(Tokyo) Les poloïstes canadiennes ont quitté le pays le 10 mai. Depuis, elles vivent dans leurs valises. Comme des vedettes de rock. Elles ont visité la Californie. L’Italie. La Grèce. La Hongrie. Le Japon. Un tour du monde de 92 jours qui prendra fin ici, à Tokyo, avec le tournoi olympique.

Leur odyssée est extraordinaire. Surtout en pleine pandémie.

« C’est assurément l’expérience humaine et sportive la plus exigeante que j’ai vécue », confie Axelle Crevier.

L’aventure a commencé bien avant le départ. Dès janvier, lorsque l’équipe nationale a demandé aux joueuses de quitter leur domicile pour emménager ensemble. Une condition essentielle afin de pouvoir s’entraîner avec contact. Ce fut un choc. Surtout pour celles qui partagent leur vie avec un partenaire.

« Nous avons eu 36 heures pour déménager, raconte Joelle Bekhazi. Ça nous a préparées pour ce qui s’en venait. » Les semaines suivantes, elles ont cherché un moyen d’affronter d’autres équipes nationales sans devoir cesser leur entraînement pendant 14 jours, à leur retour au pays. C’était impossible. C’est alors qu’est née cette idée folle de partir – et de ne jamais revenir avant la fin des Jeux olympiques.

Récit d’un voyage étourdissant.

LA CALIFORNIE

PHOTO FOURNIE PAR JOELLE BEKHAZI

Les Canadiennes à Anaheim, en Californie

Première escale : Anaheim, en Californie. Pour une série de sept parties contre les Américaines, championnes olympiques en titre.

« C’était in-cro-ya-ble, s’extasie Joelle Bekhazi. Imagine. Ça faisait trois mois qu’on vivait dans une bulle stricte à Montréal. Là, on pouvait enfin disputer des vrais matchs. Aller à la plage. Aller faire un pique-nique. Aller voir des couchers de soleil. Notre vie était totalement différente. En plus, on avait deux grosses maisons avec une piscine. Il y avait même un chef qui nous préparait des repas sur place. C’était comme des petites vacances. »

« C’était vraiment le fun, enchérit Axelle Crevier. Ça faisait tellement longtemps qu’on n’avait pas eu l’occasion de jouer. D’être en tournoi ensemble. De pouvoir sortir de Montréal. On a pu affronter les Américaines, qui sont les meilleures au monde en ce moment. On a eu de beaux entraînements. Comme début de voyage, c’était parfait. »

L’ITALIE

PHOTO FOURNIE PAR JOELLE BEKHAZI

Les Canadiennes à Recco, en Italie

Après la Californie, les poloïstes ont mis le cap sur l’Italie. Elles ont posé leurs valises à Recco, un petit village côtier situé près de Gênes. Axelle Crevier était en terrain connu – elle a joué trois ans pour des clubs du nord de la péninsule.

« J’ai pu retrouver des amis que j’avais connus quand je jouais là-bas. En plus, c’est un super beau coin. Et la nourriture italienne… Je suis une très grande fan.

— Cuisinais-tu pour tes coéquipières ?

— Hahaha ! Non. Disons plutôt que je suis une grande consommatrice. »

Joelle Bekhazi garde aussi un excellent souvenir de son passage en Italie. « Recco, c’est extrêmement beau. À voir dans sa vie. Rendues là, nous avions nos deux doses de vaccin. Nous pouvions sortir pour aller chercher du café ou des gelatos. C’était super. Et notre piscine… Ayoye ! Elle était SUR l’eau. Il faut que je t’envoie des photos. C’était malade. »

PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM DE JOELLE BEKHAZI

Les Canadiennes s’entraînent à la piscine de Recco, en Italie.

LA GRÈCE

À la suite d’un court séjour à Ostia, près de Rome, les Canadiennes ont débarqué à Athènes pour la Super finale de la Ligue mondiale. Une compétition qui, comme son nom l’indique, réunit l’élite du water-polo. C’était aussi l’occasion, pour l’équipe canadienne, de se comparer aux autres formations, à quelques semaines seulement des Jeux olympiques.

« Sur le plan sportif, c’était très excitant, indique Joelle Bekhazi. Il faut se souvenir d’où nous arrivions. L’automne dernier, pendant quatre mois, on ne pouvait pas pratiquer notre sport avec contact. Ce n’était pas l’idéal. Pendant ce temps-là, les autres pays avaient repris l’entraînement normalement. Nous avions hâte de savoir où nous étions rendues. »

PHOTO COSTAS BALTAS, ARCHIVES REUTERS

Les Canadiennes reçoivent les instructions de leur entraîneur-chef David Paradelo, à la Super finale de la Ligue mondiale de water-polo, à Athènes, en juin dernier.

Comment ça s’est passé ?

Plutôt bien. Elles ont remporté leurs quatre premiers matchs, avant de s’incliner en demi-finale contre la Hongrie, puis contre la Russie dans le match pour la médaille de bronze. « Un bon résultat », selon Axelle. « Ça nous a surtout convaincues que tous les sacrifices de la dernière année, comme le déménagement, ça en valait la peine », ajoute sa coéquipière.

L’équipe a ensuite enchaîné avec un camp d’entraînement d’une semaine dans le sud du pays. Ça, ce fut moins plaisant. « C’était difficile, reconnaît Joelle Bekhazi. Après un tournoi, tu es fatiguée. Tu veux retourner chez toi. Oublier le water-polo pendant quelques jours. Là, c’était impossible. C’était dur pour le moral. »

Axelle Crevier confirme. « Après six matchs, notre corps était un peu en état de choc. Nous avions accumulé beaucoup de fatigue. En plus, les règles sanitaires étaient sévères. On ne pouvait même pas sortir pour aller faire une marche. On n’avait pas d’espace pour ventiler seules. Ce n’était pas l’idéal. »

NAXOS

PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM DE JOELLE BEKHAZI

Joelle Bekhazi (au premier plan) et plusieurs de ses coéquipières sur l’île de Naxos, en Grèce

Pour souligner les efforts des poloïstes, les entraîneurs leur ont offert une récompense. Des vacances de quatre jours. À Naxos. La perle des Cyclades. Un repos qui tombait à point – les joueuses étaient épuisées.

Les filles ont loué des véhicules tout-terrain pour faire le tour de l’île. Elles se sont baignées dans une mer turquoise. Elles ont inondé leurs comptes Instagram de photos aux décors spectaculaires. « C’était magique, raconte Joelle Bekhazi. C’était mon rêve de voyager dans les îles grecques. Et je n’ai pas été déçue. Quand je racontais mes journées à mon mari à Montréal, il se demandait : “Mais qu’est-ce que vous faites ? Est-ce que vous vous entraînez vraiment ?” [Rires] »

« C’était la pause dont nous avions besoin. Depuis le début du voyage, notre vie était réglée au quart de tour. Là, nous n’avions plus de routine. Ça nous a vraiment remonté le moral. »

Pour Axelle Crevier, l’arrêt à Naxos a été un moment clé pour l’équipe canadienne. « C’était paradisiaque. C’est aussi là qu’on a célébré notre qualification officielle pour les Jeux avec quelques bouteilles de champagne. Mettons que ça avait de l’allure ! »

LA HONGRIE

PHOTO FOURNIE PAR JOELLE BEKHAZI

Les Canadiennes à Budapest, en Hongrie

Une semaine importante. C’est la dernière fois, avant les Jeux, que l’équipe canadienne pouvait disputer des parties contre d’autres formations.

« Là-bas, les mesures contre le virus étaient très strictes, relate Joelle Bekhazi. À l’hôtel, nous n’étions plus deux par chambre. Il fallait dormir seules. Au début, on n’était pas certaines. Mais tu sais quoi ? C’était une bonne chose. Tout le monde avait besoin de ça. »

« En Californie, renchérit Axelle Crevier, on était super contentes de se retrouver. De manger ensemble. Mais là, après deux mois de voyage, on voulait juste des chambres individuelles pour pouvoir ne pas se parler pendant quelques heures. »

LE JAPON

PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM DE JOELLE BEKHAZI

À Morioka, au Japon, la consultante en préparation mentale de l’équipe, Véronique Richard, a organisé un grand jeu de Meurtre et mystère, qui a connu un vif succès.

Le déplacement suivant, vers le Japon, a été le plus long. Et le plus pénible. En tout, ça leur aura pris 37 heures pour passer de la Hongrie à la ville de Morioka. Le voyage a notamment été marqué par une attente de 6 heures à la frontière japonaise, puis un voyage de 10 heures en autocar de Tokyo à Morioka, site du dernier camp préparatoire avant les Jeux.

« C’était terrible, laisse tomber Joelle Bekhazi. En plus, le décalage horaire nous est rentré dedans. Pendant deux jours, nous n’avons pas dormi. Malgré tout, on devait s’entraîner. Ça nous a pris une bonne semaine pour récupérer. »

« C’était lourd, convient Axelle Crevier. Mais une chance qu’on est arrivées ici plus tôt. Au village olympique, je croise des athlètes qui arrivent, et qui devront performer dans deux jours. Sérieux, je ne sais pas comment ils vont faire. »

À Morioka, les règles sanitaires étaient encore plus strictes qu’en Hongrie. Les joueuses étaient confinées à l’hôtel et au centre d’entraînement. La consultante en préparation mentale de l’équipe, Véronique Richard, leur a donc organisé une activité spéciale pour leur changer les idées. Un grand jeu de Meurtre et mystère, qui a connu un grand succès. « Ça a duré des heures, raconte Joelle Bekhazi. Il y a des filles qui étaient vraiment dans leur personnage. C’était super amusant. »

Le voyage tire maintenant à sa fin. Il ne reste plus que deux semaines. Elles seront consacrées au tournoi olympique. Après quoi, tous les membres de l’équipe retourneront au Canada la tête pleine de souvenirs.

Et peut-être avec une médaille autour du cou.

Les Canadiennes affrontent les Australiennes, samedi, à 2 h 30 HAE.