« Il y a un avant 3 février et un après 3 février. » À la suite de l’arrestation de trois entraîneurs pour des crimes de nature sexuelle à l’école secondaire Saint-Laurent, un regroupement d’anciennes joueuses de basketball a mis sur pied la Coalition des grandes sœurs du sport. Sa mission : mettre fin à la « culture du silence » qui règne dans le sport.

Le 3 février, c’est cette journée où trois entraîneurs de basketball de l’école secondaire Saint-Laurent, Daniel Lacasse, Robert Luu et Charles-Xavier Boislard, ont été arrêtés pour avoir commis des crimes de nature sexuelle à l’endroit d’anciennes élèves.

L’histoire a secoué le monde du sport québécois au cours du dernier mois. Plusieurs ont dénoncé « l’omerta de la direction » de l’école, tandis que le gouvernement Legault a ouvert une enquête sur la « manière » dont Basketball Québec a géré la situation.

Trois jours après les arrestations, le 6 février, 15 anciennes joueuses de basketball ont décidé de se rencontrer virtuellement. Elles avaient besoin de se rassembler, de se vider le cœur. Et de passer à l’action.

« Il fallait qu’on se mobilise parce que tout le monde était outré, enragé, peiné », raconte la porte-parole de la nouvelle Coalition des grandes sœurs du sport, Joëlle Martina, dans une entrevue avec La Presse.

PHOTO FOURNIE PAR JOËLLE MARTINA

Joëlle Martina, porte-parole de la Coalition des grandes sœurs du sport

« On se disait : ça ne se peut pas que ce soit ça qui se passe dans notre communauté depuis qu’on a quitté, continue-t-elle. Ce qui était difficile à réaliser, c’était que ce n’était pas surprenant pour beaucoup de personnes. Les gens savaient que [les entraîneurs] parlaient comme ça [aux joueuses]. »

Les femmes se sont rencontrées six fois au cours des dernières semaines. C’est le 21 février qu’elles ont créé la Coalition, qui « valorise la pratique du sport dans un environnement exempt de violence, qu’elle soit verbale, psychologique, émotionnelle, physique ou sexuelle », peut-on lire dans une lettre signée par les ex-athlètes.

Depuis, 350 personnes de tous les milieux se sont jointes au mouvement sur la page Facebook privée de la Coalition.

Tu réalises tellement rapidement que ça se passe partout. On est tannées. Tu attends toujours que quelqu’un d’autre fasse quelque chose. Mais là, non, ç’a bien l’air que nous, on va devoir faire quelque chose.

Joëlle Martina, porte-parole de la Coalition des grandes sœurs du sport

Le regroupement observe une zone grise, où ce « n’est pas illégal de crier, de sacrer après quelqu’un, de dire que les joueuses sont stupides et de les traiter de noms », explique Mme Martina. Mais « ça laisse des traces ». Et « ça ne se peut pas que ce soit juste parce que ce n’est pas illégal que c’est permis », dit-elle.

« Nous, ce qu’on va essayer de faire, c’est qu’il n’y ait plus de zone grise. »

Première action

La Coalition des grandes sœurs du sport n’a que quelques jours de vie, mais elle a déjà posé sa première action, celle de demander la démission du directeur général de Basketball Québec, Daniel Grimard. Le conseil d’administration de la fédération lui a répondu qu’il était en train d’identifier les actions qui doivent être prises pour assurer la sécurité de ses athlètes, sans toutefois donner de réponse officielle à sa demande.

Le regroupement entend aussi faire beaucoup d’éducation. Non seulement du côté des entraîneurs, mais aussi du côté des jeunes athlètes, filles et garçons. Leur enseigner quelles sont les limites.

« Il faut que tu éduques les jeunes pour qu’ils sachent ce qui n’est pas correct », soutient Joëlle Martina, elle-même entraîneuse pour l’équipe de sa fille. « […] Il faut qu’on normalise la dénonciation plutôt que de montrer du doigt quand quelqu’un dit quelque chose. »

On peut s’attendre de la coalition qu’elle demande la responsabilisation et l’engagement des institutions sportives, scolaires et politiques.

Joëlle Martina, porte-parole de la Coalition des grandes sœurs du sport

La femme de 41 ans et toutes ses acolytes ont conscience que changer la culture du sport sera un long processus, un « marathon à relais ». La première étape sera de centraliser l’information, c’est-à-dire les ressources déjà disponibles, mais qui ne sont pas nécessairement utilisées.

« Que ce soit des lignes pour dénoncer, des cours de formation… Ce sont toutes des choses qui existent, donc pourquoi on ne les utilise pas ? Pourquoi ce n’est pas obligatoire ? Et même si tu le fais, qui vérifie, qui fait le suivi ? », questionne Mme Martina.

Cette dernière a elle-même eu affaire à des entraîneurs toxiques dans sa jeunesse. Elle a dû apprendre à vivre en se faisant « crier après », dit-elle.

« [Plus tard], quand j’ai atteint l’âge [qu’avaient mes entraîneurs quand je jouais], je me suis dit : “Oh, mon Dieu, ils pouvaient faire mieux.” »

« Ce n’est pas parce que tu coaches d’une façon bienveillante et que tu as vraiment la réussite des jeunes à cœur que tu ne peux pas gagner, rappelle-t-elle. Les deux choses peuvent exister. »

Et la Coalition est là pour le rappeler.

« Pour celles qui ne peuvent pas parler, nous allons aller de l’avant pour essayer de les protéger et faire en sorte que la zone grise ne soit plus là », laisse entendre Mme Martina.

« On sait, maintenant. On a entendu et on va agir. Peu importe ce qu’agir veut dire. Que ce soit d’aller dans les gyms avec nos chandails de la Coalition pour dire : “Hé, le coach, je te regarde, je suis là.” Si ça prend ça… »