En 2001, le directeur général des Athletics d’Oakland, Billy Beane, a négocié le contrat d’un joueur réserviste… le soir de Noël.

Intense ? Oui. Mais c’est le niveau d’implication attendu d’un dirigeant de club professionnel. À la blague, les directeurs généraux et entraîneurs-chefs affirment travailler 13 mois par année. C’est à peine exagéré.

« Personne ne peut comprendre l’intensité [du travail] avant de l’avoir fait. Même pas proche », soutient le directeur général des Penguins de Pittsburgh, Jim Rutherford, dans l’essai Behind the Moves.

Chaque jour, le directeur général et son entraîneur-chef prennent des dizaines de décisions. Ils sont responsables des promotions. Des rétrogradations. Du bonheur de dizaines de joueurs. Pas tous dociles ni reconnaissants, d’ailleurs.

Au fil du temps, les gestionnaires sont étouffés, ensevelis par le poids de ces décisions. Ils gèrent donc à la petite semaine. Ils négligent le long terme. Ils cessent d’innover. Puis ils se font dépasser par des jeunes prodiges avec la tête pleine d’idées.

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Theo Epstein a déjà été ce petit nouveau. Le « New Kid on the Block ».

À 28 ans, il est devenu le plus jeune directeur général de l’histoire du baseball majeur. Ses stratégies innovatrices, appuyées sur les statistiques avancées, ont permis aux Red Sox de Boston et aux Cubs de Chicago de remporter la Série mondiale. Maintenant âgé de 46 ans, à mi-carrière, c’est à son tour d’être enseveli par le poids des décisions. Plutôt que de se laisser écraser, il a fait un geste audacieux.

PHOTO ELISE AMENDOLA, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

L’ex-président des opérations baseball des Cubs de Chicago, Theo Epstein, avec un partisan de l’équipe en 2017

Il a quitté les Cubs.

Pourquoi ?

Pour prendre un congé sabbatique. Une pratique courante dans le milieu scolaire. Occasionnelle dans le monde des affaires. Mais rarissime dans le sport professionnel. Pour une raison bien simple : historiquement, ceux qui partent à la chasse perdent leur place. Et ne la retrouvent pas. De plus, le nombre d’employeurs dans la LNH, la NFL, la NBA et le baseball majeur est plutôt limité.

Si Theo Epstein peut se le permettre, c’est parce que son palmarès fait l’envie de tous. Il a affirmé à des proches vouloir prendre du temps pour lui. Pour se ressourcer, après deux décennies d’une vie à 300 milles à l’heure.

Un trillion de thèses ont été écrites sur les bénéfices d’un congé sabbatique. Pour la personne qui en profite, ça permet de « réfléchir, de trouver de nouvelles perspectives, de développer des nouvelles relations professionnelles, de rester à jour dans sa discipline et d’améliorer son enseignement », expliquait la chercheuse Célina Sima (2000), dans un travail consacré aux effets d’une sabbatique pour les professeurs.

Dans le sport, la très grande majorité des sabbatiques sont forcées. C’est-à-dire que les directeurs généraux et les entraîneurs se font congédier. Pep Guardiola, lui, a décidé de partir. En 2009, il a quitté le FC Barcelone après avoir gagné 14 trophées en quatre ans.

« L’expérience l’a vidé. De plus en plus découragé, [Pep] a choisi de quitter Barça avant que les dégâts ne deviennent irréparables », raconte son biographe, Marti Perarnau, dans Pep Confidential.

Qu’a fait Guardiola pendant son année sabbatique ?

Il s’est exilé à New York. Pour passer du temps en famille. Pour recharger ses batteries. Mais aussi pour se « reprogrammer ». Sur place, il s’est inscrit comme étudiant libre à l’Université Columbia. Il s’est lié d’amitié avec le champion d’échecs Garry Kasparov. Les deux ont longuement discuté d’innovation. D’idées préconçues. Mais aussi du jeu d’échecs et de tactiques. Guardiola s’est mis à découper le terrain de soccer différemment. Puis il est allé gagner des championnats à Munich et à Manchester.

Un autre cas célèbre est celui de l’entraîneur français Paul Le Guen. Il a pris non pas un, mais deux congés sabbatiques. La première fois, c’était en 2001. Après avoir quitté le club de Rennes, il a parcouru l’Europe pour parfaire ses connaissances auprès d’entraîneurs chevronnés. À son retour, il a remporté trois championnats consécutifs avec Lyon. Zinédine Zidane a aussi remporté un championnat (Real Madrid) dans les mois qui ont suivi un congé sabbatique.

Dans le sport nord-américain, c’est vraiment rare.

Philippe Boucher est l’un des rares gestionnaires d’équipe à l’avoir fait. En 2018, il a démissionné de son poste d’entraîneur-chef des Remparts de Québec, qu’il occupait depuis cinq ans. Je lui ai demandé pourquoi.

PHOTO FRÉDÉRIC CÔTÉ, ARCHIVES IMACOM

Philippe Boucher (à droite)

« Après ma retraite comme joueur de la LNH, je m’étais tout de suite investi dans le hockey mineur. Puis dans le junior majeur. Je n’avais jamais pris le temps d’arrêter. Ça faisait quelques années que je me questionnais sur mon avenir comme entraîneur. J’avais eu des discussions avec des clubs professionnels. Mais je n’étais pas certain que je voulais progresser là-dedans ni quitter le Québec. »

Pendant son congé sabbatique, il a passé du temps avec sa famille. Il a joué au golf. Il a voyagé. Beaucoup. « Comme jamais dans ma vie ! » Plus les mois passaient, plus ses désirs se précisaient.

« Pendant le congé, j’ai pris du recul. J’ai réalisé que j’aimais vraiment le hockey. Que j’aimais le dépistage, ce que je n’avais plus le temps de faire comme coach. Que j’aimais partir, seul, pour voir jouer des espoirs de 15 ans. Que je voulais gérer mon horaire. »

Lorsque les Voltigeurs de Drummondville cherchaient un nouveau DG, en 2019, Philippe Boucher a levé la main. « Je savais que c’était exactement ce que je voulais faire. » Il a obtenu le poste.

J’ai franchement hâte de savoir comment Theo Esptein profitera de son année sabbatique. S’il reviendra éventuellement dans le baseball majeur avec un nouveau plan. De nouvelles tactiques. De nouvelles stratégies. Comme Pep Guardiola, après son séjour à New York.

Tout comme j’attends impatiemment le retour de la LNH. Mine de rien, sept clubs sont à l’arrêt depuis la mi-mars. C’est long. Très long. Leurs entraîneurs-chefs ont beaucoup de temps pour réfléchir. Pour se ressourcer. Pour innover. L’ont-ils fait ? En feront-ils profiter leurs équipes ?

Vivement le retour au jeu !

Impact ou Montréal FC ?

Selon Radio-Canada, l’Impact de Montréal deviendrait le Montréal FC. Comme dans Montréal Football Club.

Euh… Pourquoi ?

Impact est un nom unique. Bilingue. Pas raciste ni sexiste. Les partisans en sont fiers. Les joueurs aussi. À Montréal, Impact est synonyme de soccer. Alors que juste FC, c’est plate. Gris. Comme le maillot de l’équipe cette saison. L’antonyme de l’originalité ; une dizaine de clubs de la MLS portent déjà ce nom.

La direction de l’Impact – qui n’a ni infirmé ni confirmé la rumeur – en a déjà plein les bras. Avec les performances sportives. La gestion du plafond salarial. La soif des partisans pour des vedettes. Les négociations avec le gouvernement. La réfection des alentours du stade. Le renouvellement des abonnements. Les ventes aux entreprises. Le rayonnement dans les régions. La création d’un club-école.

L’équipe a déjà assez de problèmes à gérer.

Elle devrait faire l’économie d’un débat à propos d’un nom apprécié de tous.