Chaque semaine, les journalistes des Sports de La Presse répondent à une question dans le plaisir, et un peu aussi dans l’insolence

Guillaume Lefrançois

Juin 2014, une collègue nous écrit : à la pharmacie de quartier de sa sœur, le lait maternisé en poudre est désormais derrière le comptoir, avec les objets dangereux comme les lames de rasoir. Après enquête, on nous explique que le produit est convoité sur le marché noir, les malfaiteurs s’en servant pour diluer et alourdir la cocaïne. Des pharmacies étaient donc ciblées par les voleurs. Bizarrement, les vols étaient concentrés dans le Mile End. J’entreprends donc une tournée de pharmacies dans Rosemont, sur le Plateau et au centre-ville, afin de vérifier si le problème était répandu. Ce qui menait à des conversations pas étranges du tout avec les commis. « Bonjour, pouvez-vous m’indiquer où est le lait en poudre ? Ah oui, rangée 5 ? Vous ne le cachez pas derrière le comptoir ? Personne ne vole votre lait en poudre ? » Disons-le : dans des moments du genre, on se dit que les avantages du port du masque ne sont pas que sanitaires.

Mathias Brunet

PHOTO TEDD CHURCH, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Larry Smith, Bob Price et Jim Speros des Alouettes de Montréal, en 1996, lors du retour de l’équipe dans la métropole après une absence de plusieurs années

J’étais à La Presse depuis un peu plus d’un an en mars 1996. Mon patron de l’époque, Michel Blanchard, m’avait demandé de couvrir le repêchage des Alouettes, de retour à Montréal après une absence de plusieurs années. À peine terminé, l’évènement a pris une tournure surréaliste : avec leur choix de cinquième tour, les Alouettes ont repêché un ailier défensif montréalais… décédé trois mois plus tôt. J’ai été chargé de communiquer non seulement avec le DG Jim Popp, mais aussi avec la pauvre mère de James Eggink. Elle était évidemment en sanglots au bout du fil. « C’était son rêve… m’avait-elle confié. Je suis fière de lui. Les Alouettes ont téléphoné pour s’excuser. Néanmoins, c’est un honneur pour lui d’avoir été choisi. Il a travaillé tellement fort. Il caressait le rêve d’une carrière de footballeur depuis l’âge de 10 ans. Il a été repêché trois mois jour pour jour après sa mort. » Popp était penaud, mais il n’avait aucun argument pour sa défense. « Il était sur la liste de repêchage de la LCF, nous n’avions aucune idée de son décès. Nous avons tenté d’obtenir des renseignements sur lui avant de le choisir, mais le personnel d’entraîneurs à Northern Illinois, où il jouait, a été remplacé au complet cette année. Personne n’est arrivé à le retracer. Nous savions qu’il avait connu une belle carrière dans la NCAA, il était montréalais, nous voulions le ramener chez lui. » Je n’avais pas été impressionné par le baptême montréalais de Jim Popp, de toute évidence. Heureusement, il a su se racheter par la suite…

Miguel Bujold

Je ne sais pas si on peut le qualifier de bizarre, mais le dossier de la vente des Alouettes en 2019 a été pour le moins particulier… Il y a eu tellement de rebondissements et de rumeurs dans cette histoire que c’en était devenu ridicule. Il y a d’abord eu l’intérêt manifesté très ouvertement par le financier et ancien joueur Éric Lapointe, qui allait ensuite annoncer à quelques reprises qu’il se retirait de la course… avant que son nom ne refasse surface. L’homme d’affaires montréalais Clifford Starke a également fait connaître son ambition d’acheter le club, flanqué de Brad Smith, l’un des fils de Larry Smith. Puis ce fut au tour des frères Peter et Jeffrey Lenkov, qui agissaient même comme s’ils étaient déjà les propriétaires de l’équipe, s’entretenant avec les joueurs des Alouettes avant et après certains matchs… Le commissaire de la LCF, Randy Ambrosie, avait même essentiellement dit que l’entente avec les Lenkov n’était plus qu’une formalité. Ce fut ensuite au tour de l’homme d’affaires Vincent Guzzo d’entrer dans la valse, mais rendu à l’automne, tout semblait indiquer que c’est finalement un groupe qui comprenait notamment Stephen Bronfman qui allait se porter acquéreur du club. Puis, en janvier, coup de théâtre. Les Alouettes ont finalement été vendus aux Ontariens Gary Stern et Sid Spiegel, deux hommes que bien peu de gens au Québec connaissaient et dont les noms n’avaient jamais même été mentionnés dans ce dossier. La bonne nouvelle, c’était que ce ridicule feuilleton qui durait déjà depuis une dizaine de mois était enfin terminé.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Sid Spiegel et Gary Stern (à droite) ont finalement fait l’acquisition des Alouettes de Montréal, après de nombreux rebondissements dans le dossier de la vente du club. À gauche, le commissaire de la LCF, Randy Ambrosie.

Simon Drouin

Près de 20 ans plus tard, j’ai encore un souvenir précis de l’expression faciale de Steven Bradbury, incrédule, les bras dans les airs, traversant la ligne d’arrivée du 500 mètres à Salt Lake City. Le patineur de vitesse courte piste est ainsi devenu le premier Australien médaillé d’or à des Jeux olympiques d’hiver. Comme en demi-finale, il avait profité de la chute des quatre concurrents devant lui dans le dernier virage pour se sauver avec la victoire. À l’évidence, il n’était pas du niveau des meilleurs au monde. Coupé à une fesse par son propre patin, le Québécois Mathieu Turcotte s’était rapidement relevé pour glisser sur le fil comme un joueur de baseball au deuxième but. Cette réaction lui avait valu le bronze. J’avais revu Bradbury quatre ans plus tard aux Jeux de Turin, où il était commentateur. Il m’avait raconté que « faire un Bradbury » était devenu une expression consacrée dans son pays… Cette course rocambolesque a été une source infinie de fous rires avec mes collègues Carl Tardif, François Foisy et Robert Laflamme, qui m’accompagnaient ce soir-là sur la galerie de presse. « L’expérience d’un Bradbury… »

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Steven Bradbury aux Jeux olympiques de Salt Lake City

Frédérick Duchesneau

Je détourne partiellement le sujet. Juste un peu, les boss, OK ? « Bizarre » n’est donc pas le mot exact. Et ce n’est pas une histoire, mais un ensemble d’histoires. Je m’explique. Nous avions à La Voix de l’Est, il y a de cela 10, 15 ans, une rubrique appelée « La Voix de l’excellence ». Il s’agissait d’une entrevue, publiée chaque vendredi, avec une personnalité de la région se démarquant dans le milieu communautaire, économique, culturel, sportif, etc. Et, dans cette rotation, s’insérait aussi un jeune, adolescent, qui s’illustrait à sa façon. Soit. On ne peut être contre la vertu. Mais les jeunes, le plus souvent, ne nous donnaient que très peu de matière. Ce n’est pas un reproche. Comment pouvait-on s’attendre, de la part de quelqu’un qui a 15 ans, à autre chose que de bons résultats scolaires, de belles aptitudes dans une discipline sportive ou artistique et une implication dans le conseil de classe ? Avec un peu de bénévolat, en prime, si on était chanceux. Aussi charmants ces jeunes filles et garçons pouvaient-ils être, il en résultait des textes – exemple réel – titrés « La réussite scolaire en toute simplicité » et qui commençaient par « Faire sa marque sans bruit… ». J’espère que celle dont il était question dans ce texte ne lira pas ceci. Si oui, sache que ce n’est pas ta faute. Ton histoire était loin d’être bizarre. Mais le concept, lui, l’était un peu.

Richard Labbé

Le lock-out de la LNH de 2012 est certes au sommet de la liste. En premier parce que chaque semaine apportait son lot de petits rebondissements, de coups d’éclat, de paroles creuses qui ne menaient à rien, comme la fois où Ron Hainsey, un des représentants dans le camp des joueurs, a tenu un point de presse de 45 secondes à 3 h du matin dans un corridor d’hôtel à New York pour dire… qu’il n’y avait rien à dire. C’est sans compter ce dimanche soir d’automne, vers 22 h, où l’Association des joueurs a menacé de déposer un déni d’intérêt, et que j’ai dû écrire un texte tout en ayant absolument zéro idée de ce que « déni d’intérêt » voulait dire (je n’en suis toujours pas certain). Il y a aussi eu ce point de presse théâtral de Gary Bettman dans le même hôtel de New York, par un jeudi soir, où tout le monde croyait à une réconciliation, mais non. Et pour faire bonne mesure, les deux parties ont finalement pu régler ça en plein milieu de la nuit, au retour des Fêtes. En gros, le lock-out de 2012, c’est quatre mois de ma vie que je ne reverrai plus jamais.

Simon-Olivier Lorange

On se déplaçait pour une prise d’otage terminée depuis un bon moment. De toute évidence, notre passage au chic motel Le Sable, à Rock Forest, se limiterait à interroger platement un ou deux employés, qui ne sauraient pas grand-chose de l’évènement. Or, à notre arrivée, les policiers procédaient à une arrestation. Comment cela était-il possible ? Après avoir été menacée et battue pendant une partie de la nuit, la victime avait profité du sommeil de ses ravisseurs pour se sauver et alerter les autorités. Plusieurs heures après les faits, les agents de la paix ont donc été les premiers surpris de retrouver les deux gredins toujours sur place. Car oui, nos deux bonshommes, qui avaient payé pour une nuitée supplémentaire, sont restés au motel ! Sans doute avaient-ils décidé qu’ils ne perdraient pas leur argent en vain, désireux de profiter de ce chaud dimanche pour flâner sur le bord de la piscine. Ils ont donc été cueillis comme des fruits mûrs.

PHOTO ARCHIVES LA TRIBUNE

La Tribune, 2 juin 2008

Michel Marois

L’histoire la plus bizarre que j’ai eu à couvrir, l’une des plus sordides aussi, a été l’enquête du coroner Gérald Locas sur les causes et les circonstances de la mort de John Kordic, à Québec, en 1992. L’ancien joueur du Canadien et des Nordiques est mort le 8 août à la suite d’une intervention policière dans un motel de L’Ancienne-Lorette. Il devait comparaître en cour le lendemain dans une affaire de voies de fait sur sa fiancée. L’enquête a révélé que l’homme de 27 ans avait consommé une grande quantité de cocaïne dans les heures et les jours précédant son décès et que son cœur avait flanché quand il avait résisté à son arrestation. On avait aussi appris qu’il consommait toujours des stéroïdes, dans l’espoir d’un retour dans la LNH. Les derniers jours de Kordic ont ainsi été une lente descente aux enfers, et suivre leur reconstitution devant le coroner Locas, en présence de sa mère, a été l’une des expériences les plus tristes de ma carrière. Pendant son témoignage, la fiancée de l’ancien joueur, Nancy Massé, a révélé que Kordic avait une peur maladive des aiguilles et des policiers. Triste paradoxe, il est mort d’une surdose, entouré de policiers.

Alexandre Pratt

Ça se passait à l’Université du Vermont, en 2000. Une initiation d’équipe de hockey qui a très mal viré. En une phrase : les joueurs étaient nus, il y avait beaucoup, beaucoup, beaucoup d’alcool, ça s’est terminé par une poursuite civile et la « marche des éléphants ». L’histoire s’était retrouvée à la télévision nationale. J’étais allé couvrir la séance publique d’information. « C’est la pire crise de l’histoire de cet établissement », avait déclaré la rectrice, d’une voix tremblotante. Les participants dans la salle réclamaient des travaux communautaires. Des cours de savoir-vivre. Le retrait des bourses. La fin du sport à l’université. Toute une pagaille. Mais la crise a atteint son paroxysme lorsque des étudiants gais se sont attaqués à la rectrice, qui avait reproché aux hockeyeurs de s’être rasé les poils pubiens. « C’est une pratique courante chez les homosexuels », se sont-ils indignés. La foule est devenue hors de contrôle. Le photographe et moi avons filé en douce, avec une pas pire histoire à raconter dans l’édition du samedi.