William Emard s’est classé huitième au concours complet des Championnats du monde de Kitakyūshū, il y a une dizaine de jours, un sommet historique pour la gymnastique masculine canadienne. Une « expérience unique », qui était pourtant bien mal partie.

Sur le coup, William Emard n’a pas compris pourquoi la gymnaste américaine Simone Biles s’était retirée de presque toutes ses épreuves à Tokyo, l’été dernier.

« Pour être honnête, je me disais : “Tu es aux Jeux olympiques, le summum des compétitions, et tu décides de lâcher ?” »

Le gymnaste de Laval avait dû lui-même faire une croix sur une première participation olympique quand Gymnastique Canada avait refusé d’assister à la dernière compétition de qualification au Brésil, où la situation de la COVID-19 suscitait de l’inquiétude.

Alors oui, pour revenir à Simone Biles, elle y était, elle, aux Jeux, qu’avait-elle tant à se plaindre ?

Emard ignorait alors qu’il aurait lui-même, deux mois plus tard, à combattre ses propres démons. Dans son cas, ils ont pris la forme de crises d’anxiété et de panique. Une rupture amoureuse après une relation de plus de quatre ans et l’abandon de ses études universitaires en génie l’ont plongé dans une « spirale » négative qui l’a suivi jusque dans la salle de gymnastique.

Le jeune homme de 21 ans, très organisé, très occupé, a soudainement perdu ses repères. À une dizaine de jours de son départ pour les Championnats du monde, plus rien n’allait.

Sa préparatrice physique Maryse Allard s’en est bien rendu compte. Sa dernière séance de musculation avant les Mondiaux n’a donc pas eu lieu. « À la place, ç’a été un pep talk d’une heure, assis en Indien, au milieu du gym », raconte le gymnaste.

Elle lui a suggéré de faire ce qui semblait alors tout à fait illogique au jeune homme à l’aube du stage préparatoire final : s’isoler au chalet familial sur le bord du lac Champlain. Emard y a passé le week-end à marcher, lire et écrire. « Ça m’a permis de me recentrer et de recharger les batteries. Ça a vraiment remis la switch à on. »

À la veille du camp, il a écrit à l’entraîneur de l’équipe masculine pour l’informer de ses crises d’anxiété. Celui-ci l’a rencontré le lendemain et lui a offert tout son soutien. Avant son départ, son psychologue sportif lui a conseillé de réduire ses attentes comme il le ferait s’il revenait d’une blessure. Une finale aux anneaux, ce n’était peut-être pas si réaliste.

PHOTO CHARLY TRIBALLEAU, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

William Emard en action aux Mondiaux de Kitakyūshū

Au Japon, une surprise attendait Emard. En raison de blessures à ses coéquipiers Félix Dolci et René Cournoyer, ce serait lui l’unique représentant canadien au concours complet individuel. Petite montée de stress : « Je suis un gars qui s’en demande beaucoup. Même si les gens me disent qu’il n’y a aucune pression, je m’en mets, c’est immanquable. »

À la dernière journée d’entraînement à la veille des qualifications, ses nerfs ont lâché. « J’ai fait un saut et je suis arrivé complètement sur le dos. Ce n’était même pas proche. Ce saut-là a détruit la confiance que j’avais un peu construite dans les jours précédents. » L’autoflagellation a suivi : « Qu’est-ce que je peux être mauvais ! Qu’est-ce que je fais là ! Même pas capable de saisir l’occasion qu’on m’offre. » La spirale négative évoquée plus haut.

Revenu à l’entraînement au sol, il a « complètement freaké ».

Je n’arrivais même pas à m’élancer. J’étais immobile dans le coin depuis 10 secondes, je ne partais pas pour faire ma ligne, je faisais juste fixer le coin sans bouger.

William Emard

Persister, c’était risquer une blessure. Emard a signalé à son entraîneur Adrian Balan que cela ne servait à rien de continuer. « Adrian m’a laissé seul, ce dont j’avais besoin à ce moment-là. Je me suis habillé et je me suis assis dans le gymnase. J’ai fait : il n’y a rien qui fonctionne ce matin. »

À son retour à l’hôtel, il a couché ses sentiments sur le papier et quatre heures plus tard, à l’entraînement de l’après-midi, il était redevenu un « gymnaste d’élite ».

Le lendemain, il s’est qualifié pour la finale du concours complet, réservée aux 24 meilleurs. Il a également atteint la finale aux anneaux et à la table de saut en se classant parmi les huit premiers à ces deux agrès.

« En finale, j’étais encore plus concentré sur mes performances, tout en gardant à l’esprit d’apprécier le moment, d’avoir du plaisir. C’était vraiment : fais de ton mieux, apprécie au max, tu n’es même pas censé être là. Honnêtement, j’étais juste vraiment dans ma zone. »

« Une fierté »

En terminant huitième, Emard a établi un sommet historique pour la gymnastique masculine canadienne au concours complet. Premier Canadien à atteindre la finale aux anneaux, il a pris le septième rang le lendemain. À la table de saut, il a fini huitième. Il était le premier à participer à cette finale depuis Kyle Shewfelt, médaillé de bronze en 2003.

Deux jours après son retour au pays, Emard flottait encore sur un nuage après ses performances. Assis dans un café de Rosemont, il en avait long à raconter sur un sport parfois complexe qu’il aimerait mieux faire connaître au Québec.

« Avec Félix, René et nos trois autres coéquipiers, on a un peu mis le Canada sur la carte. Ça fait un bien énorme. Oui, c’est moi qui finis huitième au concours complet et qui fais la finale aux anneaux et au saut, mais ç’aurait pu être René, ç’aurait pu être Félix. Juste de voir le drapeau du Canada dans le top 8, c’était une fierté. »

PHOTO HIRO KOMAE, ARCHIVES AASSOCIATED PRESS

« Je suis un gars qui s’en demande beaucoup », affirme William Emard.

Emard n’avait pas pensé aborder ses crises d’anxiété dans cette entrevue, et d’ailleurs ne s’est ouvert qu’au bout d’une heure.

« Quand les crises d’anxiété et de panique sont arrivées, oui, j’ai repensé à Simone Biles. J’ai pensé aussi à Jonathan Drouin. Ensuite, il y a eu Carey Price… C’est une réalité qu’on ne doit plus refuser de voir. Quelque chose d’aussi important que le physique. »

Une réalité que beaucoup de gens vivent, mais dont on parle peu, ou dont on parle comme d’un secret un peu honteux… « Jonathan Drouin s’était retiré pour des “raisons personnelles”. Carey Price, on ne le sait pas trop. Simone Biles, elle, elle était “mélangée” dans les airs. Un sujet sur lequel on n’a pas fini de revenir. Si j’ai pu l’éclairer un peu, tant mieux. »