Si le commissaire du baseball majeur, Rob Manfred, avait assumé avec mordant sa responsabilité la plus cruciale, c’est-à-dire préserver l’intégrité du jeu, il aurait sanctionné beaucoup plus sévèrement les Astros de Houston, champions déshonorés de la Série mondiale 2017.

Le mois dernier, en annonçant un bouquet de sanctions à l’endroit des Astros à la suite du scandale des signaux volés, Manfred a sûrement pensé que l’affaire s’estomperait peu à peu. Quelques têtes ont roulé, une amende a été imposée et des choix au repêchage ont été retirés.

Mais comme Manfred le constate à la dure – la dernière semaine s’est transformée en cauchemar de relations publiques pour les Astros et lui –, cela n’a pas calmé la tempête. Au contraire, l’animosité envers cette organisation est élevée comme jamais. Cette tricherie, et cela n’est pas banal, éprouve même la traditionnelle solidarité des joueurs du baseball majeur.

PHOTO MATT SLOCUM, ASSOCIATED PRESS

Attribuer un astérisque à la Série mondiale 2017, remportée par les Astros de Houston ? Cela aurait « permis au baseball majeur, en tant qu’institution, d’établir une frontière nette entre l’acceptable et l’inacceptable », écrit notre chroniqueur.

Des stars de premier plan ont dénoncé les joueurs des Astros. Dans le New York Times, Stephen Strasburg, le lanceur vedette des champions en titre de la Série mondiale, les Nationals de Washington, leur a lancé cette pique acidulée : « Un jour, si j’ai la chance d’avoir des petits-enfants, je pourrai leur raconter mon expérience en Série mondiale sans en avoir honte. »

Giancarlo Stanton, qui a cogné 59 circuits avec les Marlins de Miami en 2017 : « Si j’avais su quel était le prochain lancer, j’en aurais frappé 80. »

Cody Bellinger, des Dodgers de Los Angeles, a ajouté que Jose Altuve, des Astros, avait « volé » le titre de joueur le plus utile à son équipe à Aaron Judge des Yankees de New York en 2017. Et que les Astros avaient « volé » à ses coéquipiers et lui la bague des champions de la Série mondiale.

Ces réactions coups de poing sont compréhensibles. Après tout, nous voici devant une organisation qui a concocté un plan diabolique pour tromper ses adversaires de manière insidieuse. Une organisation minée par des valeurs infâmes et dont les agissements minent la confiance des amateurs envers le sport national des Américains.

Non, ce n’est pas le premier scandale qui frappe le baseball majeur. Mais dans celui des stéroïdes au cours des années 90, les coupables ont agi individuellement. Leur propre responsabilité a été mise en cause. Le cas des Astros est différent. Cette fois, une organisation a choisi de tricher pour parvenir à ses fins. Pas en raison d’une regrettable décision spontanée, mais plutôt à la suite d’une démarche réfléchie et raffinée avec le temps.

Si on s’indigne devant les agissements des Russes aux Jeux olympiques de Sotchi en 2014, comment ne pas décrier ceux des Astros ? L’ampleur n’est pas la même, mais la philosophie ayant conduit à ces dérapages est identique : contourner sciemment les règlements. Avec la même justification stupide. À Sotchi, c’était : si le dopage est courant dans le sport olympique, alors faisons-le mieux que les autres. À Houston, c’était : si le vol des signaux est courant dans le baseball majeur, alors faisons-le mieux que les autres.

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Le baseball majeur est aujourd’hui en crise. Et celle-ci ne se résorbera pas de sitôt. Dans tous les stades qu’ils visiteront, les amateurs rappelleront aux Astros, à grands coups de huées et d’insultes, que leur équipe est désormais synonyme de tricherie. Au point que, dans plusieurs régions des États-Unis, les dirigeants de ligues pour jeunes ont demandé aux équipes portant le nom « Astros » de changer d’appellation. L’idée, a expliqué un responsable au Washington Post, est de ne pas « idolâtrer » une équipe ne respectant pas les règles.

Jouer pour les Astros sera éprouvant en 2020. Leur nouveau gérant, Dusty Baker, craint déjà le pire. Ses frappeurs seront-ils visés par des balles rapides à la tête ? « Je me fie à la ligue pour stopper toutes représailles préméditées », a-t-il déclaré cette semaine.

Le baseball majeur promet d’être vigilant, mais la situation pourrait déraper. L’animosité à l’endroit des Astros est réelle. D’autant plus que la direction et les joueurs ont raté l’occasion de diminuer les tensions à l’ouverture de leur camp d’entraînement. Au lieu d’un mea culpa bien senti, ils ont débité des phrases préparées, qui ne venaient pas du cœur.

Le propriétaire Jim Crane, commodément épargné par Manfred dans son rapport sur les évènements (pourtant, tout cela s’est produit sous son leadership), a donné le ton en se montrant d’une rare arrogance. « Notre opinion, c’est que tout cela n’a pas eu d’impact sur le jeu. Nous avions une bonne équipe [en 2017]. Nous avons gagné la Série mondiale et on va s’en tenir à ça. »

S’en tenir à ça ? Peu de gens pensent ainsi. D’autant plus qu’un mystère plane toujours : les Astros ont-ils utilisé un système de capteurs électroniques placés sous l’uniforme de certains joueurs pour les prévenir des lancers à venir en 2019 ? Ils jurent que non, mais la réaction de Jose Altuve après avoir cogné le circuit gagnant contre les Yankees, en finale de la Ligue américaine l’an dernier, est étrange. En croisant le marbre, il signale avec force à ses coéquipiers venus à sa rencontre de ne surtout pas déchirer son chandail.

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Dans l’espoir de calmer le jeu, Manfred a donné une entrevue à ESPN cette semaine. Il a expliqué qu’après discussion avec ses plus proches collaborateurs, il a écarté la possibilité de retirer leur titre aux Astros.

« L’idée de placer un astérisque ou de demander le retour d’une pièce de métal semble un geste futile », a déclaré Manfred. (En qualifiant de « pièce de métal » le trophée remis aux vainqueurs de la Série mondiale, qui ironiquement porte le nom de « Trophée du commissaire », Manfred a choqué plusieurs joueurs et s’est excusé par la suite.)

Manfred ne pouvait imposer de sanction aux joueurs puisqu’il leur a accordé l’immunité en échange de leur témoignage durant son enquête. Fort bien. Mais il fait preuve de naïveté en ajoutant qu’ils paient un prix réel leurs malversations. La preuve ? Leurs visages lorsqu’ils sont publiquement confrontés à cet enjeu, soutient-il sérieusement.

Manfred n’a pas voulu créer de précédent en retirant aux Astros leur titre. Il aurait au moins dû opter pour l’astérisque qu’il a lui-même évoqué, une manière solennelle de leur adresser un blâme permanent et historique. Sur le web, on trouve aujourd’hui des tas de références aux « Houston Asterisks ». On peut même acheter des t-shirts avec le logo des Astros redessiné : un astérisque remplace l’étoile derrière la lettre « H ».

PHOTO FOURNIE PAR ETSY.COM

On peut acheter des t-shirts avec le logo des Astros redessiné : un astérisque remplace l’étoile derrière la lettre « H ».

Un astérisque attribué par le commissaire n’aurait rien eu de futile. Ce n’est pas suffisant de dire comme Manfred l’a fait : « Les gens sauront toujours qu’il y a eu quelque chose de différent en 2017. »

L’astérisque aurait officiellement terni le championnat des Astros et permis au baseball majeur, en tant qu’institution, d’établir une frontière nette entre l’acceptable et l’inacceptable. Manfred n’a pas eu ce cran. Résultat, les Astros s’en tirent trop bien et le baseball est écorché.

Les citations sont tirées d’ESPN, The New York Times, The Washington Post, Sports Illustrated et CNN.