Le Canadien n’a pas remporté la Coupe Stanley et Marc Bergevin ne prendra pas sa retraite. Rappelez-vous : avant la finale, sûrement à la blague, il a évoqué cette perspective en cas de victoire, qualifiant pareil succès de « rêve ultime ».

La conquête d’une Coupe Stanley est en effet un défi colossal. Le chemin conduisant à ce moment de grâce est parsemé de pièges, de grandes et petites réussites, de déceptions cruelles, d’imprévus et de sacrifices corporels inhérents à un sport aussi rude.

Alors bravo au Lightning de Tampa Bay, l’équipe qui, en toute justice, mérite d’être la deuxième dans le cœur des Québécois dans la Ligue nationale. Avec sa forte filière québécoise et ses nombreux francophones occupant des postes clés au sein de la direction et dans le vestiaire, le Lightning fait confiance au talent de nos gens de hockey.

Julien BriseBois est un directeur général créatif, comme en fait foi sa gestion du plafond salarial. Alors, ne parions pas trop vite contre ses chances de mener les siens à un autre titre la saison prochaine.

Je rends aussi hommage à Marc Bergevin. J’ai souvent été critique à son endroit au cours des dernières années et je ne regrette rien de ce que j’ai écrit. Au contraire, la tournure des évènements démontre qu’il avait besoin d’être mis sous pression par son patron Geoff Molson pour enfin jouer son va-tout.

Au cours des derniers mois, j’ai revu le Bergevin incisif qu’on a connu à ses trois premières années avec le Canadien, où il a multiplié les bonnes décisions. Qui sait : sans la blessure à Carey Price contre les Rangers de New York au printemps 2014, le CH aurait peut-être accédé à la finale.

Bergevin a cependant eu des ennuis à bâtir sur ce printemps ensorcelant. L’équipe a semblé perdre en puissance chaque saison ou presque. De là ce rendement largement décevant de 2016 à 2020.

Cette saison, Bergevin a compris qu’il devait dynamiser son équipe pour conserver son poste. Sa manière n’a pas été orthodoxe et je n’aurais pas parié sur ses chances de succès en février dernier. Il a provoqué une tornade en congédiant l’entraîneur-chef, son principal adjoint et l’entraîneur des gardiens de but, celui-là entre deux périodes, un geste bizarre pour une organisation comme le Canadien.

Tout cela indique à quel point la pression était forte sur Bergevin. Mais il a eu le courage de ses convictions, ce qui est profondément méritoire. Il faut du culot pour agir de manière aussi tranchée. Il a aussi montré du flair dans ses acquisitions. Josh Anderson et Tyler Toffoli ont fourni des armes supplémentaires au CH, et Corey Perry a manifestement apporté un leadership nécessaire.

Résultat, le CH s’est trouvé une deuxième vie en séries éliminatoires. C’est là qu’on a revu le Bergevin fringant d’une autre époque. La manière dont il a célébré les réussites de son équipe, notamment ses accolades à tous ses joueurs après la victoire contre les Knights de Vegas en demi-finale, était savoureuse. Comme si le stress avait été évacué d’un seul coup.

Alors non, pas question de retraite pour Bergevin, j’en suis convaincu. Au contraire, il aura sûrement droit à une prolongation de contrat. Dans cet univers où les résultats font foi de tout, il la méritera bien.

Cela dit, le DG aura beaucoup de travail pour maintenir son club à un haut niveau. Car la question demeure : quelle est la véritable force du CH ?

Est-il ce club de 18e place au classement général qui, pour une deuxième saison consécutive, doit sa participation aux séries aux réaménagements provoqués par la pandémie ? Ou ce groupe pugnace et soudé, capable de jouer du hockey très physique en défense et acharné en attaque ?

Si le réel CH correspond à la première définition, alors atteindre les séries la saison prochaine est incertain. En revanche, si l’équipe est tissée dans l’excellence des dernières semaines, l’avenir est prometteur. On en aura une meilleure idée après les 20 premiers matchs de la saison prochaine.

***

La déception de Carey Price était vive après l’élimination du Canadien. Il s’est attribué une partie de la faute, affirmant qu’il n’avait « pas assez bien joué » au début de la série. C’est vraiment désolant de le dire compte tenu de son excellence en séries, mais Price soulève un point intéressant.

Cela illustre à quel point le CH demeure à la merci de son gardien vedette. Bergevin a souvent dit : « Avec Carey, tout est possible. » Cette affirmation est venue près de se concrétiser, mais trois victoires ont manqué.

On ne peut exiger de Price qu’il soit la première étoile de chaque match clé du CH. L’équipe avait besoin d’un petit quelque chose de plus pour vaincre le puissant Lightning.

Le Canadien compte deux jeunes de premier plan, Nick Suzuki et Cole Caufield. Ils deviendront au fil des ans des bougies d’allumage comme Price le demeure aujourd’hui. L’ennui, bien sûr, c’est qu’au moment où ils seront pleinement établis dans la LNH, l’âge aura sans doute rendu Price moins efficace.

Tous ces casse-tête à résoudre rappellent pourquoi Bergevin a raison de décrire la Coupe Stanley comme « le rêve ultime ». Un objectif si énorme à atteindre qu’on peut comprendre l’aspect métaphorique de sa déclaration quand il a évoqué sa retraite en cas de réussite.

Se rendre jusqu’au bout est incroyablement difficile. Bergevin et le CH réussiront-ils ce grand coup au cours des prochaines saisons ? L’avenir le dira. Mais une chose est sûre : l’organisation a chassé la grisaille des dernières années.