Lorsque John Tavares a quitté l’aréna sur une civière, jeudi soir, les joueurs des deux équipes l’ont encouragé en tapant sur la glace avec leurs bâtons. Le capitaine des Maple Leafs de Toronto a levé son pouce en l’air. Une très belle marque de solidarité et de fraternité, dans un moment tragique.

Moins de cinq minutes plus tard, le match a repris. Nick Foligno a provoqué Corey Perry en duel, pour punir son coup de genou accidentel – j’insiste, accidentel – envers John Tavares. Ç’a été une bagarre stupide. Inutile. Et surtout, inexplicable pour l’amateur lambda qui regardait la partie à la télévision avec ses enfants.

Une question simple.

Pourquoi ?

Je veux dire : pourquoi venger un accident par la violence ?

Depuis quand est-ce un comportement acceptable en société ?

Depuis jamais, en fait. Sauf au hockey. À cause du Code.

Le Code ? C’est un ensemble de règles occultes qui régissent les interactions entre les joueurs. Par exemple, si un joueur-étoile de ton équipe est frappé par-derrière, tu as le droit de frapper la vedette de l’autre équipe par derrière toi aussi. Ne cherchez pas un exemplaire du Code à votre bibliothèque municipale. Ni chez Renaud-Bray. Ni sur Amazon. Ses règles sont non écrites.

D’ailleurs, c’est très pratique. Comme rien n’est indexé, les joueurs peuvent ajouter de nouvelles règles quand ils le souhaitent. C’est un peu ce qu’a fait Nick Foligno, jeudi soir, pour justifier l’indéfendable.

Remarquez, l’attaquant des Maple Leafs a nié s’être battu au nom du Code. « Je ne vois pas de Code », a-t-il répondu à mon collègue Richard Labbé… avant d’offrir une réponse typique des défenseurs dudit Code. « C’est juste du hockey des séries. Tu ne veux pas reculer face à personne. Notre capitaine était étendu sur la glace, guys. Que voulez-vous que je vous dise de plus ? Il faut se tenir debout les uns pour les autres. Peu importe que vous pensiez que ce soit bien ou non. Nous sommes une famille. John est tombé. Je n’ai pas aimé ça. »

Se battre parce que son capitaine est étendu sur la glace. Même si c’est accidentel. Ajoutez ça à la longue liste des règles non écrites de la LNH.

Dans le fond, le Code, c’est assez simple. Si un adversaire blesse l’un des vôtres, répliquez par la violence. Œil pour œil, dent pour dent. Un vieux principe, au cœur d’un autre Code, encore plus célèbre. Celui de Hammurabi, qui régissait la vie des Babyloniens, il y a 3800 ans. Permettez que je vous en cite quelques extraits.

Si quelqu’un a crevé un œil à un notable, on lui crèvera un œil.

S’il a brisé un os à un notable, on lui brisera un os.

Si quelqu’un a fait tomber une dent à un homme de son rang, on lui fera tomber une dent.

S’il a frappé le cerveau d’un esclave d’homme libre, on lui coupera l’oreille.

Je parie qu’un Babylonien de l’ère de Hammurabi qui voyagerait dans le temps et débarquerait dans un aréna de la LNH, aujourd’hui, comprendrait assez vite les règles du Code du hockey.

***

Les mentalités au hockey vont-elles bientôt changer ?

J’en doute. Car le Code est maintenant inscrit dans l’ADN du sport. Nos hockeyeurs y sont initiés dès l’adolescence, par des parents ou des entraîneurs pour qui la violence est une réponse facile à un problème.

En 2016, La Presse a rapporté un incident qui s’est produit dans une partie de hockey mineur à Montréal. C’était 8-3. Il restait trois secondes au cadran. Un joueur de l’équipe perdante a frappé un adversaire à la tête. Pénalité. Ça aurait pu s’arrêter là. Mais avant la dernière mise au jeu, l’entraîneur des gagnants a demandé à son plus grand joueur d’aller « passer un message » aux perdants. Cet attaquant a frappé un adversaire à la tête. Le jeune s’est effondré sur la glace.

J’ai oublié un détail.

Ces enfants avaient 11 et 12 ans.

Un simple fait divers ? Oui. Jusqu’à ce que vous, ou un de vos proches, soyez la victime innocente d’un acte de représailles comme celui-là. Je n’ai pas l’habitude de parler de ma famille dans ma chronique. Je fais une exception, aujourd’hui, pour vous démontrer les conséquences perverses de cette culture de la vengeance qui pourrit le hockey. De cette escalade de la violence, encouragée par le Code.

Tout a commencé par une bagarre générale dans un match de hockey opposant deux équipes d’écoles secondaires. Un incident d’une rare violence pour des jeunes de 15 et 16 ans. L’arbitre a renvoyé les joueurs au vestiaire pendant 20 minutes pour calmer les esprits. Au retour, les combats ont repris de plus belle. Mon fils a refusé de se battre.

Une semaine plus tard, les deux mêmes clubs se sont retrouvés. Cette fois, dans l’autre aréna. Devant 300, 400 personnes. La tension du match précédent n’était pas encore retombée. Joueurs, entraîneurs, parents, tout le monde anticipait – ou craignait – ce match revanche. Avec raison. Dès ses premiers coups de patin, mon fils a reçu un coup de hache d’un adversaire sur le bras. Il s’est effondré sur la patinoire. En douleur. Il hurlait. Pendant 10 minutes, on n’entendait que ses cris, les instructions des thérapeutes et celles d’un médecin descendu des gradins en renfort. Ils ont dû découper son chandail pour stabiliser son bras. Après quoi, nous sommes allés à l’hôpital Sainte-Justine. Il a passé la soirée aux urgences, en combinaison, culottes de hockey et jambière, à se tordre de douleur.

Tout ça pour quoi ?

Parce que le milieu du hockey tolère la violence. La vengeance. Les représailles. Dans la Ligue nationale, les joueurs ne s’en cachent même pas. Le Code leur permet de venger un coéquipier. Ou de se faire justice. Même en attaquant un joueur innocent.

Ces pratiques discréditent et entachent le hockey. Malheureusement, elles perdureront tant que la LNH continuera de fermer les yeux devant la violence et ces rituels barbares.