Un père entre dans un nouveau restaurant de Portland, en Oregon. Sur les téléviseurs, que des sports féminins. Il est avec ses deux filles de 5 ou 6 ans. À ce moment précis, c’est un championnat national de gymnastique qui est présenté. Les yeux des gamines sont rivés sur les écrans. Le père est émotif de voir ses enfants à ce point fascinées. Enfin, elles avaient la chance de voir des femmes en action.

Cette histoire, c’est Jenny Nguyen qui nous la raconte.

Son histoire à elle commence le 1er avril 2018. Jenny Nguyen et ses amies veulent regarder la finale universitaire de basketball féminin entre le Fighting Irish de Notre Dame et les Bulldogs de Mississippi State. Elles cherchent désespérément un bar qui diffuse le match.

Toutefois, comme le sport féminin représente seulement 4 % de la diffusion télévisuelle sportive globale, elles n’ont rien trouvé. Elles ont finalement regardé la rencontre sur une petite télévision mobile, sans son, dans le fond d’un bar local.

PHOTO DOROTHY WANG, FOURNIE PAR THE SPORTS BRA

Jenny Nguyen devant le Sports Bra, à Portland

C’est à la suite de cet évènement que Jenny, qui refuse catégoriquement de se faire appeler Mme Nguyen, commence à penser à l’idée de créer un resto-bar qui diffuserait uniquement des disciplines féminines. En tant que chef et ancienne joueuse de basket, c’était l’occasion de réunir ses deux passions.

Elle se disait que le concept devait bien exister déjà. Or, non. C’était son idée. Elle a donc lancé une campagne de sociofinancement, qui a atteint 105 000 $ en 30 jours. Plus de deux fois l’objectif de départ.

En avril 2022, The Sports Bra ouvrait ses portes. Depuis, son succès est retentissant.

Niché, mais nécessaire

Native de Portland, Jenny est une ancienne joueuse de basketball devenue chef et entrepreneure.

Sa meilleure recette est celle qui lui a permis de faire du Sports Bra un modèle de réussite. Ce concept novateur met de l’avant les athlètes féminines de tous les horizons en ne diffusant que des sports féminins.

Jenny s’est présentée devant son ordinateur, par Zoom, en pleine préparation pour le service du soir. Un t-shirt gris, des tatouages sur l’entièreté de la surface de ses bras et un sourire décapant, malgré l’heure de pointe.

PHOTO DOROTHY WANG, FOURNIE PAR THE SPORTS BRA

Les murs sont chargés d'éléments sportifs féminins.

Derrière elle, un bibelot de collection, un immense navire pour rappeler sans doute l’air marin de la côte Ouest. Au-dessus, un maillot de l’équipe de soccer de l’Université de l’Oregon.

« J’avais l’intuition que mon idée allait pouvoir résonner auprès du public féminin, et en particulier auprès des athlètes. Je savais que je m’adressais à un marché niché. C’était un risque, je n’avais aucune garantie que ça fonctionnerait, mais finalement l’idée a rejoint énormément de gens », a-t-elle expliqué.

Le succès fulgurant obtenu a largement dépassé ses attentes. « J’étais sous le choc. » Elle a été saisie de constater tout l’appui reçu, de partout au pays, dès le lancement de la campagne de sociofinancement. Depuis deux mois, le restaurant est tout le temps bondé, mais il fait aussi énormément parler de lui et du sport féminin.

« Je me suis dit que je venais peut-être de toucher à quelque chose qui parlait à une tonne de gens de différents milieux. »

La décoration de l’endroit rappelle un pub de quartier. Les banquettes, les touches de bois, l’espace confortable et étroit à la fois.

Jenny soutient que les gens se soucient très peu, en réalité, du sexe de l’athlète lorsqu’ils regardent un évènement sportif. Le sport prime, le genre des athlètes n’y change rien.

« Avec plus de sports à la télévision et un meilleur accès aux disciplines féminines, plus de gens vont s’y intéresser. C’est logique. »

Elle se dit que c’est probablement pour ça que son projet cartonne. Ça, et le fait qu’elle soit la seule à présenter un tel concept. Dans une industrie déjà saturée et où il est difficile de se démarquer, le Sports Bra a pourtant su le faire. « J’en suis venue à la conclusion que la trajectoire pour le sport féminin avait pris un virage dramatique dans les dernières années. […] Je reçois beaucoup de remerciements, surtout d’athlètes, pour mettre en valeur des femmes et pour avoir pris le risque. Tout le monde se demande pourquoi ça a pris autant de temps avant que quelqu’un fasse quelque chose comme ça. »

Une portée internationale

Maintenant qu’elle a la confirmation que le concept peut survivre, Jenny ne cache pas ses intentions. « Je pense que ce concept pourrait survivre partout ailleurs. Mon but avec le Sports Bra est d’en ouvrir dans d’autres villes du pays. »

PHOTO DOROTHY WANG, FOURNIE PAR THE SPORTS BRA

Jenny Nguyen

Elle aimerait même ouvrir des succursales à l’étranger. Au Canada, elle a Toronto dans le viseur. Elle a même reçu des offres de l’Angleterre, de la France, de l’Espagne, du Portugal, du Brésil et des Philippines. La raison de cet intérêt est simple : « Il y a vraiment des gens de partout qui pensent que le sport féminin est important et que c’est un marché trop peu accessible pour tant de gens. »

Des gens comme ce père de famille qui emmène ses deux petites filles regarder de la gymnastique. Un père qui pourrait, d’ici quelques années, voir ses enfants s’épanouir à travers le sport parce qu’elles auront vu, à un jeune âge, que c’était possible. « Le père m’a arrêtée pour me dire à quel point ça pouvait avoir un impact immédiat. Il était presque en pleurs de voir ses filles regarder d’autres femmes réussir à un haut niveau. »

C’était le souhait de Jenny. Cette entrepreneure et athlète de Portland qui a décidé d’ouvrir un resto-bar consacré au sport féminin. Un resto-bar qui devait exister.