La discipline, la façon dont tu réagis quand tu perds la rondelle, ça fait aussi partie des choses que tu contrôles. C’est ton effort. C’est ton engagement envers tes coéquipiers. Envers ton équipe.

Dominique Ducharme

Ces erreurs ont des conséquences. Comme une réduction du temps de jeu ou une soirée sur la galerie de presse. Des décisions souvent impopulaires auprès des partisans, qui trouvent que les entraîneurs du Canadien s’acharnent sur une poignée de joueurs.

« C’est certain que nous autres, explique Ducharme, on voit ça de l’intérieur. On travaille avec les joueurs au quotidien. Il y a des choses qu’on veut faire. Il y a aussi des détails qui ne paraissent pas à la télévision. Ça fait partie de la passion des fans d’ici.

— Ces partisans, ont-ils changé eux aussi depuis 20 ans ?

— Oui ! J’ai huit millions d’assistants [rires] ! Je vois ça positivement. Si tu es un joueur de hockey, c’est à Montréal que tu veux jouer. Ou dans un marché comme le nôtre. Tu ne veux pas jouer dans une place où tout le monde s’en fout […] Il y avait tout autant de fans il y a 20 ans. Les gens parlaient du Canadien à l’usine ou au travail. Je me souviens, quand j’étais jeune, j’entendais mon père en parler avec ses frères. C’est juste qu’on ne les entendait pas. Ce qui a changé, c’est la disponibilité. Aujourd’hui, les gens mettent [leurs commentaires] sur Twitter.

— Y vas-tu des fois ?

— Oui. »

Les bras m’en sont tombés. J’ai failli en échapper mon stylo. Dominique Ducharme a esquissé un petit sourire, pas peu fier de l’effet de sa confidence.

« J’ai un compte. Je m’en sers pour consulter les nouvelles et ce qui se passe ailleurs. J’ai d’autres intérêts que le hockey. J’aime le sport en général. Des fois, il y a des situations dans d’autres sports dans lesquelles je peux me reconnaître. J’ai aussi joué aux États-Unis, au Vermont, en Europe. J’ai des amis un peu partout. Je suis des comptes de clubs européens, ou d’autres sports. J’aime la musique aussi. »

Il s’intéresse particulièrement aux histoires des autres entraîneurs-chefs. Principalement de hockey, de football et de basketball.

« J’ai moins de temps qu’avant pour la lecture, mais dans le passé, j’ai lu pas mal de biographies de coachs. C’est important. Il ne faut pas arrêter de vouloir avancer ou progresser… »