Les exploits des athlètes jamaïcains ont stupéfié le monde à l'été 2012 lors des Jeux olympiques de Londres. Mais le petit pays des Caraïbes fera maintenant la manchette pour une autre raison, alors que commence lundi une enquête de l'Agence mondiale antidopage (AMA).

L'affaire à l'origine de cette enquête est passée largement inaperçue dans le monde du sport. Elle pourrait toutefois mener jusqu'à l'expulsion des athlètes jamaïcains des Jeux olympiques.

«C'est un moment très intéressant dans l'histoire de l'antidopage, note le Montréalais Dick Pound, joint hier par La Presse. Il y va de la crédibilité de l'Agence mondiale antidopage, mais aussi de celle de la Jamaïque.»

Cet ancien président de l'AMA a suivi tous les rebondissements de l'affaire qui a éclaté le 19 août dernier. Ce jour-là, l'ancienne présidente de l'agence antidopage jamaïcaine (Jadco) a publié un texte accablant sur le site de Sports Illustrated. La Jamaïcaine Anne Shirley révélait que la Jadco n'avait mené qu'un seul contrôle hors compétition lors des cinq mois ayant précédé les Jeux de Londres.

En clair, les athlètes jamaïcains avaient subi très peu de tests. À Londres, les porte-couleurs de la petite île de 2,7 millions d'habitants ont remporté un total impressionnant de 12 médailles, dont 4 d'or. Toutes ont été remportées en athlétisme (dont les deux médailles d'or d'Usain Bolt, au 100 m et au 200 m).

La révélation de Mme Shirley a alerté l'AMA. D'autant plus que quelques mois plus tôt, en juillet, cinq athlètes jamaïcains avaient subi des contrôles positifs, dont Asafa Powell. «La Jamaïque est sur notre radar. Il y a eu une période en 2012 où il n'y a pas eu d'opérations (de la Jadco), pas de tests, a noté le directeur de l'AMA, David Howman, en entrevue à The Guardian. Ça nous inquiète.»

Les Jamaïcains trop occupés

L'AMA a donc décidé d'envoyer des enquêteurs sur place pour dresser le bilan du programme antidopage jamaïcain. Mais la Jadco a répondu qu'elle n'aurait pas le temps de recevoir l'AMA avant 2014. Après des pressions, les Jamaïcains ont finalement accepté de recevoir les enquêteurs plus tôt. Ils arriveront en Jamaïque lundi.

«Je ne suis pas surpris que l'AMA ait insisté pour une réponse plus rapide. Si les dirigeants ne se rendent pas disponibles, c'est possiblement le signe que le pays n'est pas aux normes. Si le pays n'est pas aux normes, l'AMA devra le dénoncer», tranche Pound.

Ce pionnier de la lutte antidopage note qu'à sa connaissance, il s'agira de la première enquête de ce type pour l'AMA. La Jamaïque risque gros. Si l'AMA décidait de déclarer son programme antidopage non conforme, le Comité international olympique (CIO) pourrait choisir d'exclure ses athlètes des prochains Jeux.

«C'est un dossier important pour plusieurs raisons, croit Drick Pound. C'est la crédibilité de l'AMA qui est en jeu. Mais c'est aussi important pour la Jamaïque. Dans les dernières années, le pays a dominé outrageusement le sprint. Il est toutefois devenu clair que le pays n'avait pas testé ses athlètes comme il aurait dû le faire. Récemment, trois ou quatre de leurs meilleurs athlètes, y compris des médaillés olympiques et des champions du monde, ont subi des contrôles positifs.

«C'est une crise pour la Jamaïque. Mais ça pourrait aussi être une crise pour la Fédération internationale et le CIO, croit-il. Parce que si la Jamaïque n'est pas aux normes et qu'ils refusent d'agir, alors leur crédibilité dans la lutte contre le dopage sera entachée.»

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L'AFFAIRE EN CINQ TEMPS

La bombe


Dans un billet sur le site de Sports Illustrated, l'ancienne directrice de l'agence jamaïcaine antidopage (Jadco) attaque l'organisme. Citant des chiffres internes qu'elle a obtenus lors de son passage à l'agence, elle soutient que les athlètes jamaïcains ont été peu et mal contrôlés avant les Jeux de Londres. Il n'y a eu, selon elle, qu'un seul contrôle hors compétition de février à juillet 2012.

L'invitation

Dans la foulée des révélations de l'ancienne directrice de Jadco, la première ministre jamaïcaine invite l'Agence mondiale antidopage à enquêter en Jamaïque.

La rebuffade

Dans une déclaration au journal The Guardian, l'AMA confirme à la mi-octobre avoir reçu une invitation de la Jamaïque pour enquêter sur son programme antidopage. Mais l'agence ajoute du même souffle que la Jadco «ne pouvait les recevoir avant 2014». L'AMA se dit «mécontente» de ce délai.

La menace

Le président de l'AMA, John Fahey, se fait menaçant dans une entrevue avec un journal britannique le 21 octobre. La Jamaïque pourrait être déclarée non conforme par l'AMA si elle refuse de collaborer. Elle pourrait ensuite être exclue des Jeux olympiques par le CIO.

L'enquête

La Jadco et l'AMA parviennent finalement à s'entendre. Trois enquêteurs de l'Agence mondiale antidopage se rendront en Jamaïque à partir de lundi.