Charles Philibert-Thiboutot peut-il se classer parmi les huit meilleurs aux Championnats du monde ou aux Jeux olympiques ? Le coureur dit oui, sa fédération dit non. Explications. 

Après une saison frustrante, marquée par un coup de crampon qui lui a probablement coûté une place aux Jeux olympiques de Tokyo, Charles Philibert-Thiboutot croyait avoir mis la malchance derrière lui en réalisant sa meilleure course en cinq ans, le 25 juillet en Californie.

Ce jour-là, le demi-fondeur de Québec a réussi son troisième temps à vie au 1500 m. Son chrono de 3 min 34,43 s, à deux dixièmes de son record personnel, lui a permis de se qualifier pour les Championnats du monde de Portland, en Oregon, à l’été 2022.

Du même coup, Philibert-Thiboutot pensait bien réintégrer le programme de financement de Sport Canada, dont il a été écarté à la fin de 2019 après trois saisons pourries par des blessures.

Or, mauvaise surprise, le comité de sélection d’Athlétisme Canada ne l’a pas inclus dans sa liste de 88 athlètes qu’elle soutiendra dans le cadre de son programme de Parcours de performance de l’athlète canadien (PPAC) en 2021-2022.

Le coureur qui a eu 31 ans lundi a donc fait appel au commissaire indépendant du Bureau de la fédération canadienne, à qui il a soumis un document étoffé de 11 pages (sans compter les annexes) avec force tableaux, graphiques et statistiques.

La décision du commissaire est rentrée vendredi : appel rejeté.

Surpris et fâché, Philibert-Thiboutot a exprimé son désarroi et son incompréhension dans ses réseaux sociaux.

Comment le comité de sélection a-t-il pu écarter le meilleur spécialiste de 1500 m au pays et en choisir cinq autres, tous plus lents et non qualifiés pour les Mondiaux ? a-t-il entre autres demandé.

« Le procédé est inconsistant et manque de gros bon sens », s’est désolé Philibert-Thiboutot, joint à Edmonton peu de temps après avoir appris la mauvaise nouvelle, vendredi.

Avec un chrono de 3 min 35,42 s, le Québécois d’origine britannique William Paulson, 26 ans, est le plus rapide des coureurs de 1500 m sélectionnés pour le PPAC. Les quatre autres ont tous couru 3 min 37 s ou un temps plus lent.

« J’ai couru l’équivalent de 3 minutes 37 ou mieux huit fois dans la saison », a fait valoir Philibert-Thiboutot, précisant qu’il vouait un grand respect à ses rivaux, dont plusieurs sont des amis.

Ces gars-là ne m’ont jamais battu. Je suis supposé voir la liste des gens qui sont soutenus et [approuver] le fait que moi, c’est 30 000 $ non imposables qui ne rentrent pas dans mes poches, tandis que ces gars-là n’ont jamais rien prouvé et ont tout l’argent ? Ce n’est pas correct.

Charles Philibert-Thiboutot

Philibert-Thiboutot souligne qu’il n’est pas le seul athlète dans cette situation. Il donne l’exemple de son ami Luc Bruchet, lui aussi laissé de côté malgré un record personnel au 5000 m réalisé avant sa participation aux Jeux de Tokyo.

« Athlétisme Canada dit : on ne pense pas que tu peux faire un top 8 [aux Jeux ou aux Mondiaux]. On va donc donner l’argent à des plus jeunes qui n’ont pas encore fait leurs preuves. Ils vont peut-être faire un top 8. On sait que vous êtes de niveau international, vous avez fait vos preuves, mais on arrête de vous soutenir et on soutient des plus jeunes. C’est ce qui se passe. »

Le Québécois parle de « boule de cristal » et de séances de « pige dans le lac »…

Les nuances d’Athlétisme Canada

Le directeur de la haute performance à Athlétisme Canada, Simon Nathan, fait des nuances. Philibert-Thiboutot a soumis sa candidature pour la catégorie « classe mondiale », soit celle des athlètes qui ont une « capacité réaliste » de viser un top 8 dans un horizon de quatre à deux ans. En d’autres termes, aux Jeux olympiques de Paris en 2024.

Les cinq spécialistes de 1500 m soutenus le sont dans les catégories « confirmation de talent » (huit à six ans du podium) et « classe internationale » (six à quatre ans), soit aux Jeux de Los Angeles en 2028.

Puisqu’il a déjà bénéficié d’un brevet de Sport Canada dans le passé, Philibert-Thiboutot n’est pas admissible à ces deux dernières catégories.

« On a étudié le dossier de 54 athlètes de différentes épreuves dans cette catégorie de classe mondiale, et on en financera 24, a précisé Simon Nathan. Ce n’est pas comme si Charles était le seul que nous n’avons pas choisi. […] Il est tombé du mauvais côté de la ligne. Il est assurément l’un des athlètes les plus forts au pays qui n’ont pas été sélectionnés. Ce sont des décisions difficiles. »

Le financement n’est pas l’unique avantage des athlètes du PPAC. AC les appuie également avec des ressources pour l’entraînement et l’accès à du personnel de soutien médical, thérapeutique, scientifique, etc.

« Le système n’est pas fait pour financer les 25 athlètes les plus rapides au Canada, il est fait pour financer les athlètes qui ont le plus de chances d’atteindre les huit premiers », a précisé Nathan.

« On regarde plusieurs éléments, pas seulement le record personnel : les blessures, l’environnement d’entraînement quotidien, les entraîneurs. On passe à travers plusieurs données et il y a un long processus de réflexion. »

Je peux comprendre que ça peut paraître étrange pour le public extérieur qu’un des athlètes les plus rapides au pays ne soit pas soutenu et que quelques athlètes plus lents le soient.

Simon Nathan, directeur de la haute performance à Athlétisme Canada

Philibert-Thiboutot condamne également le manque de constance dans l’évaluation. Des athlètes qui n’ont pas battu leur record personnel depuis autant d’années que lui ont quand même été retenus pour le PPAC, a soulevé le champion canadien.

« Je me suis fait sortir sur des critères et ces critères ne sont pas utilisés pour d’autres. Comment voulez-vous que je regarde ça et que je me dise que c’est juste ? »

Le directeur haute performance affirme que les athlètes ne sont pas comparés l’un à l’autre.

« Le 1500 mètres et le triple saut, c’est presque deux sports différents. Chaque athlète est évalué selon ses propres mérites. En faisant des comparaisons, oui, ça peut paraître inconstant. Mais nous connaissons les blessures des athlètes, ce qu’ils ont fait à l’entraînement, peut-être leurs problèmes familiaux ou toutes sortes de choses qui sont confidentielles. […] On essaie d’avoir le portrait global et de prendre le plus de facteurs en considération. »

Subjectivité ?

Philibert-Thiboutot dénonce néanmoins le « critère de subjectivité » sur lequel le comité de sélection peut se rabattre pour justifier ses décisions. « À cause de ce critère, ils se donnent le droit d’être inconstants. »

Le demi-finaliste des Jeux de Rio est l’un des deux représentants des athlètes au conseil d’administration d’Athlétisme Canada. À ce titre, il a approuvé les critères de sélection de l’équipe nationale.

« Simon Nathan est bon dans ce qu’il fait, a souligné le Québécois. Il nous envoie ces critères-là dans un document de 20 pages où il dit que l’exercice d’évaluer les athlètes, c’est subjectif en utilisant plein d’outils objectifs. Tu lis ça et tu te dis : que veux-tu que je dise ? Je ne suis pas un avocat. Ça passe comme du beurre dans la poêle. »

Un représentant des athlètes et un autre d’À nous le podium, qui finance le PPAC, siègent au comité de sélection, a souligné Simon Nathan.

« Charles est membre de notre C.A. et l’un de ses collègues a assisté à la réunion. De toute évidence, ce n’est pas une situation facile. À mon point de vue, ça démontre que nous avons pris une décision impartiale, si on est prêts à ne pas choisir quelqu’un dans cette situation. Il n’y a pas de favoritisme, de népotisme ou quoi que ce soit d’autre. »

Le directeur haute performance assure qu’il voue un grand respect à Philibert-Thiboutot.

« Personnellement, je l’aime vraiment. C’est un professionnel, très dévoué au sport. Il redonne beaucoup au comité des athlètes. C’est juste malheureux qu’il n’entre pas dans les paramètres de notre programme. Je ne souhaite pas qu’on prouve que j’ai tort, si vous voyez ce que je veux dire, mais ça ne me fâcherait pas du tout s’il faisait mieux que ce que l’on pensait. »

Philibert-Thiboutot a également réalisé des sommets personnels dans cinq autres épreuves connexes, ce qui témoigne de son amélioration globale, a-t-il plaidé. Ce facteur a été considéré par le comité de sélection, mais n’a pas fait pencher la balance.

Malgré cet affront, Philibert-Thiboutot n’a pas l’intention de baisser les bras. Il s’estime chanceux de pouvoir compter sur de solides commanditaires personnels comme l’équipementier New Balance et la multinationale Premier Tech.

Plusieurs athlètes n’ont pas ça. Pour eux, une décision comme ça, ça passe ou ça casse.

Charles Philibert-Thiboutot

Le diplômé de l’Université Laval rappelle qu’à ses débuts dans l’équipe canadienne, le champion national Nathan Brannen s’était retrouvé dans la même situation que lui. « J’avais 23 ans et j’étais financé. Lui ne l’était pas. Je n’étais pas fan de ça. »

Quelques années plus tard, Brannen a atteint la finale aux Jeux de Rio. Philibert-Thiboutot se croit-il en mesure de parvenir à un tel niveau dans les prochaines années ?

« Je ne m’entraîne pas juste pour m’entraîner et pouvoir courir. Je veux avoir les meilleurs résultats possibles dans ce sport-là. J’ai été très blessé ces dernières années.

« C’est la seule fois en six ans que je suis capable de faire 12 mois en santé et j’ai eu de loin mes meilleurs résultats à vie. C’est clair dans ma tête : si je peux rester en santé, je peux continuer à m’améliorer. Il n’y a pas de limites à ce que je peux atteindre. »