Marianne St-Gelais transportait un joli coffret blanc frappé du logo «Sotchi 2014», hier après-midi, lors de sa ronde d'entrevues en prévision des Mondiaux de patinage de vitesse courte piste, qui commencent demain à Montréal. Il contenait une belle grosse médaille d'argent acquise au relais aux Jeux olympiques.

Pour la patineuse de Saint-Félicien, cette troisième médaille olympique, gagnée au lendemain de son 24e anniversaire de naissance, représente deux choses: une source de «réconfort» pour toute une équipe frappée par la malchance en Russie, mais aussi le souvenir de ce qu'elle qualifie de «pire journée de ma vie».

Cette journée noire a commencé par une chute lors des qualifications du 1000 m. La frustration de St-Gelais, déjà vive, a été amplifiée par le commentaire d'un arbitre, qui a dit à son entraîneur Frédéric Blackburn qu'elle était tombée toute seule. La patineuse canadienne avait pourtant bien senti un contact avec une adversaire néerlandaise. «Hé, je suis un tank, je ne tombe pas toute seule!», s'emporte-t-elle encore, trois semaines après l'incident.

Persuadée que son entraîneur ne la retiendrait pas pour la finale du relais à venir, St-Gelais s'est précipitée à l'extérieur de l'aréna. À son retour, la première chose qu'elle a vue est la chute de son conjoint Charles Hamelin dans les qualifications du 500 m.

Le préparateur mental de l'équipe a tenté de l'aborder... pour se faire envoyer promener. «Ç'a été vraiment dur pour moi, se souvient St-Gelais. Il fallait que je tourne la page parce qu'en aucune façon je voulais faire payer ces filles-là. On s'est tellement entraînées longtemps ensemble, on a fait tellement de sacrifices. Je me disais: non, non, non, je n'arrive pas dans le relais avec une attitude de merde.»

Après avoir reçu un vote de confiance de son entraîneur, St-Gelais a dû composer avec la rage de son copain, qui rentrait au vestiaire. Un bidon a sifflé près de ses oreilles, puis Charles, décomposé, s'est enfermé dans la salle de bains. Les bruits qu'elle a entendus n'avaient rien de rassurant.

Patins dans les mains, elle se préparait pour l'appel de la finale du relais, déchirée entre son devoir d'athlète et sa volonté d'aller réconforter son amoureux. En s'avançant, elle ne pouvait pas croire qu'elle était en train de lui «tourner le dos».

Heureusement, Yves Hamelin, père de Charles et directeur du programme de courte piste, était là pour prendre le relais: «J'ai dit: "Yves, tu rentres en dedans et tu vas voir Charles, c'est sûr qu'il saigne!"»

Réaction du principal intéressé: «Je ne suis pas assez maso pour ça!» Charles Hamelin confirme néanmoins qu'il valait mieux qu'il soit seul dans ladite salle de bains. «Disons que j'ai détruit une poubelle, un séchoir, une porte, de la céramique... Ça m'a aidé à libérer un peu ce qu'il y avait en dedans de moi.»

Après avoir gagné l'argent en compagnie de ses coéquipières Valérie Maltais, Marie-Ève Drolet et Jessica Hewitt, St-Gelais a retrouvé son amoureux en pleurs. Celui-ci a néanmoins trouvé la force de livrer ce qui a été, de son propre aveu, les entrevues les plus difficiles de sa vie.

Mais quelques heures plus tard, Hamelin brillait par son absence à la cérémonie de remise des médailles et à la célébration qui a suivi à la Maison du Canada. St-Gelais a alors compris que ça n'allait vraiment pas. «Charles en a eu, des malchances, mais il a toujours été là.»

Durant la nuit, elle a reçu un coup de fil de Charles qui, incapable de dormir, lui demandait de venir le rejoindre à son appartement au Village des athlètes. La conversation a duré plusieurs heures. Elle ne l'avait jamais vu dans cet état. «Honnêtement, j'ai pensé que ça allait peut-être l'arrêter (de patiner). Charles n'a jamais frappé un mur comme ça.»

La poussière est retombée sur cette journée noire et argentée. Quarante-huit heures plus tard, tant Marianne St-Gelais que Charles Hamelin étaient prêts à chausser les patins pour quatre autres années. Pour le meilleur et pour le pire.