Personne n’est étranger au fait de retirer chapeaux et casquettes avant le début d’une partie. Si le bras sait porter l’épée, la main se tient un peu plus loin du cœur. Les hymnes nationaux ont eu leur heure de gloire, mais cette ère est peut-être révolue.

S’il est difficile de savoir quand les hymnes nationaux sont devenus un incontournable avant chaque rendez-vous sportif, il est encore plus difficile de savoir si leur pertinence est arrivée à échéance. Si aux États-Unis l’hymne est un symbole qui n’a presque pas de comparable, son prestige s’est un peu abîmé au Canada, surtout au Québec.

Michel Vigneault, historien du sport et chargé de cours à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), explique que l’hymne national est au départ un mouvement patriotique, et non une obligation. Il précise que ces chants n’ont jamais été soumis ou imposés par les dirigeants, mais qu’ils sont plutôt devenus une tradition instaurée par les villes, les équipes et les ligues. Une tradition qui s’est entamée aux États-Unis, à Boston en 1918, et qui s’est accentuée au sortir de la Seconde Guerre mondiale.

Au Canada, même si le patriotisme est moins incarné qu’au pays de l’Oncle Sam, la ministre des Sports du Canada, Pascale St-Onge, soutient que l’hymne national a quand même une connotation particulière, parce que les athlètes et les spectateurs demeurent attachés aux symboles canadiens tels que le drapeau et l’hymne national.

Elle avance même que de jouer l’Ô Canada avant les matchs est un moment que les Canadiens apprécient et qu’il s’agit d’un « sentiment de fierté partagée [...] qui nous donne l’occasion de prendre une pause pour célébrer nos valeurs et les nombreuses raisons pour lesquelles nous pouvons être fiers d’être canadiens ».

Si tout le monde s’entend sur l’aspect traditionnel du décorum, d’autres remettent en question, justement, ce sentiment de fierté. Ainsi, se demander si l’hymne a sa place avant que la rondelle soit déposée ou que le ballon soit lancé devient l’intérêt principal.

Sébastien Lemire, porte-parole du Bloc québécois en matière de sport, remet en question la pertinence d’interpréter les hymnes nationaux. Selon le député, ils ne servent qu’à politiser le sport. Même si Mme St-Onge assure qu’il n’existe aucune règle protocolaire officielle qui exige ou qui impose de jouer l’hymne, M. Lemire trouve curieux qu’il y a une vingtaine d’années, ce moment n’était pas télédiffusé ou radiodiffusé. Ce qui est le cas aujourd’hui. « On a politisé le sport énormément et il y a toujours un risque de dérapage là-dedans », croit-il.

Pour le spectacle

La tradition est une chose et le divertissement en est une autre. Pourtant, les hymnes nationaux sont devenus un mélange des deux. Tant au Canada qu’aux États-Unis. Que ce soit avant le Super Bowl ou avant un match de séries au Centre Bell. Dans les deux cas, la patrie est secondaire et le spectacle prime.

C’est pourquoi M. Lemire doute de la nécessité de passer un message politique dans ce genre d’évènement.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Ginette Reno interprétant l’hymne national avant un match du Canadien, en avril 2017

Ginette Reno peut créer un engouement avant un match qui est intéressant, mais elle pourrait le faire avec n’importe quelle chanson.

Sébastien Lemire, député et porte-parole du Bloc québécois en matière de sport

M. Vigneault croit aussi que la mise en place d’une mise en bouche en crescendo avant un évènement sportif fait oublier la signification première de l’hymne qui était de rendre hommage et célébrer la patrie et les soldats revenus ou disparus.

Il fait aussi remarquer que cette tradition n’existe pas en Europe. « C’est très nord-américain », précise-t-il.

À son avis, les hymnes trouvent leur place dans des rendez-vous internationaux, comme des Championnats du monde ou des Jeux olympiques, là où la supériorité des différents pays est mise à l’enjeu. Ce qui n’est peut-être pas le cas dans un match du mardi soir entre le Canadien de Montréal et les Rangers de New York, par exemple.

C’est aussi ce que croit Sébastien Lemire, qui se demande ce que représentait l’Ô Canada ou le Star-Spangled Banner pour Saku Koivu, un Finlandais, lorsqu’il était le capitaine du Tricolore. En fait, il se pose la même question à l’égard de tous les joueurs et les partisans réunis dans un aréna ou un stade. Il s’interroge à savoir qui ça sert et qui se plaindrait si on éliminait les hymnes nationaux.

Une question qui n’aurait même pas lieu d’être aux États-Unis.

Le cas américain

De Whitney Houston en 1991 à Colin Kaepernick en 2016, l’hymne national américain a souvent été le théâtre de gestes mémorables. Pour le meilleur et pour le pire.

Si sa pertinence ne sera jamais remise en question, contrairement au Canada, nul doute que l’hymne divise même aux États-Unis. Chose qui semblait impensable auparavant.

PHOTO FRANK FRANKLIN II, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

L’hymne national divise même aux États-Unis, ce qui semblait impensable auparavant.

Rafael Jacob, chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand et analyste de politique américaine, a constaté au cours des dernières années que ce symbole ultrapuissant avait évolué dans la perception des Américains. « C’est moins universel. Disons, plus contesté. »

Plusieurs athlètes ont commencé à profiter des hymnes nationaux pour se prononcer sur le plan politique. Ce qui déplaît à certains amateurs sportifs plus conservateurs.

En revanche, même si le symbole s’est effrité, il est toujours extrêmement fort au pays de Joe Biden. « Ce serait impensable, du moins je ne l’ai jamais vu, que quelqu’un ne se lève pas pendant l’hymne national. »

M. Jacob a assisté à différents évènements sportifs dans toutes les grandes villes américaines et nos voisins mettent les bouchés doubles quand vient le temps de rendre gloire au drapeau tricolore. Jets militaires et anciens combattants sont habituellement de la partie. « C’est impressionnant. Il y a vraiment quelque chose de profond et de viscéral », dit-il.

Le clivage s’intensifie depuis que Donald Trump a remporté l’élection présidentielle de novembre 2016. Le pays a rarement été aussi divisé et, jusqu’à tout récemment, le sport était l’un des rares piliers de la société américaine qui faisaient l’unanimité. À un point où l’hymne national était devenu un réel moment de communion. L’instant de quelques heures, les Américains mettaient leurs différences sociales, politiques et religieuses de côté.

« Est-ce qu’il reste ça comme lieu de communion ? se demande M. Jacob. Je serais tenté de dire oui, parce que le sport et l’hymne national sont tellement intrinsèquement liés dans la culture du XXe siècle. » Il parle même de « symbole ultime ».

Cependant, l’hymne national est contesté et il est faux de croire que son unanimité persiste. Il est d’ailleurs possible de faire un parallèle avec la National Football League (NFL).

« Le football, le dimanche, c’est encore populaire, mais même la NFL, c’est devenu clivé, parce que la Ligue a pris position dans certains débats sociaux et politiques, dit M. Jacob. Il y a des conséquences chez certains consommateurs qui n’aiment pas ces positions. Même ça, ça unit les Américains, mais ça les unit probablement moins qu’il y a quelques années. Les hymnes nationaux, c’est pareil. Ça s’est effrité, pas beaucoup, mais ça s’est effrité. »

Un engouement qui s’épuise, un symbole remis en question et une pertinence qui divise. Fragile dans un pays qui l’enseigne à ses enfants, la terre de nos aïeux a fleuri et a donné de nouvelles couleurs. Une teinte différente, qui s’inscrit dans une tradition nouvelle, voire transformée.