(Tokyo) « Honnêtement ? Je suis sous le choc. »

Meaghan Benfeito riait nerveusement. « C’est toujours comme ça quand je suis sonnée. Je n’y crois pas encore. » Son duo venait tout juste d’être écarté du podium du 10 m synchronisé par 0,54 point. Sur un total de 300. Une poussière. L’équivalent d’un petit orteil de travers lors d’une entrée à l’eau.

« Évidemment que je suis déçue ! Je ne peux pas vous mentir. Tout le monde serait déçu de terminer à 0,54 point d’une médaille. Par contre, je suis extrêmement fière de cette fille. »

Elle s’est alors tournée sur sa droite pour regarder sa partenaire de duo, Caeli McKay. L’Albertaine de 22 ans, qui s’entraîne et vit à Montréal, avait les yeux bouffis et rougis. « Bon, ça y est, je vais pleurer. En fait, je pleure ! »

C’est alors que la jeune plongeuse a lâché le morceau : elle n’aurait pas dû participer aux Jeux de Tokyo. Lors d’un entraînement, il y a trois semaines, elle s’est tordu une cheville. La douleur était extrême. Diagnostic ? Ligaments déchirés.

« Je ne suis même pas censée marcher sans une botte [d’immobilisation]. »

Quoi ? ? ? ?

Nous étions tous soufflés.

« Mais attends, lui a demandé un collègue. Comment te déplaces-tu ? En béquilles ? »

– En scooter.

– En scooter ? Comme un scooter électrique ?

– Non. En fait, je m’assois à genoux dessus, et on pousse.

– Sur tes genoux ?

– Oui. C’est pour ça que je vous dis que je suis juste contente d’être ici. Il y a trois semaines, les médecins m’ont indiqué que je ne serais pas rétablie avant au moins huit à dix semaines. Je leur ai répondu que les Jeux commençaient bien avant ça. »

Pendant qu’elle nous racontait ses mésaventures, on sentait la douleur gagner son visage angélique noyé de larmes.

« Honnêtement, ça me fait très mal présentement. »

Une journaliste lui a demandé de quantifier sa douleur.

« Sur dix ? »

« Neuf. »

Mettons que ça change le récit. Soudainement, cette quatrième place, à un demi-point du podium, n’était plus perçue comme une déception. Mais plutôt comme un acte de courage. De résilience. De persévérance.

Comme un exploit.

Après trois sauts, Meaghan Benfeito et Caeli McKay occupaient le deuxième rang. Ça s’est gâché au quatrième saut. Un triple saut périlleux et demi arrière. Le saut avec le plus haut coefficient de difficulté de la séance – toutes équipes confondues. Un immense pari. Surtout avec la cheville maganée de Caeli.

Les deux ont raté leur entrée à l’eau. Meaghan a dépassé la verticale. Caeli est arrivée « trop court ». Les juges n’ont rien raté. Ils les ont sévèrement pénalisées. On a vu une note de 4,5. Un 4. Un 3,5 même. « On l’a juste raté », a convenu Meaghan.

Justement, ce n’était pas un trop gros risque ? lui ai-je demandé.

« Non. Ce n’était pas une commande trop lourde. On a décidé de le faire parce qu’on voulait prendre ce risque. C’est plus hot comme ça. On est les seules qui l’avons tenté. J’en suis fière. Ça fait de nous une équipe forte. Une équipe à regarder. Une équipe qui est stressante. Évidemment, ça n’a pas [fonctionné] pour nous aujourd’hui. Mais dans les quatre dernières années, ce saut nous a souvent donné beaucoup de points. »

Lorsqu’elles sont remontées sur la plateforme pour leur cinquième et dernier saut, les deux Canadiennes savaient très bien que c’était un moment spécial. Car Meaghan Benfeito, 32 ans, songe de plus en plus à sa retraite.

« Je pense que les Jeux, c’est fini pour moi. Trois ans [avant les Jeux de Paris], c’est long. En haut, sur la plateforme, avant le dernier plongeon, on riait. Je disais : “Ah, je vais peut-être continuer !” Ma décision n’est pas prise à 100 %. Sauf qu’on dirait que ça me laisse un petit goût amer de finir quatrième. Il me reste l’épreuve individuelle. Je vais me concentrer là-dessus avant de prendre ma décision. Mais ça risque vraiment d’être mes derniers Jeux. »

Caeli avait la gorge nouée. Nous aussi, je dois le reconnaître.

« Nous avons eu notre lot d’obstacles dans les dernières années », a-t-elle rappelé. Souvenez-vous, au début de la pandémie, Meaghan Benfeito devait s’entraîner sur un matelas de lit dans son salon. Puis elle a tout perdu dans l’incendie de son appartement. Même ses deux médailles olympiques remportées aux Jeux de Rio – elle en a reçu des nouvelles depuis.

Caeli McKay a poursuivi sur sa lancée. « Je ne changerais notre parcours pour rien au monde. Je suis tellement fière. Peu importe l’écart qui nous séparait de la troisième place. Je pourrais être chez moi en train de regarder les Jeux à la télévision, présentement ! »

« Je voulais terminer ma carrière avec le sourire, a laissé tomber Meaghan. En sachant que j’ai tout donné. Je vieillis. C’est plus difficile sur mon corps. […] Mais aujourd’hui, je peux dire que j’ai tout laissé à la piscine. »