En 2004, Sylvie Bégin était une pionnière en devenant l’entraîneuse-chef de l’équipe de hockey junior A de Lévis, composée de joueurs âgés de 17 à 21 ans. Quinze ans plus tard, les femmes qui dirigent les hommes adultes sont encore très difficiles à trouver.

Pourtant, les choses changent. Le 12 juin dernier, les Cavaliers de Cleveland de la NBA ont nommé Lindsay Gottlieb entraîneuse adjointe. Puis, au début juillet, les Celtics ont offert un poste similaire à Kara Lawson, une première en 73 ans d’existence pour l’équipe de Boston.

Connaissant la réputation de Gottlieb, qui dirigeait l’équipe féminine de basketball de l’Université de la Californie, le directeur général des Cavaliers, Koby Altman a contacté Gottlieb et ouvert la voie à son embauche. Lors d’une conférence téléphonique avec différents médias, l’entraîneuse a expliqué quel impact ce geste peut avoir. « J’espère que ça va inspirer les filles à croire en elles pour devenir ce qu’elles veulent, que ce soit jouer dans la NBA, devenir présidente des États-Unis ou autre chose. »

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Lindsay Gottlieb, entraîneuse adjointe des Cavaliers de Cleveland

À 12 ans, elle rêvait déjà de la NBA. « En regardant la loterie du repêchage avec ma cousine, j’ai dit que je voulais devenir directrice générale un jour. Personne de mon entourage ne m’a jamais découragée. » Cela dit, elle a pris soin de vérifier les motivations des Cavaliers. « Koby Altman m’a assurée que l’équipe ne voulait pas cocher une case en engageant une femme, mais qu’on voulait de moi pour ajouter une valeur à l’équipe. »

Une question de préférence

Sylvie Bégin a entraîné des filles dans plusieurs sports, mais elle préfère le tempérament des gars. « Leur respect est plus facile à obtenir, affirme la femme de 55 ans. Je trouve les filles trop chialeuses et il y a trop de “bitchage”. » Mais attention, sa première année avec les joueurs de Lévis n’était pas simple. « Quand ils ont vu une femme derrière le banc, ils se demandaient c’était quoi, cette histoire-là ! »

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En 2004, Sylvie Bégin a été une pionnière en devenant l’entraîneuse-chef de l’équipe de hockey junior A de Lévis, composée de joueurs âgés de 17 à 21 ans.

Elle s’est sentie obligée de démontrer qu’elle connaissait son hockey. « Je devais installer mon autorité. S’ils voulaient que je les respecte, ils devaient en faire autant. »

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Claudie Noël dirige l’Armada de Montréal, équipe masculine de rugby.

Pour sa part, Claudie Noël apprivoise le coaching chez les hommes depuis deux ans au rugby. Forte d’une décennie d’expérience auprès des femmes et des juniors, elle a entraîné l’équipe collégiale masculine du collège Brébeuf en 2017. « Je voulais vérifier si c’était si différent d’entraîner des hommes et des femmes », explique la femme de 28 ans, qui entraîne aussi l’équipe féminine de l’Université de Montréal.

Rapidement, elle a constaté quelques nuances.

Quand je dis aux gars de faire quelque chose, ils vont l’essayer sans trop réfléchir. Les femmes analysent davantage et posent beaucoup de questions avant de passer à l’action.

Claudie Noël, entraîneuse de l’Armada de Montréal, équipe masculine de rugby

Durant ses débuts à Brébeuf, elle craignait de ne pas être prise au sérieux parce qu’elle est une femme. « Avec les autres entraîneurs, on avait établi que si un joueur démontrait le moindrement que je ne savais pas de quoi je parlais parce que j’étais une fille, je pouvais intervenir ou eux le feraient. Finalement, ce n’est jamais arrivé. »

Elles expliquent, ils écoutent

Au fond, tout est une question de crédibilité. Claudie Noël le confirme encore cette année en dirigeant l’Armada de Montréal, composée de joueurs expérimentés et de débutants. « Puisque j’ai de l’expérience autant avec des néophytes qu’avec des joueurs d’élite, je suis capable d’identifier les problèmes et les solutions selon leur niveau. Quand ils essaient mes suggestions et que ça fonctionne, ils comprennent que je sais de quoi je parle. »

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Claudie Noël dirige l’Armada de Montréal, équipe masculine de rugby.

Très douée pour montrer des techniques aux joueurs d’avant, soit les colosses qui rentrent dans le tas, Claudie Noël montre des actions à des hommes qui mesurent souvent plus d’un pied de plus qu’elle. Heureusement, personne ne lui fait de l’attitude. « Il n’y a pas d’histoires d’ego parce qu’ils sont plus gros ou parce qu’ils sont des hommes. »

Une histoire d’intimidation

Tout n’était pas aussi simple pour Sylvie Bégin au milieu des années 2000. Surtout avec les autres formations.

Nos adversaires n’aimaient pas perdre contre une équipe dirigée par une femme. Ils étaient vraiment choqués. Après une partie, quand on se donnait la main, ils m’insultaient.

Sylvie Bégin, ancienne entraîneuse-chef de l’équipe de hockey junior A de Lévis

Même si elle se concentrait sur la satisfaction d’avoir gagné, ses gars voyaient les choses autrement. « Certains de mes joueurs très bâtis s’installaient devant et derrière moi pour que je me fasse respecter. »

Avec les années, coach Bégin a acquis le respect des joueurs… et des parents. « Il y a 15 ans, les parents trouvaient ça spécial que je coache le junior, alors que je n’avais pas d’enfant dans le club. Mais très vite, les gars ont dit à leurs parents : “On l’aime, notre coach, on ne veut pas la perdre.” »

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Claudie Noël dirige l’Armada de Montréal, équipe masculine de rugby.

Il faut dire qu’elle n’était pas comme les autres. « J’étais leur coach et leur psychologue. J’écoutais leurs problèmes de blonde, d’amour ou de drogues. Je ne crois pas que les hommes entraîneurs en font autant. Plusieurs d’entre eux engueulent les joueurs ou les envoient promener. Moi, j’étais plus compréhensive et moins impulsive. »

Claudie Noël estime quant à elle que les femmes et les hommes qu’elle entraîne n’ont pas les mêmes réactions émotives. « Quand j’apprends à des joueuses qu’elles ne font pas partie de l’alignement, certaines vont pleurer et il faut les consoler. En général, il faut prendre le temps de leur expliquer des décisions. Chez les hommes, si je retire un joueur, il peut y avoir de la confrontation. »

Cependant, rien qui remette en question son plaisir et son rôle au sein de l’Armada. « C’est l’équipe chouchou que je veux garder, comme une deuxième famille que je me suis construite. »

De son côté, Sylvie Bégin a quitté son poste en 2019, après une année marquée par la mort de son mari. « Les gars de mon équipe m’ont aidée énormément. Ils m’envoyaient des textos quand j’étais à l’hôpital. Ils m’ont beaucoup fait grandir. J’ai vraiment eu une belle expérience avec eux. »