Avant d’aller au lit vendredi à Boston, Charles Philibert-Thiboutot a reçu un petit électrochoc : son ami William Paulson venait de battre son record provincial au 1500 m lors d’une rencontre en Californie.

« Ça a comme allumé un feu un peu. Je me disais qu’il fallait que je fasse une grosse performance pour répliquer. »

Le lendemain, le coureur de Québec s’est pointé sur la ligne de départ du 5 km de la Boston Athletic Association avec « le couteau entre les dents ». Son objectif : gagner la course disputée en prélude au célèbre marathon présenté lundi.

Parmi les 10 000 partants de cette épreuve populaire, il avait noté la présence de quelques adversaires de fort calibre, dont un Marocain 6e du 3000 m aux derniers Mondiaux en salle, un Kényan qui venait de réaliser un demi-marathon en 60 minutes et un Néo-Zélandais vainqueur du 3000 m aux Millrose Games. Bref, « c’était du bon monde ».

Comme de fait, le Marocain Zouhair Talbi et le Kényan Edward Cheserek, une ancienne gloire de la NCAA, se sont détachés « tôt dans la course ». Philibert-Thiboutot a compris qu’il devait réagir là.

Mon but n’était rien d’autre que de gagner. Je savais que les Américains étaient un peu des pissous, qu’ils n’iraient pas avec eux. Je me suis dit : si je veux gagner, je dois y aller. C’est ce que j’ai fait.

Charles Philibert-Thiboutot

Le Marocain a cédé au troisième kilomètre, suivi du Kényan un kilomètre plus loin. Le Québécois a franchi le dernier kilomètre seul contre le vent, avec le peloton à ses trousses. Porté par la foule qui bordait l’ultime ligne droite, il a réussi à résister de justesse. Dix ou quinze mètres avant de briser le ruban, il a aperçu le chrono. Il a donc donné un dernier petit coup avant de traverser la ligne.

Son temps : 13 minutes 35 secondes, soit 1 seconde de mieux que le record canadien que détenait Paul Williams depuis 1986. Philibert-Thiboutot a été le premier à le souligner : cette marque nationale n’était pas la plus impressionnante. Cela dit, un vent défavorable a soufflé du début à la fin et le parcours n’était pas plat d’un bout à l’autre.

« Je ne me suis pas vraiment arrêté à ça. Cette course-là, je voulais vraiment la gagner. Que le temps suive, ça a comme été un bonus. Mais si on le compare à d’autres courses de 5 km sur route dans le monde, le chrono final n’était pas extraordinaire. »

Une rivalité québécoise ?

À sa première compétition de l’année, Philibert-Thiboutot tenait à marquer le coup. « J’avais fait mes meilleurs entraînements à vie en altitude. Je sentais que je pouvais être le meilleur coureur cette journée-là sur la ligne de départ. Je voulais le montrer à tout le monde. »

Le record de Paulson, un Québécois qui a grandi en Grande-Bretagne, n’a fait que décupler sa motivation.

« Je suis encore dans le sport pour être compétitif au plus haut niveau, a noté Philibert-Thiboutot. Je ne suis pas là pour m’asseoir sur mes lauriers. Le fait qu’il batte mon record, ça m’a comme donné un petit coup au derrière pour la course de Boston et ça m’en donne un aussi pour le reste de la saison sur 1500 m. Je ne veux pas laisser ce record battu. »

La performance de Paulson met la table pour un beau duel québécois. « Je suis vraiment content pour lui, mais c’est le fun aussi qu’il y ait une rivalité comme ça au niveau québécois. Je pense que ça ne s’est jamais vu. Il aurait fallu que Bruny Surin ait un égal à ses meilleurs jours pour que ça se compare un peu à ce qui va se passer entre Will et moi cet été sur 1500. »

Après avoir raté sa sélection pour les Jeux olympiques de Tokyo, Philibert-Thiboutot a réussi son standard de qualification pour les Championnats du monde présentés à partir de la mi-juillet à Eugene, en Oregon, la ville d’attache de Paulson. Le protégé de Félix-Antoine Lapointe aborde donc la saison avec grande confiance après des années marquées par les blessures.

Le demi-finaliste de Rio a pourtant manqué toute la campagne en salle en raison d’une rupture d’un muscle du mollet en janvier. « Ça a été cinq semaines sans entraînement, mais en même temps, dans la dernière année et demie, j’ai vraiment eu un bon élan. Ça n’a pas été trop difficile de revenir de cette déchirure-là. »

Philibert-Thiboutot testera de nouveau son endurance dans le cadre d’un 5000 m sur piste le mois prochain en Californie. Le demi-fondeur n’a jamais caché sa volonté d’élargir sa palette, une tendance sur le circuit international à l’heure actuelle.

« Félix-Antoine et moi, on pense que le 5000 et le 1500 ne sont pas du tout mutuellement exclusifs. Notre but est donc d’être compétitifs sur les deux distances dans les prochaines années. »

Dans un monde idéal, l’athlète de 31 ans participerait au 1500 m des Mondiaux d’Eugene et au 5000 m des Jeux du Commonwealth de Birmingham, pour lesquels il devra cependant réaliser un temps « extrêmement ambitieux ».

« Quin toé ! »

Privé de financement par Athlétisme Canada l’automne dernier, Philibert-Thiboutot a-t-il eu une petite pensée pour les dirigeants de la fédération quand il a réalisé son record à Boston ? « Chaque fois qu’un tel résultat arrive, j’y pense deux secondes et je suis comme : quin toé ! Mais je ne veux pas utiliser ça comme motivation parce que franchement, c’est de l’énergie négative. » Le coureur poursuit sa préparation en altitude à Flagstaff, en Arizona, en marge de l’équipe nationale, qui s’entraîne au même endroit. Certains spécialistes sur place tentent de l’aider et de l’accommoder dans la mesure du possible. Un baume pour celui qui estime s’être blessé en janvier en raison d’un inconfort à un pied non traité après les Championnats nationaux de cross-country, où il a fini deuxième en novembre. Jugeant prohibitif le coût d’un billet d’avion pour Vancouver, où réside sa physiothérapeute, il avait préféré s’abstenir de la visiter. « Le fait de ne pas avoir de soutien a des ramifications. Je suis prêt à dire que je me suis blessé cet hiver à cause de ça. » Souhaitant éviter la même erreur, il s’est installé à Vancouver ces deux derniers mois et y retournera après sa prochaine compétition, le 6 mai.