Jeudi 10 novembre. Sébastien Jacques se présente aux bureaux de La Presse avec, sur son dos, un gros sac de voyage bleu bien rempli. Sur le côté, une bouteille n’attend qu’à être utilisée. Elle lui sera fort utile au cours des prochaines semaines, alors que le Magogois marchera 47 marathons en 50 jours, du nord au sud de l’Italie.

« Mais pourquoi ? », vous demandez-vous sans doute.

Pour trouver réponse à cette question, il faut remonter à 2011. Sébastien Jacques a alors 23 ans. Il est champion de tennis canadien et deviendra professionnel dans les mois suivants, quand il aura terminé sa quatrième année d’études à l’Université Virginia Tech, en Virginie.

Un matin, le jeune homme est affligé par des étourdissements et des faiblesses musculaires. À l’entraînement, son coach lui demande si tout va bien. Sébastien pense d’abord à une grippe.

« On faisait des courses à la fin des entraînements. Je finissais tout le temps premier facilement. Là, je le faisais et ça me prenait tout pour ne pas finir dernier. C’est là que je me suis dit : attends, ce n’est pas normal, ce n’est pas une grippe », raconte-t-il.

Pratiquement incapable de se tenir debout, Sébastien arrête le tennis et rencontre le médecin de l’université. De retour au Québec, il consulte spécialiste après spécialiste, chacun tente de mettre le doigt sur ce qui l’afflige. Toutes les options sont évaluées.

Je n’étais plus capable de vivre. Je n’étais plus capable de me lever debout, de voir des amis. J’étais étourdi, faible, toujours assis ou couché.

Sébastien Jacques

Sébastien vit ainsi « quatre années d’enfer », à ne pouvoir marcher que 15 minutes par jour tout au plus. « Je ne souhaite pas ça à mon pire ennemi », lance-t-il. Un bon jour, le diagnostic tombe : une tumeur est logée au centre de son cerveau. Le hic, c’est que les médecins considèrent comme trop risqué de la lui retirer.

« J’ai dit : “Que me conseillez-vous ?” On m’a répondu : “Apprends à vivre comme ça.” »

Ne jamais abandonner

Sportif dans l’âme, Sébastien Jacques refuse de se résigner à une telle vie. Il fait quelques recherches en ligne, lesquelles le mènent vers un groupe Facebook. Il y écrit être à la recherche d’un médecin qui accepterait de retirer sa tumeur « de la glande pinéale ». Quelques noms lui sont proposés, dont ceux de deux neurochirurgiens situés à Santa Monica, en Californie.

« Ils m’ont donné leur numéro de cellulaire, ont répondu à toutes mes questions. Je sentais que c’était [les bons]. »

Au sud de la frontière, les soins de santé ont un coût. Dans ce cas-ci : 110 000 $. L’ex-tennisman lance donc une collecte de fonds. Son histoire, publiée dans les médias, fait le tour de l’Estrie. La communauté tennis répond présente : 80 000 $ sont amassés au Québec, 30 000 $ à Virginia Tech.

Le 12 février 2015, Sébastien se rend avec ses parents à Santa Monica, où il est opéré. Les risques qu’il y laisse sa vie sont évalués à 7 %, mais ça lui importe peu. « Je n’avais plus de vie », souffle-t-il.

L’opération, qui dure quatre heures, se déroule finalement à merveille. Après trois semaines de convalescence, Sébastien retourne au Québec. À Magog, les gens le reconnaissent, sont intrigués par sa cicatrice, lui demandent s’il compte recommencer le tennis.

Même s’il est volubile, Sébastien n’aime pas particulièrement l’attention. Dans un désir de redevenir « Sébastien en tant qu’être humain, pas le joueur de tennis ou le gars qui a été opéré au cerveau », il décide de déménager en Australie. Là-bas, il est entraîneur dans un club de tennis.

« J’adorais ça, se souvient-il. Je pouvais refaire ma vie. »

Voilà qu’un matin, en arrivant dans son cours de groupe, une dame lui dit avoir cherché son nom sur Google. « J’ai raconté mon histoire à ce petit groupe-là et une mère est venue me voir après. Elle voulait que je parle à sa fille. Elle a une maladie auto-immune et a de la difficulté à rester positive là-dedans. »

C’est là qu’est survenu le déclic : Sébastien s’est demandé ce qu’il pourrait faire pour aider les autres. Et la réponse est venue lors d’une de ses longues promenades côtières.

« Je regardais l’horizon et je me suis dit : je vais marcher. »

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Sébastien Jacques

Le premier défi

En 2017, Sébastien Jacques a réalisé son premier grand défi : marcher un marathon par jour pendant six mois.

Je voulais le faire pour les gens. Dire : je n’étais plus capable de marcher 15 minutes par jour et là je vais marcher un marathon par jour pour te faire comprendre qu’on a tous des moments difficiles dans nos vies.

Sébastien Jacques

Celui qui est aujourd’hui directeur général du club de tennis Mount Royal a parcouru 5000 km au départ de Magog vers Québec, Montréal, puis Virginia Beach et Virginia Tech, où ses problèmes de santé avaient commencé six ans plus tôt. Il a ensuite pris la direction de Santa Monica, où il a serré la main du neurochirurgien qui lui a sauvé la vie, avant de revenir vers Magog. Un périple qui a nécessité une force mentale presque surhumaine.

Son histoire a fait le tour de l’Amérique du Nord. Il a rencontré nombre de gens et reçu des milliers de messages de personnes inspirées par son histoire.

À son retour à Magog, des centaines de personnes l’attendaient ; sur scène, il était incapable de parler, des larmes ont coulé sur ses joues. « À un moment donné, je me suis mis à dire : c’est fini. La marche, oui, mais aussi de faire partager ce message d’espoir. »

« Quand on me demandait c’était quoi, le prochain [défi], je disais : je ne marche plus jamais. »

Mais c’était faux.

Faire sourire

Au moment où ces lignes sont écrites, Sébastien Jacques se trouve en Italie, où il a entamé son aventure de marcher 47 marathons en 50 jours — l’équivalent de 2000 km — au profit de la Fondation CHU Sainte-Justine. L’objectif est de 100 000 $. Il a opté pour cette fondation après une rencontre avec l’équipe à l’hôpital. Accompagné d’un neurochirurgien, il a rencontré un jeune garçon qui venait de se faire opérer au cerveau.

Tu sors de là et le médecin te dit : “Si on avait cet équipement-là, ça pourrait nous aider encore plus.” Ça a un impact direct.

Sébastien Jacques

Et pourquoi en Italie ? Lorsqu’il a parcouru ses 5000 km aux États-Unis, une dame venue à sa rencontre lui avait demandé si elle pouvait publier une photo de lui en train de courir sur ses réseaux sociaux. Sébastien avait acquiescé, sans savoir que la dame était une vedette italienne. « Depuis ce temps-là, j’ai 20 000 Italiens sur ma page Instagram », évoque-t-il.

Il était donc tout naturel pour lui de réaliser ce défi chez eux. Ce sont d’ailleurs ses abonnés qui l’hébergeront chacun des 50 soirs.

Pour le reste, le secret de la réussite sera d’y aller « une journée à la fois ».

« C’est un beau message que je veux mettre à l’avant. Moi, je m’en sacre totalement du défi. Totalement, totalement, totalement, insiste-t-il. Mon message profond, c’est que je veux faire sourire quelqu’un qui vit des moments difficiles dans sa vie. Point. »