Elles ont perdu une des leurs, blessée en chemin, mais elles l’ont fait. Anne-Lise Nadeau et Doudja Mekamcha ont complété le tour de l’île de Montréal à la course, les 5 et 6 novembre. À leur arrivée, elles se sont serrées dans leurs bras, laissant couler quelques larmes. De joie. De fatigue. De fierté, aussi, surtout.

Pendant que le Québec se préparait à aller au lit, vendredi soir, les ultramarathoniennes Doudja Mekamcha, Anne-Lise Nadeau et Isabelle Desjardins-David entamaient le plus gros défi sportif de leur vie.

Alors que Desjardins-David, blessée à une jambe, a dû abandonner au 90e des 130 km, Mekamcha et Nadeau ont complété la boucle en revenant à leur point de départ dans le secteur du parc Maurice-Richard, dans le nord de l’île, samedi à 17 h 15. Elles étaient à bout d’énergie. Épuisées. Mais elles rayonnaient malgré tout, sourire aux lèvres.

« On est vraiment allées au bout de nous-mêmes. On a puisé vraiment profondément », a dit Anne-Lise Nadeau en entrevue avec La Presse, après avoir remercié et salué les quelques amis venus les féliciter.

Elles ont bravé le froid automnal, presque hivernal, pendant 21 heures. D’après leurs recherches, aucune femme n’avait encore réussi l’exploit de compléter le tour de l’île. Tout indique qu’elles sont les premières.

« Ça nous a piquées au vif [quand on l’a appris], lance Anne-Lise Nadeau en riant. On s’est dit que ce serait un beau challenge. Là, on l’a fait. On peut mettre notre petit drapeau, comme sur la Lune ! »

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOOK D’ANNE-LISE NADEAU

Anne-Lise Nadeau

Les trois femmes n’étaient pas seules pour réaliser ce grand défi. Elles étaient accompagnées de leurs amis Laurent Teboul, Louis-Philippe Messier et François Decelles.

« J’ai le cœur full rempli de gratitude en ce moment, laisse entendre Doudja Mekamcha, le trémolo dans la voix. […] Ça n’a pas de prix d’être aussi bien entourées. »

« J’ai aussi la gratitude de pouvoir inspirer mes enfants, mes amis, poursuit-elle. Je suis enseignante au primaire et j’ai dit à mes élèves ce que je m’apprêtais à faire. Ils ont hâte que je leur raconte [comment ça s’est passé]. »

Ah ! Et elles ont aussi amassé 4100 $ au profit de la Société de la sclérose latérale amyotrophique (SLA) du Québec.

D’abord, parce qu’elles ne font jamais de courses « juste pour courir », explique Doudja Mekamcha. Puis, parce qu’Anne-Lise Nadeau souhaitait rendre hommage, d’une certaine façon, à un technicien en audiovisuel de son ancienne école secondaire à Saint-Hyacinthe. Jacques Caron est mort récemment de la SLA, aussi appelée la maladie de Lou-Gehrig. Il a marqué la vie d’Anne-Lise Nadeau et de plusieurs autres de ses anciens élèves, affirme-t-elle.

« Je le côtoyais tous les jours, on s’écrivait par courriel, raconte la femme de 42 ans. Il a demandé l’aide médicale à mourir à l’automne. Les dernières semaines, j’étais vraiment là, on s’écrivait beaucoup. La veille de son décès, on s’écrivait. Il avait toute sa tête. Lui, c’était la déglutition. Il n’était plus capable d’avaler, il s’étouffait.

« La veille de son décès, je lui ai dit : “ Jacques, j’ai une grosse course et je vais la faire pour toi, pour la SLA, pour ramasser des sous. ” »

Plus long que prévu

Initialement, les deux femmes devaient prendre part à la Montréal Backyard Ultra ce week-end. L’évènement a finalement été annulé, mais la collecte de fonds allait déjà bon train.

Le printemps dernier, elles avaient réussi, avec Laurent Teboul, à parcourir 105 des 130 km autour de Montréal. Le couvre-feu en vigueur à ce moment les avait toutefois empêchées de faire la pointe est de l’île. Elles ont donc vu en l’annulation de la Backyard Ultra l’occasion de faire le tour de l’île en entier cette fois-ci, question de cocher ce défi sur leur bucket list.

« Je me suis dit que ce serait quelque chose de grandiose, indique Doudja Mekamcha. Ce n’est pas tout le monde qui se réveille et qui se dit : “ OK, je vais aller faire ça. ” Ça donnerait aussi un sens à notre collecte de dons. »

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Doudja Mekamcha

Le principal défi, dans les premiers kilomètres, a été de trouver une vitesse qui convenait aux six membres du groupe. Tous n’avaient pas le même rythme ni le même entraînement derrière la cravate.

« À un moment donné, j’ai vu que personne ne prenait le lead, alors j’ai dit que je serais en charge de regarder l’heure et dire quand on marche et quand on court », raconte Anne-Lise Nadeau.

Ceux qui le souhaitaient pouvaient suivre leur trajet en temps réel par l’application Strava. Le petit groupe est parti à 20 h 15. Trois heures plus tard, vers 23 h 15, il était à la pointe est de l’île. Il a brièvement fait halte dans un hôtel pendant la nuit pour se réchauffer et se ravitailler en eau et en nourriture.

Pendant leur périple, les amis ont vu Montréal d’une autre façon. « À la limite, je pense que [maintenant], on connaît mieux Montréal que les maires qui se présentent aux élections ! », s’exclame Anne-Lise Nadeau à la blague.

Doudja Mekamcha se souvient du moment où elles ont aperçu le pont Jacques-Cartier pour la première fois. Il était illuminé de fuschia, éblouissant. « [C’est comme si] c’était pour nous. Ça m’a donné des frissons », dit-elle.

Mais comment les deux femmes ont-elles gardé le cap malgré le froid, la fatigue et la blessure d’une des leurs ?

« Quand je pars pour une grande aventure, j’écris le nom de mes enfants sur mon bras », explique Mekamcha en levant la manche de son avant-bras gauche.

On peut y lire les trois prénoms, en plus de sa devise : « Je fais de mon mieux ».

« À chaque moment de découragement, je regardais le nom de mes enfants, je donnais un bisou et je continuais. […] Un moment donné, j’étais à Saint-Anne-de-Bellevue et mon plus jeune m’a écrit : “ Maman, continue, tu es capable, je crois en toi. ” Je suis partie à pleurer. Tout de suite après, mon plus vieux, qui a 17 ans, m’a écrit : “ Maman, je t’aime, tu es capable, let’s go, je suis avec toi. ” Après ça, c’était ma fille. »

Elles avaient prévu compléter la boucle en fin d’avant-midi, samedi. Elles ont finalement pris six heures de plus que prévu. Mais le temps n’a pas vraiment d’importance, en réalité. Ce qui importe, c’est qu’elles l’ont fait.

« Je suis vraiment contente, souffle Anne-Lise Nadeau. C’est ma dernière course de la saison. Je sens que le corps a besoin de se reposer. »