Rangez vos chaises pliantes. Le défilé de la Coupe Stanley n’aura pas lieu dans les rues de Montréal, mais dans celles de Tampa.

Est-ce triste?

Bien sûr. Avec bientôt 32 équipes dans la Ligue nationale, le Canadien n’aura peut-être pas de plus belle occasion de remporter le championnat avant longtemps. Ceci dit, perdre contre les champions en titre est loin d’être un résultat déshonorant. Au contraire.

Au cours des deux derniers mois, le Tricolore a démontré une résilience surprenante. Il s’est défendu avec fougue. Avec énergie. Avec cœur. Beaucoup, beaucoup de cœur. Il a rallié un peuple divisé. Lui a donné des raisons d’espérer. De se réjouir. De célébrer.

Il a aussi enrichi notre imaginaire d’images très fortes.

Le clin d’œil de Carey Price.

Le but à genoux de Paul Byron.

Le deux contre zéro de Cole Caufield et Nick Suzuki.

Tout de Cole Caufield.

Tout de Nick Suzuki.

Les yeux bioniques de Jeff Petry.

Le demi-nez arraché de Corey Perry.

Le visage ensanglanté de Brendan Gallagher.

Le lourd silence après la charge contre Jake Evans.

Rappelez-vous du record d’efficacité en infériorité numérique.

Des trois matchs remportés en prolongation, alors que l’équipe était menacée d’élimination.

Des 430 minutes consécutives sans tirer de l’arrière.

Des sceptiques que Dominique Ducharme a confondus-dus-dus – avant de devoir s’isoler pendant 10 jours à cause du virus.

De son remplaçant, Luke Richardson qui, après sa première victoire comme entraîneur-chef par intérim, a salué sa fille décédée.

Souvenez-vous de Phillip Danault. De ses pointes de pizza après les victoires. De ses vœux de «Bonne Saint-Han!» De son brio défensif contre les meilleurs attaquants adverses. Dans quelques jours, le centre québécois deviendra joueur autonome sans compensation. C’est-à-dire qu’il pourra signer un contrat avec l’équipe de son choix. Franchement, je ne vois pas comment le Canadien pourra s’en passer pour les cinq prochaines années. C’est vrai, Danault ne sera jamais un compteur de 30 buts. Mais il est capable d’empêcher l’adversaire d’en marquer. Beaucoup. Un talent précieux, qui doit être mieux reconnu. Au même titre qu’un arrêt-court qui frappe pour .250, mais dont le manteau de cheminée est couvert de Gants dorés.

Mais l’épisode le plus puissant de l’épopée du Canadien en séries restera pour moi la prolongation du sixième match contre les Golden Knights de Vegas, le soir de la Fête nationale, à Montréal.

D’abord, l’arrêt de l’épaule de Price contre Alec Martinez. Puis la relance de Gallagher. La passe du revers de Danault. Le but d’Artturi Lehkonen. Les gars qui sautent de joie sur la patinoire. Marc Bergevin qui descend en courant vers le banc pour étreindre ses joueurs. Pour embrasser le front de Carey Price. Les spectateurs qui entonnent Gens du pays. Un très rare moment de liesse collective.

Ce soir-là, après avoir remis ma chronique, je suis revenu à la maison à pied. Sur la rue Saint-Antoine, je me suis faufilé dans une foule dense de partisans prêts à veiller toute la nuit pour remercier les joueurs à leur sortie. Sur le boulevard René-Lévesque, j’ai vu des feux d’artifice. Sur la rue Sainte-Catherine, j’ai inhalé un nuage de gaz irritant. Sur la rue Sherbrooke, j’ai suivi un cortège d’une centaine de voitures, dont les passagers sortaient par les fenêtres. Puis j’ai marché sur l’avenue du Parc, fermée à la circulation. Il était rendu presque 2h du matin. Devant le mont Royal, environ 250 jeunes chantaient «Olé Olé» sous la pleine lune de la Saint-Jean. C’était magique.

Ce soir-là, dans la liesse, on a presque oublié que le Canadien a remporté un trophée. Le Clarence-Campbell, remis au meilleur club de l’Association de l’Ouest, à laquelle le Tricolore n’appartient même pas! C’est mieux qu’une médaille en chocolat. Malheureusement, le trophée n’est pas assez grand pour y inscrire tous les noms des membres de l’équipe gagnante. C’est un peu dommage. Car les joueurs du Canadien méritent que leurs efforts soient soulignés, et que leurs noms soient gravés quelque part pour la postérité.

Pour les historiens du siècle prochain, je les laisse donc ici.

Josh Anderson, Joel Armia, Paul Byron, Ben Chiarot, Cole Caufield, Phillip Danault, Joel Edmundson, Jake Evans, Brendan Gallagher, Erik Gustafsson, Jesperi Kotkaniemi, Brett Kulak, Artturi Lehkonen, Jon Merrill, Corey Perry, Jeff Petry, Carey Price, Alexander Romanov, Eric Staal, Nick Suzuki, Tomas Tatar, Tyler Toffoli et le capitaine, Shea Weber.

Une pensée aussi pour les entraîneurs Dominique Ducharme, Luke Richardson, Alex Burrows, Sean Burke et Mario Leblanc. Pour le directeur général Marc Bergevin. Pour Jake Allen et Jonathan Drouin qui, bien qu’ils n’aient pas joué dans ces séries, ont permis à l’équipe de se qualifier cette saison.

Tous ont saisi le flambeau tendu par les bras meurtris des anciens. Ils l’ont porté haut. Très haut. Le plus haut qu’ils en étaient capables.

Ils ont fait honneur aux Glorieux.