Chaque semaine, les journalistes des Sports de La Presse répondent à une question dans le plaisir, et un peu aussi dans l’insolence

Frédérick Duchesneau

En 1990, Mike Tyson semblait invincible. Bien qu’il n’ait que 23 ans à ce moment, les débats le propulsant au premier rang des meilleurs poids lourds de l’histoire allaient déjà bon train. Le 11 février s’annonçait donc comme une journée habituelle au bureau pour Iron Mike (37-0, 33 K.-O.) qui affrontait James « Buster » Douglas (29-4-1, 19 K.-O.), au Tokyo Dome. Au même endroit, deux ans plus tôt, alors qu’il se battait à l’extérieur des États-Unis pour la première fois, Tyson avait assommé Tony Tubbs tout juste avant la fin du deuxième round. Bref, absolument rien ne laissait présager le dénouement du duel Tyson-Douglas. Ce dernier, dont on contestait la condition physique et le menton, était négligé à 42 contre 1… C’est pourtant lui qui a pris l’ascendant dès le départ. On croyait bien qu’après sa chute au plancher au 8e round, la logique prévaudrait. Il est pourtant revenu à la charge au round suivant avant d’achever le travail au 10e. Après neuf rounds, les cartes des juges indiquaient un combat nul. Huit mois plus tard, Buster Douglas se faisait passer le K.-O. au 3e round par Evander Holyfield.

Mathias Brunet

PHOTO OLI SCARFF, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Leicester City, dans la Premier League anglaise, face à Manchester United, en mai 2016

Buster Douglas a surpris Mike Tyson en 1990 au Japon, mais c’était un seul combat ; les Américains ont renversé les Russes en demi-finale olympiques à Lake Placid en 1980, mais c’était un match. Le club de foot Leicester City, dans la Premier League, en Angleterre, a réussi l’exploit de renverser les pronostics sur une saison complète en remportant le championnat en 2016. Leurs chances de triompher avaient établi à 5000 contre 1 à l’aube de la saison selon les preneurs aux livres. À titre de comparaison, les chances du Canadien de soulever la Coupe Stanley avaient été établies à 100 contre 1 à l’aube des séries cet été et Buster Douglas à 42 contre 1… Leicester City n’avait pas remporté de titre dans le dernier siècle et était parmi les favoris… pour une relégation en deuxième division ! L’équipe avait d’ailleurs failli être reléguée la saison précédente, mais était parvenue à maintenir sa place in extremis en remportant sept de ses neuf derniers matchs. Leicester City venait au 17e rang sur 20 équipes au chapitre de la masse salariale avec 48,5 millions de livres, comparativement à 215 millions de livres pour Chelsea, 203 pour Manchester United, 193 pour Manchester City et 192 pour Arsenal. Aucun autre de ces quatre clubs n’avait remporté le championnat au cours des vingt dernières années. Difficile à battre. Les preneurs aux livres en pleurent encore.

Miguel Bujold

PHOTO BARTON SILVERMAN, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Eli Manning, des Giants de New York

Est-ce la plus grosse surprise de l’histoire ? Probablement pas. Mais les Giants de New York étaient tout de même négligés par 14 points face aux puissants Patriots de la Nouvelle-Angleterre lors du 42e Super Bowl, il y a un peu plus de 13 ans. C’est surtout parce que la victoire de 17-14 des Giants a bousillé la saison parfaite des Patriots qu’elle est mon choix. Fouettés par la controverse du « Spygate » qui avait éclaté en début de saison, les Pats avaient écrasé toutes les équipes sur leur chemin en 2007. Une dernière victoire et ils auraient pris leur place au côté des Dolphins de 1972, seule équipe invaincue de l’histoire de la NFL. Grâce au spectaculaire et très improbable attrapé de David Tyree, les Giants ont plutôt transformé le beau rêve des Patriots en cauchemar. Il fallait voir l’expression sur les visages de Bill Belichick et de Tom Brady après le match. Un vrai délice. Avec leur classe légendaire, Belichick et Brady s’étaient sauvés dans leur vestiaire sans donner la main à Tom Coughlin et à Eli Manning. Une défaite qui avait sonné, comme on dit.

Richard Labbé

PHOTO ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Jeux olympiques de Lake Placid, en 1980. Victoire de l’équipe américaine de hockey face aux puissants Soviétiques.

Ici, il n’y a vraiment que deux candidats possibles, et j’écris ça en excluant le Canadien de 1986, le plus gros « upset » des séries « modernes » de la LNH (après l’expansion de 1967), mais un « upset » qui se décline sur un printemps en entier, et puis d’ailleurs, quelqu’un a déjà écrit de toute façon un excellent livre sur le sujet, L’équipe qui ne devait pas gagner. Alors si on parle d’une surprise du moment, un seul évènement, et avec tous mes hommages à James « Buster » Douglas, il n’y a qu’un seul candidat sérieux : Lake Placid, 1980. Ça, c’est la fois où l’équipe américaine de hockey a battu la puissante machine rouge soviétique 4-3 à l’avant-dernier match du tournoi olympique, avant de récolter l’or contre la Finlande moins de 48 heures plus tard. Pour vous donner une idée, les Soviétiques de l’époque avaient l’habitude de planter nos gros noms, entre autres cette claque de 6-0 contre les étoiles de la LNH à New York un an auparavant. À Lake Placid, ce sont des joueurs universitaires, avec zéro expérience chez les pros, qui ont sorti les Soviétiques et le gardien Tretiak, de loin le meilleur au monde à ce moment-là. Allez revoir les images sur YouTube pour mieux comprendre, et pour entendre une fois de plus le commentateur Al Michael et la meilleure question de l’histoire du sport télévisé : « Do you believe in miracles ? » Parce que ce fut ça : un miracle sportif, rien de moins.

Guillaume Lefrançois

PHOTO ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Tom Seaver, lanceur des Mets de New York, prenant la pose en mars 1968

Ils ont commencé leur saison en perdant contre les Expos de Montréal, qui jouaient le tout premier match de leur histoire. Ils jouaient pour cinq matchs sous la barre de,500 à la fin mai. Ils étaient à 10 matchs d’une place en séries à la mi-août. Une simple participation aux séries était déjà miraculeuse pour les Mets de New York de 1969, justement surnommés les « Miracle Mets ». Une fois en Série mondiale, ils rencontraient les Orioles de Baltimore, la puissance de l’époque, une équipe menée de Jim Palmer, Dave McNally, Frank Robinson et surtout Boog Powell, un colosse réputé pour sa ressemblance avec l’ami Stéphane Lebreux, fondateur des Expos de la Ligue Encore. Mais on s’écarte… Bref, les Mets ont perdu le premier match, laissant croire que les Orioles, auteurs de 109 victoires en saison, allaient facilement enlever les grands honneurs. Mais les Mets ont enlevé les quatre matchs suivants, remportant la Série dès la huitième saison de leur histoire qui était jusque-là plutôt médiocre.

Simon-Olivier Lorange

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Match de premier tour des séries éliminatoires entre le Canadien de Montréal et les Bruins de Boston, en 2002. Karl Dykhuis, du Canadien, s’en est pris à Sergueï Samsonov.

Je n’aurai pas la prétention de dire que cet évènement est « le plus important de tous les temps ». Mais la victoire du Canadien au premier tour des séries éliminatoires contre les Bruins de Boston en 2002 constitue, dans l’histoire récente du club, un revirement fondamental. Les trois dernières saisons s’étaient soldées par une exclusion des séries, et la campagne 2001-2002 s’était amorcée avec la nouvelle du cancer de Saku Koivu. Malgré tout, cette cuvée-là du Tricolore, propulsée par les performances de José Théodore, a réalisé l’impensable en accédant aux séries. Rendu là, bien du monde aurait accepté une défaite rapide contre les Bruins, meilleure équipe de l’Est. Et pourtant. Deux victoires de 2-1 dans les matchs 5 et 6, au cours desquelles Théo a arrêté 77 des 79 tirs dirigés vers lui, ont concrétisé un triomphe improbable, voire impossible. Pour le jeune partisan boutonneux de l’époque, c’était quelque chose.

Alexandre Pratt

PHOTO LEON NEAL, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Partisans de Leicester City, qui a remporté contre toute attente le championnat de la Premier League en 2016

À l’été 2015, les preneurs aux livres multipliaient les offres loufoques auprès des parieurs. Selon l’agence Reuters, voici quelques-unes des propositions de l’époque. La découverte du monstre du Loch Ness : 500 contre 1. La résurrection d’Elvis Presley : 2000 contre 1. L’élection de Kim Kardashian à la présidence des États-Unis : 2500 contre 1. Le championnat de la Première Ligue anglaise de soccer à Leicester : 5000 contre 1. Le hic ? Contre toute attente, Leicester a bel et bien remporté le titre, cette saison-là. Facilement, en plus. Dix points devant Arsenal, 15 points devant les deux équipes de Manchester. Une surprise inimaginable. Pensez-y : deux ans plus tôt, le club n’était même pas assez fort pour évoluer en première division !

Jean-François Tremblay

PHOTO KEVIN C. COX, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Chad Henne, quart-arrière des Wolverines du Michigan, en novembre 2007

J’ai toujours eu un faible pour les négligés, mais peu étaient aussi négligés que les Mountaineers d’Appalachian State lorsqu’ils ont battu les Wolverines du Michigan le 1er septembre 2007, par la marque de 34-32. Michigan était classée cinquième équipe universitaire aux États-Unis. Bref, une équipe majeure d’un sport majeur dans un pays où ce sport majeur est roi et maître. Appalachian State appartenait à la Football Championship Subdivision, la ligue inférieure à la Football Bowl Subdivision, celle des grosses pointures. C’était la première fois de l’histoire qu’une équipe de la FCS battait une équipe de la FBS classée dans le top 25. Bon, les Mountaineers n’étaient pas vilains et ils allaient remporter le titre de leur conférence un peu plus tard. Mais les Wolverines, eux, sont tout de suite sortis de la discussion pour le championnat national. L’histoire me fascinait au point tel que j’ai supplié Miguel Bujold d’aller en parler à Chad Henne, quart de Michigan à l’époque, aujourd’hui substitut à Patrick Mahomes chez les Chiefs, en marge du Super Bowl. J’ai ainsi appris que Henne avait tiré une bonne leçon ce jour-là : « Il ne faut jamais prendre un adversaire à la légère, surtout au football, qui est l’ultime sport d’équipe. » C’est au moins ça.