Boston : 105. Toronto : 65. Montréal : 0. Ça représente quoi ?

Le nombre de parties éliminatoires disputées par les équipes professionnelles des trois villes depuis le 22 avril 2017. Soit depuis que le Canadien s’est incliné devant les Rangers au premier tour des séries, il y a deux ans et demi.

Entre-temps, il s’est écoulé 932 jours sans que le Tricolore, l’Impact et les Alouettes ne participent aux tournois de fin de saison. Ce fut long. Très long. Très, très, très long. La pire léthargie des clubs montréalais depuis la Seconde Guerre mondiale.

Les Alouettes y ont mis fin dimanche en recevant les Eskimos d’Edmonton au stade Percival-Molson. La patience des Montréalais fut récompensée. Les 21 000 spectateurs ont eu droit à un après-midi festif. La montagne, mi-enneigée, mi-colorée, était belle. Le barbecue d’avant-match, animé. Le match, spectaculaire.

La foule était bruyante, enthousiaste, impliquée. En communion avec l’équipe. Elle a agité les serviettes blanches après la passe de 51 verges de Vernon Adams à Quan Bray. Elle s’est époumonée après le touché d’Adams sur une course à obstacles de 10 verges. Elle a ovationné le retour de botté de 99 verges de Super Mario Alford, un petit rapide qui, seulement deux mois après son embauche, fait déjà partie des chouchous des amateurs d’ici.

Les Montréalais ont cru la victoire possible jusqu’à la fin. Puis Josh Johnson a réalisé deux interceptions dans les deux dernières minutes. Ça a un peu gâché la fête. 

Comme si un parent était descendu au sous-sol et avait ouvert les lumières dans les dernières secondes d’un slow de 12 minutes dans un party d’adolescents.

La ligne défensive des Alouettes n’a pas connu un grand match. Le botteur Boris Bede non plus. Mais là n’est pas l’essentiel. Ce que je retiens de cette partie – et de la saison –, c’est le plaisir retrouvé d’assister à une partie de football au pied de la montagne. Sans gêne. Sans honte. Sans cacher son chandail de l’équipe sous un coton ouaté noir.

Les Alouettes sont de nouveau respectables.

Enfin.

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La saison a pris fin trop vite. Évidemment. À moins de gagner le championnat, c’est d’ailleurs toujours le cas. Mais la partie éliminatoire de dimanche, ça reste un match de plus que les attentes initiales.

Souvenez-vous de l’état lamentable de la franchise le printemps dernier. L’équipe venait de gagner seulement huit matchs en deux ans. Le quart vedette Johnny Manziel est parti. Les propriétaires aussi. L’entraîneur-chef Mike Sherman a été congédié quelques jours avant le premier match. Des acheteurs potentiels essayaient de fraterniser avec les joueurs dans le vestiaire après la partie.

On aurait dit une reprise du film Major League – en vrai.

Les fans sont passés de la colère à l’indifférence. Le processus de défanatisation était enclenché. Une situation dangereuse.

La direction a réagi.

Sa campagne de marketing ciblant les millénariaux a été une réussite. Les trentenaires ont formé un important contingent de spectateurs tout l’été. C’était encore le cas dimanche.

Mais la décision clé de l’année, ce fut le congédiement du directeur général Kavis Reed. 

Après le départ du démolisseur en chef de la franchise, le nouvel entraîneur-chef Khari Jones s’est épanoui. 

L’équipe s’est mise à enchaîner les victoires. Elle a terminé la saison avec une fiche de 10-8 – cinq gains de plus qu’en 2018. Les Alouettes ont remporté six de leurs neuf matchs à domicile, ce qui n’était pas arrivé depuis 2014. Les parties furent souvent spectaculaires. Comme cette remontée de 21 points au quatrième quart contre Winnipeg en septembre. Ou les 11 points inscrits dans la dernière minute contre Calgary en août.

Pour son travail remarquable à la tête de la formation, Khari Jones mérite une prolongation de contrat. Il a sauvé la franchise de l’indifférence. Il connaît bien la Ligue canadienne et ses particularités. Il a réalisé des miracles avec une formation au talent limité et un quart (Vernon Adams fils) qui s’est présenté au camp comme troisième substitut. Il a convaincu les joueurs de son plan. Jones a le potentiel d’être la vedette de l’équipe pour les cinq prochaines années. Le visage rassurant de la reconstruction. Un peu comme Felipe Alou avec les Expos après les ventes de feu.

Souhaitons que les futurs propriétaires des Alouettes l’aient compris. Qu’ils résistent à la tentation de remplacer Khari Jones par un entraîneur-chef déchu de la NFL. Ou par un ami d’un ami.

Car pour la première fois depuis cinq ans, on a l’impression que l’équipe progresse. Et qu’on n’aura pas à attendre plus de 365 jours pour un prochain match en séries.