À 51 ans, elle prendra vendredi le départ d’un double Ironman. En 2017, elle a sauvé la vie d’un homme victime d’un infarctus pendant un demi-marathon. L’histoire pas banale d’Annick De Carufel.

Annick De Carufel a couru son premier marathon en 2014. L’année suivante, elle a commencé à nager, puis a fait l’acquisition de son premier vélo. Moins de deux ans plus tard, elle croisait le fil d’arrivée de l’Ironman de Mont-Tremblant. Son temps : 13 h 22 min

« Je l’ai fini et je me suis dit que c’était trop court pour moi », lance-t-elle sans fanfaronner.

Pour rappel, un Ironman consiste en 3,8 km de natation, 180 km de vélo et 42,2 km de course à pied, soit la distance d’un marathon…

Mme De Carufel n’a donc pas tardé à renouer avec la compétition. Quatre semaines plus tard, elle était sur la ligne de départ du demi-marathon de Saint-Sauveur.

Au 11kilomètre, elle s’arrête pour porter assistance à un coureur en arrêt cardiorespiratoire.

Sur place, la résidante de Sainte-Julie n’est pas la première à intervenir. D’autres participants sont attroupés près de la victime. Mais ils ont cessé leurs manœuvres de réanimation, croyant que Claude Chaput avait recommencé à respirer. Or, ce n’était pas le cas.

« Il faisait de la respiration agonale », a tout de suite observé Mme De Carufel, formée en premiers soins et dont le mari est ambulancier paramédical.

La respiration agonale – plus difficile à identifier sans les connaissances requises – est un réflexe de survie. Le corps tente alors d’augmenter son taux d’oxygène dans le sang, même en l’absence de rythme cardiaque. Irrégulière, laborieuse, de durée variable, la respiration agonale n’est pas efficace. En d’autres termes, sans les soins appropriés, elle annonce la mort.

La coureuse a donc repris les manœuvres en attendant les secours.

« Ça a été long parce que comme on était dans une course, on n’était pas vraiment capables de dire où on se trouvait. On était en forêt. Sur l’asphalte, mais avec des arbres de part et d’autre », décrit-elle.

Mme De Carufel a poursuivi ainsi la réanimation pendant une vingtaine de minutes. À leur arrivée, les ambulanciers ont pris le relais et utilisé le défibrillateur pour ramener M. Chaput à la vie.

« Par la suite, je me suis dit que j’allais quand même finir ma course. Je me suis remise à courir et je suis entrée dans une espèce de bulle, raconte-t-elle. Je n’étais pas tout à fait là entre le 11e et le 18kilomètre. Je n’ai pas trop vu le décor.

« À la ligne d’arrivée, j’avais eu un merveilleux accueil. Je n’ai pas vraiment reconnu les gens, mais il y en a plusieurs, en passant, qui m’avaient vu faire les manœuvres et ils m’attendaient à la ligne. Ça a été très touchant. »

Mme De Carufel relate l’histoire humblement. Cinq mois après l’évènement, elle a été honorée par sa municipalité.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Les objectifs principaux d’Annick De Carufel ne sont pas liés à la performance.

C’est seulement à ce moment que Claude Chaput a appris ce qui s’était réellement passé. Jusque-là, il croyait avoir été pris en charge directement par les ambulanciers.

M. Chaput a passé deux semaines à l’hôpital. Lui-même entraîneur, il courait alors 70 km par semaine. « Les médecins n’ont aucune idée de ce qui est arrivé », dit-il.

On lui a installé un défibrillateur sous-cutané par mesure de sécurité. Il n’a connu aucun autre problème cardiaque depuis. Un an plus tard, il a participé à la même course, où il a revu celle qui lui avait sauvé la vie. Ils sont toujours en contact.

Claude Chaput n’a gardé aucune séquelle. Il s’en allait donner deux cours de spinning quelques heures après notre conversation.

Le Double Anvil de Virginie

Annick De Carufel rit lorsqu’on lui demande à combien d’Ironman elle a pris part. Parce que celui de Mont-Tremblant en 2017 est son seul triathlon « régulier » à ce jour.

Avant d’enfiler les chaussures de course pour son premier marathon en 2014, elle n’avait pas fait énormément de sport. Par choix, elle qui avait consacré une grande partie de son énergie à ses trois enfants. À les encourager dans leurs activités sportives respectives, par exemple.

« En me disant qu’à un moment donné, ce serait à mon tour », précise-t-elle.

Une réorientation de carrière – jadis gestionnaire, elle a ouvert une garderie en milieu familial – lui a également permis de récupérer du temps. Pour l’entraînement, notamment.

Après Tremblant, elle est passée à un triathlon « d’un niveau extrême » l’année suivante : le Canada Man/Woman, à Lac-Mégantic. Les distances sont celles d’un Ironman, mais la nage se déroule à la noirceur, le vélo compte un dénivelé important (2500 m), puis la course à pied a lieu en forêt plutôt que sur la chaussée. Mme De Carufel – qui se qualifie de « petite tortue persévérante » – l’a bouclé en 18 h 49 min

Mais ce n’était pas encore assez.

En avril 2019, elle a couru le marathon de Boston. C’est à peu près à cette période qu’elle a posé sa candidature pour le défi suivant : le Double Anvil, auquel elle se frottera en Virginie cette semaine. Plus précisément à Lake Anna State Park, dans le comté de Spotsylvania. Elle sera la seule Canadienne du peloton. En raison de la pandémie, la compétition avait été annulée l’an dernier.

Un Double Anvil, c’est le double des distances d’un Ironman. Donc, 7,6 km de nage, 360 km de vélo et 84,4 km de course. La compétition compte également des triples et des quintuples Anvil (cinq Ironman en autant de jours).

Après chaque segment – natation, vélo, course –, il y a des standards à respecter. Dans le cas contraire, c’est la disqualification. Temps alloué pour accomplir la totalité du Double Anvil : 36 heures.

Imprévus de santé ou d’équipement mis à part, elle ne s’inquiète pas à propos de ces cut-off. « C’est sûr que je vais passer bien en dessous de ça », assure Mme De Carufel.

Avec son mari, elle prendra l’avion mercredi. Le départ sera donné à 7 h vendredi.

D’une ligne à l’autre

« J’ai 51 ans, donc je ne vise pas les Olympiques ! laisse-t-elle tomber. Je le fais par plaisir, par passion, pour le dépassement de soi. »

Un objectif de chrono ? Elle préfère le garder pour elle.

Mais, en matière de temps, soulignons au passage qu’elle faisait des distances d’Ironman en guise d’entraînement. Sous les 13 heures.

Ses objectifs principaux ne sont pas liés à la performance, cela dit. Elle en avait deux.

D’abord, Mme De Carufel voulait se rendre à la ligne… de départ. « Parce que la charge d’entraînement est quand même lourde », explique-t-elle.

Ensuite, vous la voyez venir, elle souhaite atteindre la ligne d’arrivée. « En un morceau », précise l’athlète.

Au moment de mettre un terme à l’entrevue, Mme De Carufel demande si elle peut ajouter quelques éléments. Des remerciements, en fait.

J’aimerais pouvoir remercier sincèrement ma famille et mon mari qui m’appuient de façon incroyable.

Annick De Carufel

Son mari qui sera le seul à l’accompagner au sud de la frontière, en raison de la COVID-19. Il la ravitaillera en eau et en nourriture, entre autres.

« Ça va être hyper exigeant, mais c’est mon fan numéro 1 ! affirme-t-elle. Des fois, je nage dans ma piscine à 3 h du matin, je vais arriver à 5 h dans le garage pour partir en vélo et j’ai une petite affiche qui me dit : ‟Ta chaîne est graissée, tes pneus sont gonflés, bonne run, je t’aime. » C’est touchant. Ça fait 30 ans que je suis mariée et il est fin comme ça. »

Elle tient aussi à parler de son coach, Jean-Frédéric Fortin, entraîneur de triathlètes, « d’une générosité incroyable ».

« À la base, il aurait très bien pu dire : ‟Tu es un peu vieille pour que j’investisse autant de temps avec toi… « Mais non, il a embarqué à pieds joints. »

Et, finalement, Cycles Marinoni, chez qui elle s’est procuré cette année son premier vélo en carbone.

« Rendue à 51 ans, la madame veut un peu de confort ! Et ils ont pris le temps de répondre à mes besoins. »

Voilà. La musique tourne, fin des remerciements. Place à la course.

Consultez le site de la compétition (en anglais)